The Planet King
Les jeux de plateau en solitaire, en particulier ceux à thème historique ont le vent en poupe en ce moment, avec une offre de plus en plus étoffée. Un récent exemple est I, Napoleon de GMT, qu’Harvester nous avait présenté. Les wargamers ne vont certainement pas se plaindre de la multiplication de ce type de jeux, mais il convient aussi de pouvoir séparer le Bon Grain et l’Ivraie.
A mon sens, un bon jeu historique en solitaire devrait intégrer, au moins, quatre caractéristiques principales. D’abord un fort contenu narratif. L’histoire doit prendre le pas sur les mécanismes et non l’inverse. Il faut également avoir à prendre des décisions et faire des choix difficiles. Vient ensuite la nécessité d’une certaine difficulté, non pas à jouer, mais à gagner. Ce qui nous amène à la quatrième caractéristique : la re-jouabilité. C’est avec ces réflexions en tête que nous abordons le jeu The Planet King / El Rey Planeta des Espagnols de NAC Wargames, dont Harvester avait déjà présenté le jeu The Republic’s Struggle, et dont nous vous proposons une interview en fin d’article.
Dans la cour des grands
Le jeu, principalement prévu en solitaire, mais pouvant également se jouer à deux en coopératif, vous met, en toute modestie, dans la peau du roi Philippe IV d’Espagne. Ce monarque régna de 1621 à 1665 sur un empire mondial s’étendant, des Amériques aux Philippines, sur 12 millions de kilomètres carrés, en étant accessoirement roi des Deux-Siciles, roi du Portugal et souverain des Pays-Bas. Et oui, Philippe IV méritait bien son surnom de Roi planétaire.
C’est un peu l’équivalent ibérique de Louis XIV, dont il fut contemporain. D’ailleurs tout comme le Roi Soleil, son règne fut marqué par des guerres incessantes qui plombèrent sérieusement les finances du royaume et amenèrent son déclin. Saurez-vous être un politicien plus avisé, tout en assurant votre bonheur personnel ainsi que le rayonnement culturel, politique et militaire de l’Espagne ? C’est justement l’enjeu de The Planet King. Car maintenant le Roi c’est vous ! Et tout cela, sans pour autant avoir les yeux globuleux, les lèvres lippues et la mâchoire prognathe des Habsbourg, du moins on l’espère pour vous.
C’est bon d’être le Roi
Commençons par l’aspect matériel. Et, autant le dire tout de suite, c’est Versailles, ou plutôt le Palacio del Buen Retiro. Le jeu arrive d’Espagne en trois-quatre jours en moyenne, dans une grosse boite richement illustrée contenant un matériel de qualité. Un plateau de jeu en carton rigide de 60 x 44 cm et deux plateaux auxiliaires représentent votre empire divisé en zones géographiques et parsemé de pistes et compte-tours vous permettant de gérer le royaume. Les plateaux sont à la fois clairs et esthétiques. Vous aurez la joie d’y placer, et déplacer, 234 pions et marqueurs, des cubes en bois multicolores, devenus traditionnels pour ce type de jeu, ainsi que des pièces de monnaie en carton (les Ducats).
A cela s’ajoutent 158 cartes à jouer incluant des personnages historiques, des d’évènements et des mémos secrets (ces derniers utilisables seulement dans le jeu à deux). Là aussi l’esthétique est au rendez-vous, et c’est bien normal puisque de nombreuses illustrations reprennent des chefs-d’œuvre picturaux de l’époque. Lorsque l’on reçoit l’aide, entre autres, de Diego Vélasquez pour les graphismes, le résultat est forcément somptueux.

