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A Gest of Robin Hood: Insurrection in Nottingham

Il y a quelques années de cela, un des plus prolifiques (et célèbres) concepteurs de wargames, Volko Ruhnke, provoquait un petit tsunami dans le monde du wargame en créant Andean Abyss, le premier volume de la série COIN (COunter INsurgency). Le principe de ces jeux est simple : un conflit souvent peu représenté (guerre d’Algérie, guérilla en Colombie, Guerre d’Indépendance Américaine…) abordé sous un angle original. Plutôt que de mettre les joueurs dans les bottes de généraux et les laisser s’écharper sur des hexagones, les joueurs prennent en main des camps asymétriques et disposent d’actions spécifiques à leur camp. Le tout est dirigé par des cartes d’événements et une furieuse tendance à faire chauffer les méninges. C’est pour cela que quand j’ai découvert qu’un COIN à deux joueurs, jouable en 1h, était en préparation, je n’ai pas hésité à m’inscrire au tournoi amical que l’auteur, Fred Serval (dont vous retrouverez une interview en fin d’article), a organisé sur le Discord officiel de la série. Le nom de cet OVNI ? A Gest of Robin Hood.

Oui, c’est très malin de choisir un thème pareil quand la cible visée est le grand public, à qui les aventures d’un Anglais en collants parlent forcément. Qui ne s’est pas imaginé incarnant le shérif de Nottingham, pourchassant les terroristes qui détroussent et tuent impunément dans la forêt de Sherwood ? Ce sera enfin possible, à condition de trouver un adversaire désireux de jouer le méchant Robin et ses Merry Men.

Si le jeu n’est pour le moment qu’à l’état de projet, l’auteur s’est fendu d’un module Table Top Simulator de qualité dont la prise en main n’a d’égale que la concision des règles (un livret de 7 pages, du quasi jamais vu dans la catégorie wargame). Autant vous dire qu’après une ou deux lectures et quelques minutes en jeu, vous êtes paré à… vous demander comment vous en sortir. Car malgré cette relative simplicité, A Gest of Robin Hood est loin d’être un jeu qu’on aborde sans trop prêter attention à ce qui se passe.

Divisée en 3 balades, la partie va voir les joueurs tenter de dominer le Comté de Nottingham, divisé en régions (paroisses) en faisant pencher la balance en leur faveur, entre Ordre (le shérif) et Justice (Robin). Pour se faire, à chaque round (chaque balade en compte 7), une carte est révélée avec deux événements : un favorable au shérif, l’autre à Robin. Là où les COIN se distinguent des autres jeux, c’est que chaque joueur n’est pas libre de faire ce qu’il veut et doit s’adapter à ce que lui laisse l’adversaire. Par exemple, si le premier joueur choisit l’événement, d’après la matrice ci-dessous, le deuxième ne peut que passer ou faire un « Plot » et éventuellement un « Deed », c’est-à-dire les deux actions adjacentes. Si le premier joueur avait choisi un « Plot only », le deuxième n’aurait pu que passer ou exécuter un « Limited Plot ». On voit donc très vite que les décisions se prennent à plusieurs niveaux : à quel point l’événement est-il intéressant pour moi ? A quel point l’est-il pour mon adversaire ? Si je tente de faire un maximum d’actions, mon adversaire va récupérer la main, mais que pourra-t-il faire de plus ?

Vous l’aurez compris, il y a de quoi se faire des nœuds au cerveau car il faut bien repérer les opportunités favorables mais aussi et surtout, savoir de quoi l’adversaire est capable pour l’empêcher d’optimiser ses coups. Donc oui, il faut parfois jouer quelque chose de « pas mal » juste pour ne rien laisser à l’autre. Certaines parties vont finir en pleurs…

Les actions (appelées Plot donc) de chaque joueur sont au nombre de trois. Robin peut détrousser des voyageurs ou les chariots du Shérif, recruter des Merry Men (et établir des camps) ou se faufiler d’une paroisse à l’autre. Le Shérif peut quant à lui recruter des gardes, patrouiller et capturer des rebelles. Mais ce sont surtout les Deeds qui permettent d’influer sur la partie : Robin peut retourner un garde pour en faire un Merry Man, payer pour faire basculer une région dans la rébellion ou encore se dévoiler pour susciter la rébellion. Pour le Shérif, ce sera plutôt confiscation (la création de ces fameux chariots, qui peuvent être piégés), chevauchée pour traverser la carte à toute allure ou assaut pour casser des bouches et envoyer Robin en prison.

Des actions simples comme vous pouvez le voir, qui sont toutefois limitées par des prérequis, qui font tout le sel du jeu : on ne peut capturer des Merry Men que s’ils sont dévoilés. On ne peut détrousser un voyageur qu’en se révélant et en ayant plus de force que lui. Confisquer rapporte potentiellement beaucoup d’argent ? Oui mais la région se soulèvera. Rien n’est totalement rose dans A Gest of Robin Hood et toute action bénéfique pour le joueur aura un revers à anticiper. Il faut donc planifier, prévoir ce que l’autre va faire et être prêt quand arrive la phase d’Inspection Royale, où les conditions de victoire sont vérifiées et où chacun va se réorganiser.

Ceci n’est bien sûr qu’un aperçu (mais assez complet) des règles et permet de se rendre compte qu’il y a beaucoup, beaucoup à découvrir à chaque partie. Les premières sont dédiées à la découverte du jeu, les possibilités, les différents types d’événements ou de voyageurs. Les suivantes seront axées sur les différentes stratégies possibles à mettre en place.

Pour tout vous dire, lors du premier tour du tournoi qui m’a vu affronter un Hollandais très sympathique, j’ai perdu à la toute fin sur un événement totalement imprévu où mon adversaire a joué une action a priori anodine. Cela lui a permis de faire pencher la balance au tout dernier moment et, au moment du debriefing, nous avons avoué la même chose : nous avons plus eu la sensation de surnager sans pouvoir réellement dominer l’adversaire. Preuve s’il en est que l’équilibrage est déjà très bon et surtout que les joueurs ne sont pas près d’en faire le tour…

Alors, quelle conclusion (temporaire) concernant A Gest of Robin Hood ? Tout d’abord, l’objectif de viser un public plus large, pas forcément adepte de wargames, est rempli : les règles sont claires, concises et le thème est très bien exploité. Le jeu révèle son potentiel au fil des parties et si les débuts seront sûrement un peu laborieux, une partie entre habitués sera bouclée en une heure. Ce qui place le jeu pile entre les jeux d’affrontement légers (7 Wonders Duel…) et les bons gros titres nécessitant un après-midi (Star Wars Rebellion par exemple). Le public plus expert n’est pas non plus mis de côté, cet article ayant prouvé qu’il y a beaucoup de « viande » à mâchonner autour de cet os. Ce qui rend encore plus longue l’attente avant la sortie… Allez GMT Games, lancez le P500 !

Bonjour Fred ! Peux-tu nous présenter Fred, le joueur ?

Bonjour ! Je m’appelle Fred Serval, dans le “civil” je suis directeur d’un département d’analyses statistiques pour un constructeur de jouets. Je me suis mis aux wargames il y a six ans environ quand j’ai découvert Twilight Struggle. A ce moment-là, ça a été une vraie révélation. J’étais dans une phase où j’en avais marre de passer autant de mon temps libre devant un écran et je cherchais d’autres types d’expériences ludiques. Quand j’ai découvert qu’il y avait quelque chose qui mélangeait ma passion pour l’histoire et les jeux de stratégie et qui en même temps me faisait ressentir une sorte de nostalgie pour Magic The Gathering et Warhammer, ça a tout changé. Les wargames sont très vite devenus une passion et j’ai commencé à vouloir explorer un maximum de systèmes. Du Hex and Counter Tactique avec 30 pages de règles écrites comme un manuel d’utilisation pour une machine industrielle, aux jeux historiques plus accessibles mélangeant des cartes et des petits cubes en bois, en quelques années j’ai énormément joué et exploré cette catégorie du jeu de plateau.

Et qu’en est-il du Fred « Game Designer » ? Qu’est-ce qui t’a décidé à te lancer ?