Ces cartes permettent d’ajouter un piment historique au jeu et d’augmenter la re-jouabilité tout en se substituant à un absent de marque : Dédé. Pardon, je voulais dire des dés. En effet nos petits polyèdres favoris, ayant la particularité de rouler dans les endroits les plus inaccessibles, sont remplacés dans The Planet King par des cartes pouvant être jouées comme un événement ou comme un test de chance. Si elles sont jouées comme un test de chance, tout le texte de la carte est ignoré et seul l’indicateur de test en bas à gauche est utilisé. Ce dernier peut être négatif, neutre ou positif. L’aspect positif étant justement que les cartes roulent bien moins souvent sous la table que Dédé. A noter qu’une carte utilisée d’une telle façon est mise de côté jusqu’à la fin du tour, éliminant par conséquent l’évènement qui lui est associé.
Enfin, il existe deux livrets de règles, l’un dans la langue de Cervantes, l’autre dans celle de Shakespeare. Si vous pratiquez ces deux langues vous serez avantagés car le passage d’un livret à l’autre vous permettra de clarifier certaines imprécisions existant dans le texte anglais, qui n’est pas toujours d’une limpidité exemplaire. A cela s’ajoute deux livrets de jeu, eux aussi bilingues, avec un exemple de partie, ainsi que des notes historiques et de conception.
Pour le coup on peut dire que NAC n’a pas fait les choses à moitié, mais en double, puisqu’ils n’ont pas hésité à inclure deux jeux en un. Ainsi, vous avez deux exemplaires dans la même boîte, l’un en anglais, l’autre en espagnol. Deux jeux complets de cartes et des plateaux recto-verso anglais/espagnol. Oui, c’est royal. La seule question étant, à quand une version triple incluant le français ? Ben quoi ? On peut toujours demander (et rêver). Cela dit une version française des règles est disponible sur BoardGame Geek.
Enfin, en étant un peu tatillon, on pourrait déplorer l’absence d’un casier ou de sachets de rangement pour les pions. Quoi qu’il en soit, question composants, la case narrative est pleinement cochée et l’envie de débuter le jeu est immédiate.

L’Etat c’est moi
Pour commencer donc il convient d’installer le matériel. Et là, sans atteindre les outrances d’un jeu comme Mr. President, on s’aperçoit que gérer l’Empire espagnol nécessite un espace confortable. The Planet King n’est clairement pas un jeu d’apéritif. Il est destiné à occuper votre table pour un certain temps, voire un temps certain. Impression renforcée par le fait qu’il y aura quand même vingt-huit pages de règles à digérer avant de pouvoir se prendre pour le roi d’Espagne et régner sans partage, ou presque si vous jouez à deux, sur des millions de sujets… en carton. En aparté on remarquera que les jeux historiques en solitaire vous mettent rarement dans les souliers usés d’un pauvre serf, vous permettant, au contraire, d’assouvir vos penchants les plus mégalomanes.
Ceci nous permet, justement, de nous pencher sur le moteur de jeu mis au point par le concepteur Iván Notario. Si The Planet King est un jeu en solitaire vous n’êtes pourtant pas seul à vouloir vous disputer le contrôle de la planète, et de l’Europe en particulier. En effet, chaque puissance adverse (Angleterre, France, Empire Ottoman, pirates barbaresques, Portugal, Protestants et Provinces-Unies) tentera de saper votre empire tandis que des séries d’événements mettrons à mal vos stratégies de développement.
Le jeu comprend un scénario d’introduction d’un seul tour, qu’il est conseillé d’essayer afin de se familiariser avec les règles. Deux scénarios de quatre tours, et un scénario de campagne de huit tours sont également fournis. Durant chaque tour de jeu (représentant de trois à six ans) vous aurez à gérer avec soins divers aspects de la vie du monarque et de la politique de l’Etat afin de remporter la partie en accumulant des points de victoire.