Il y a eu différents déclencheurs qui, pris ensemble, expliquent ma volonté de concevoir mon premier jeu, Red Flag Over Paris. La première chose c’est la frustration de ne pas pouvoir jouer avec certaines personnes. Je suis un joueur “social” et une des choses que je préfère quand je joue, c’est passer un moment avec des gens que j’aime. Le problème c’est que les wargames sont en général difficiles d’accès. C’est un sous-genre relativement peu connu de l’industrie du jeu de plateau, les règles sont complexes et les temps de jeu sont longs. J’ai vite eu la volonté de trouver des solutions pour rendre ce hobby plus accessible, j’ai commencé en créant une chaîne YouTube de vulgarisation, Homo Ludens, puis je me suis dit que concevoir des jeux avec cet objectif serait aussi un bon mode d’action.

Enfin, il y a ma relation personnelle avec l’histoire de la Commune. Il y a quelques années c’était une partie de l’histoire de France que je connaissais très mal. Et cela malgré mes études en histoire et un intérêt assez fort pour les questions politiques. Je considère les wargames comme un excellent moyen d’apprendre l’histoire et j’étais déçu de voir qu’aucun jeu n’existait sur le sujet. Donc, plutôt que d’attendre, je me suis dit que la meilleure chose à faire c’était de se mettre au boulot.

Aujourd’hui j’ai déjà conçu plusieurs jeux et je compte bien continuer : Red Flag Over Paris, mon premier design sur la Commune de Paris, à paraître cette année chez GMT ; Gravelotte 1870, un jeu de bluff sur la bataille de Gravelotte – St.Privat du 18 août 1870 qui est disponible en Print and Play ; Tiny Tank Battles, un petit jeu tactique modulaire construit avec des petites briques en plastique qui n’est disponible que pour mes nièces.

Tu sembles attiré par les Card Driven games. Sont-ils d’après toi une solution pour rapprocher wargamers et amateurs de jeux de société ?

En effet, les cartes ont l’avantage d’être un objet ludique très familier pour tout le monde. Mais je pense que son utilité pour rendre les wargames accessibles à un plus large public dépend de comment cet objet est utilisé.

D’un côté des designers comme Martin Wallace (A Few Acres of Snow, Brass Birmingham) ou David Thompson (Undaunted Normandy, Chest) sont exactement dans cette dynamique de rendre le jeu d’histoire plus accessible et d’utiliser des mécaniques de jeu de plateau. Ils font ça tout en ayant une réelle ambition d’historicité et en trouvant un équilibre avec un plaisir ludique à la portée d’un plus large public.

De l’autre des designers comme Ted Raicer (Paths of Glory) ou Mark Herman (Empire of the Sun), vont des fois pousser la complexité de l’utilisation des cartes extrêmement loin. Dans ces cas-là, on se rend bien compte que les cartes en soit ne sont pas suffisantes pour rendre les jeux de guerre plus accessibles.

D’où t’est venue l’inspiration pour A Gest of Robin Hood ?

Début 2020, j’ai commencé à beaucoup jouer aux wargames en ligne en utilisant Vassal et TableTop Simulator. Assez rapidement je suis tombé sur le serveur Discord des joueurs de COIN, à l’époque une petite centaine de personnes obsédées par la série de Volko Ruhnke. C’était une série que je connaissais assez mal, je n’avais joué qu’à Colonial Twilight en solo et un peu aux deux premiers jeux de la série, Cuba Libre et Andean Abyss. Avec cette communauté j’ai pu explorer le système COIN et c’est rapidement devenu la série à laquelle je joue le plus. Mais encore une fois, j’ai vite réalisé que tous ces jeux étaient inaccessibles pour la plupart des joueurs, même expérimentés.

Un dimanche matin en revoyant Robin Hood: Prince of Thieves je me suis dit qu’un jeu sur Robin des Bois pourrait être sympa. Puis, loi de la sérendipité oblige, quelques jours après je suis tombé sur un vieil article de l’historien Rodney Hilton sur le personnage de Robin des Bois et sa signification historique.

Et une citation de cet article m’a frappé : “One of England’s most popular literary heroes is a man whose most endearing activities […] where the robbery and killing of landowners […] and the maintenance of guerilla warfare against an established authority”.

A ce moment j’ai eu un déclic : et si je concevais un jeu de contre-insurrection inspiré de la Geste de Robin des Bois ? Cela me permettrait de proposer une entrée dans ce système avec un thème plus accessible, moins de contraintes historiques et avec un aspect narratif fort. Donc, un parfait candidat dans ma volonté de rendre le hobby du wargame plus accessible.

Quelles idées ont été les plus difficiles à mettre en place ?