En fait d’ennemis, moins on en a mieux cela vaut (Cervantes)
En premier lieu, vous aurez à vous concentrer sur la gestion militaire, ayant pour but de défendre votre royaume, en bâtissant des flottes de guerre, en recrutant des Tercios (armées) et en y affectant des commandants afin de faire face aux attaques adverses ou d’agresser vos voisins. Pour cela il faudra placer vos forces sur divers théâtres d’opérations, terrestres (Flandres, Picardie, Italie, etc.) ou maritimes (Méditerranée, Atlantique) représentés par des pistes. Par exemple en Picardie vous ferez face à l’Armée française et dans l’Atlantique à la Royal Navy.
La résolution des combats sur ces pistes de confrontation militaire est assez maligne. Les combats sont réglés grâce à des tests de chance qui font avancer ou reculer un marqueur représentant l’évolution de la guerre. Lorsque celui-ci atteint votre extrémité de la piste vous gagnez la guerre, tandis que lorsqu’il atteint celle de l’adversaire c’est vous qui perdez la confrontation. Il est à noter que les pistes de confrontation militaire sont de tailles variables, tout comme le sont les forces des adversaires. Il est ainsi plus aisé et rapide de l’emporter contre les pirates barbaresques que contre les Provinces Unies par exemple.
Les victoires ou les défaites vous permettront d’engranger ou de perdre des points de victoire, mais aussi de prestige (qui mesurent l’aura diplomatique de votre pays) et de bonheur (qui évaluent la satisfaction du roi). A vous, donc, de placer suffisamment de forces pour faire pencher la balance en votre faveur lors des différents conflits. Et ils ne manqueront pas. Vous pouvez en effet déclarer des guerres, mais celles-ci peuvent aussi se déclencher suite au tirage de cartes d’évènements.

Cette activité belliciste grèvera vos finances car vous aurez bien sûr à dépenser des Ducats pour recruter vos Tercios, construire vos flottes mais aussi entamer des campagnes militaires. Ducats que vous obtiendrez, en nombre limité, grâce entre autres à vos possessions territoriales et à des convois d’or. Des colonies et flottes de galions qu’il faudra protéger des appétits des pirates et des corsaires adverses, si vous ne voulez pas voire votre trésorerie décliner rapidement.
De plus, les guerres actives rajouteront des cartes Instabilité au paquet des cartes d’évènements. Ces cartes, au nombre de trois, auront bien sûr des impacts négatifs sur le royaume, et plus vous aurez de guerres en cours plus elles auront de chances d’apparaitre. Ainsi à mesure que les guerres se multiplieront, l’Espagne se trouvera prise dans une spirale descendante, avec des dépenses que ne pourront compenser les rentrées d’argent générées par les territoires et colonies de l’Empire. Des facteurs qui limiteront les capacités d’action du monarque, et c’est très bien vu, car c’est exactement ce qui arriva historiquement.
Un jeu baroque
Il vous faudra aussi régler des questions plus intimes, comme le choix d’une reine (pour assurer votre descendance dynastique) mais aussi d’une concubine. Car pour gagner il faut accumuler divers types de points de victoire et parmi eux les points de bonheur. Et pour cela il est nécessaire d’avoir une reine prestigieuse et une maitresse avenante. Poste de concubine qu’il faudra renouveler fréquemment sous peine de perdre des points de bonheur, sachant qu’avoir des enfants males illégitimes vous permettra d’augmenter ces points. La leçon de The Planet King est que quand vous étiez Roi au XVIIème siècle le développement personnel passait immanquablement par le fait de tromper sa femme avec de multiples maitresses ! Il faut dire que Philippe IV avait la réputation d’être particulièrement libertin et que les mariages royaux n’étaient qu’affaire de convenance diplomatique et dynastique.
Philippe IV aurait engendré entre une dizaine et une trentaine d’enfants illégitimes et plus d’une quinzaine de descendants officiels (dont seuls quatre atteindront l’âge adulte). Cette productivité ne sauvera pourtant pas les Habsbourg d’Espagne, puisque l’héritier du trône, Charles II, stérile et né d’une union consanguine (Philippe IV épousa sa propre nièce en seconde noces) sera le dernier de sa lignée. Ce qui sera la cause de la guerre de succession d’Espagne. Mais là c’est une autre histoire.

Si le Siècle d’or espagnol était celui de la licence des mœurs royales, c’était aussi celui du développement des arts et des lettres. Oui, il n’y a pas que les concubines dans la vie, il vous faudra aussi, en tant que mécène, attirer à la cour des auteurs célèbres (comme Lope de Vega) et des artistes baroques de génie, qu’ils soient sculpteurs comme Juan Martínez Montañés ou peintres comme Diego Vélasquez, afin de magnifier les accomplissements de votre règne. On pense par exemple à Vélasquez peignant la Reddition de Breda. Tout cela vous permettra d’engranger des points de rayonnement culturel (Enlightment Points) tout en satisfaisant votre égo. Et oui, a quoi bon être roi, si vous ne pouvez pas en mettre plein la vue à la Terre entière ? C’est ce que l’on appelle aujourd’hui le soft power.
Belliciste, machiste et mégalo, The Planet King brosse le portrait typique du monarque de droit divin du XVIIème siècle, rien d’étonnant. Le plus surprenant étant sans doute, que malgré les avancées de la démocratie, ce portrait corresponde à nombre de dirigeants actuels…librement élus. De quoi donner à réfléchir sur la nature humaine, même si dans le cas de Philippe IV l’homme était également un mécène raffiné, un savant et un protecteur des arts et de la culture.
Quoiqu’il en soit l’aspect pédagogique de The Planet King est indéniable. Le jeu s’avère être un vrai livre d’histoire interactif qui, si vous voulez vraiment vous y immerger, vous poussera à vous investir dans la recherche d’informations sur l’époque de Philippe IV, les évènements, et les personnages qui l’on marqué. On notera par ailleurs que le livret de jeu regorge d’intéressantes notes historiques. Ainsi Iván Notario fait œuvre ludique, mais également didactique.

Aussitôt qu’un roi se relâche sur ce qu’il a commandé, l’autorité périt, et le repos avec elle (Louis XIV)
De manière classique le système de jeu tourne autour du tirage de cartes d’évènements. Cela dit vous aurez pas mal d’opportunités d’interactions avec le système. The Planet King est divisé en trois grandes phases de jeu. Une phase d’organisation, au cours de laquelle vous préparez les différents paquets de cartes et effectuez une série d’actions préliminaires. Une phase d’événements, durant laquelle les cartes sont tirées de la pioche et résolues une par une. Et enfin, une phase administrative pendant laquelle vous collecterez les impôts, déploierez de nouvelles unités et calculerez les points de victoire obtenus durant le tour.
Je souligne le côté interactif de The Planet King, car contrairement à certains jeux en solitaire, qui vous laissent comme spectateur du déroulé de l’action, le jeu de NAC vous met vraiment aux commandes. Si bien sûr il y a un aspect aléatoire, vous serez néanmoins amené à prendre de nombreuses décisions et à faire des choix cornéliens.
En premier lieu il faudra organiser votre cour et nommer un Valido (Premier Ministre) pour vous épauler parmi les nobles disponibles. Si ce dernier vous est d’abord imposé par le scénario choisi, vous pouvez le renvoyer et le remplacer à la fin de chaque tour. C’est cela d’être le Roi. Dans le jeu coopératif à deux, le rôle de Valido échoit au second joueur.

A l’image d’un jeu de rôle, les nobles (représentés par des cartes) ont des compétences. Ici elles sont militaires, politiques et gouvernementales. Les nobles peuvent également avoir des caractéristiques spécifiques. Par exemple Ecrivain (qui rajoutera des points de rayonnement culturel) ou Amiral (qui pourra commander une flotte de guerre), etc. Vous pourrez vous entourer de conseillers apportant des bonus à votre gouvernance et que vous pourrez affecter à divers postes. Par exemple en tant que général pour augmenter la puissance d’une armée, ou comme vice-rois de vos diverses possessions outre-mer pour rapporter plus de Ducats. Comme on l’a vu précédemment vous devrez peupler également la cour d’une reine et d’une maitresse attitrée et attirer à vous artistes et savants.
Dans The Planet King vous aurez de multiples occasions d’agir et en particulier durant la phase d’événements. Durant celle-ci la phase d’actions n’est pas fixe. En effet à chaque tour de jeu, vous placez des cartes d’actions dans le paquet des cartes d’évènements, et seul le tirage d’une telle carte vous permettra de prendre la main et d’effectuer jusqu’à trois types d’actions différentes. Cela ajoute une bonne part de chaos, mais aussi de re-jouabilité, car vous n’êtes jamais sûr du tempo de vos actions, le tour s’arrêtant lorsque vous avez tiré toutes les cartes d’évènements du paquet ou que vous avez utilisé cinq cartes d’action.
A l’image d’un jeu comme Prime Minister, vous effectuez des actions grâce aux cubes colorés appelés, comme il se doit, cubes d’actions. Le nombre de cubes correspond aux compétences de votre Valido et les couleurs définissent le type d’action (politique, gouvernementale ou royale). Chaque fois que vous effectuez une action vous retirez un cube de la couleur correspondante. Une fois les cubes épuisés, vous ne pouvez plus agir. Il peut donc être intéressant de garder des actions en réserve, car rien de pire que de ne pouvoir contrer un évènement critique faute d’action disponible. Il est aussi conseillé de garder quelques Ducats dans votre trésor royal afin de pouvoir parer d’éventuels coups du sort et éviter la banqueroute qui vous fera perdre du prestige et vous obligera à démobiliser des forces militaires.