Trouver le bon équilibre entre l’aspect narratif du jeu et l’intégration des concepts de base de la contre-insurrection. Si le jeu s’appelle A Gest of Robin Hood il est nécessaire que l’on retrouve les personnages emblématiques des ballades de Robin des Bois et que l’on ait un peu l’impression de vivre cette aventure.

L’autre aspect du jeu qui demande encore aujourd’hui le plus de travail c’est l’équilibrage. C’est un jeu court, à deux joueurs et complètement asymétrique. Dans ces cas-là, l’équilibrage est toujours un exercice compliqué et le tournoi montre bien ça.

Mais je suis bien aidé. Sur le serveur Discord des joueurs COIN, j’ai rencontré des gens exceptionnels, notamment : Joe Dewhurst, designer d’un COIN à venir sur le Japon médiéval, mon développeur sur ce projet et sans qui je ne pourrais pas faire grand chose ; Shaun O’ Keeffe, un joueur et playtesteur hors pair ; Stephen Rangazas, un jeune chercheur en sciences politiques, aussi concepteur de jeu, qui a eu une influence forte sur ce jeu.

Quel effet cela fait d’avoir l’approbation de Volko Ruhnke, le papa des COIN ?

J’étais vraiment très fier de pouvoir jouer avec Volko sur le serveur Discord. C’est une communauté que j’apprécie beaucoup et ça m’a fait plaisir de pouvoir amener notre papa ludique dans notre repaire. J’avais déjà travaillé avec Volko quelques mois plus tôt sur le ConSim Game Jam et j’avais vite réalisé que c’était un chic type. Ça m’a forcément fait plaisir qu’il apprécie le jeu et qu’il ait trouvé des points de ressemblances avec son dernier bébé, Hunt for Black Beard. Ce qui a été le plus cool c’était qu’il reconnaisse vraiment son système, même sous une nouvelle forme, et qu’il insiste sur le fait que pour lui ce soit un “vrai” COIN.

Qu’est-ce qui t’a décidé à travailler avec GMT Games pour Red Flag Over Paris ?

C’est mon mentor en game design, Brian Berg Asklev Hansen, qui m’a conseillé de contacter GMT quand j’ai commencé à travailler sur Red Flag Over Paris. Il avait publié chez eux par le passé et en avait gardé une super expérience. De plus, mon jeu reprenait en gros le système du jeu de Mark Herman, Fort Sumter, et donc il pouvait s’intégrer à cette nouvelle série. Pour moi, GMT c’était synonyme d’excellence en termes de wargame, donc je n’avais pas trop d’espoir d’attirer leur attention. Mais en fait j’ai été accueilli à bras ouvert, même sans expérience. C’est un éditeur qui mise énormément sur la collaboration et je dois dire que c’est un mode de fonctionnement qui me va très bien.

Quand peut-on espérer avoir A Gest for Robin Hood sur nos tables de jeu ?

Oula ! Pas avant un moment. Si tout se passe bien, A Gest Of Robin Hood sera en précommande dans les mois à venir. Une fois que ce sera le cas, il faudra au minimum entre 12 et 18 mois pour que le jeu se retrouve chez l’imprimeur. Donc dans le meilleur des cas, on pourra avoir la version finale du jeu sur nos tables fin 2022 ou plus probablement en 2023. Mais en attendant le prototype est dispo sur TTS et j’ai fait un kit PnP pour les playtesteuses et playtesteurs.

Après la France du 19ème siècle, l’Angleterre du 13ème. Où nous amènera ta prochaine création ?

Je travaille sur plusieurs projets en ce moment, je ne sais pas lequel avancera le plus vite :

– Un Card Driven sur les 2 premières semaines de la guerre Franco-Prussienne
– Un autre Card Driven, mais à l’échelle stratégique sur le Sahel
– Deux jeux en URSS : un jeu abstrait sur la construction du réseau OGAS et un autre inspiré du système Pax sur la chute de L’URSS et l’émergence des oligarques.

Mais mon prochain jeu sera certainement plus complexe que A Gest of Robin Hood ou Red Flag Over Paris, car je ne compte pas forcément les concevoir dans une logique d’accessibilité à un public de non-wargamer.

Harvester

Collectionneur compulsif et un peu trop passionné, accumule jeux et livres en essayant d'entraîner un maximum de gens dans ses vices...