Vous aurez ainsi la possibilité de jouer jusqu’à une vingtaine d’actions différentes par tour. Pas de quoi s’ennuyer donc. En vrac vous pourrez : tenter de concevoir un enfant avec la Reine et votre maitresse, vendre des privilèges à des nobles (pour gagner des Ducats), organiser une chasse (pour gagner des points de bonheur), réunir le parlement (les Cortes) afin d’essayer d’obtenir des Ducats, etc. On notera un petit côté Crusader Kings 3 pour ce qui est de la gestion de l’aspect familial et dynastique de la vie du monarque. Cela est encore renforcé par des cartes évènements qui ajoutent de nombreux éléments relatifs aux intrigues de cour, avec d’impitoyables rivalités et potentielles mises en disgrâce parmi vos courtisans.
Vous pouvez également agir sur la scène internationale : nommer des ambassadeurs pour conclure des trêves, lever des troupes, entamer des campagnes militaires, faire construire des fortifications, organiser des expéditions de découvertes, etc. La plupart des actions étant résolues, vous l’avez probablement deviné, par des tests de chance.
Bien sûr, vous n’aurez, probablement jamais assez de cubes pour accomplir toutes les actions que vous aimeriez entreprendre. D’autant plus que nombre d’entre elles nécessitent également la dépense de Ducats. Heureusement, il existe certaines actions simples ne nécessitant pas le sacrifice de vos précieux cubes. Ainsi The Planet King coche allégrement la case prises de décisions nombreuses et difficiles, qui caractérise tout bon jeu en solitaire.

Grandeur et décadence
Pour l’emporter dans The Planet King il faut, déjà, survivre jusqu’au dernier tour du scénario, en accumulant des points de prestige, de bonheur et de rayonnement culturel qui seront convertis en points de victoire à la fin de chaque tour.
Mais qu’en est-il de la difficulté à gagner et de la re-jouabilité ? Et bien disons que le jeu s’avère stressant, dans le sens positif du terme, car vous serez toujours sur le fil du rasoir, a devoir faire face en même temps à de multiples impondérables, sans pour autant avoir les ressources nécessaires pour tout faire, ni, certaines fois, la possibilité d’agir à temps, du fait du caractère aléatoire de l’apparition des cartes d’action. En somme un continuel jeu d’équilibriste à devoir gérer la pénurie d’argent, de troupes, de nobles compétents, tout en devant assurer le bonheur familial du monarque et le rayonnement culturel du royaume.
The Planet King est un bon jeu de simulation de surmenage, l’avantage étant que s’agissant seulement d’un jeu, pas de danger de burnout, tel qu’en souffrit Philippe IV dans la réalité. Car la défaite peut survenir avant même la fin du jeu, si le prestige de l’Espagne tombe trop bas ou si son rayonnement culturel fait de même. Quant au bonheur du Roi, s’il devient nul, le monarque est considéré comme mort et vous perdez automatiquement la partie. Ainsi, même si le jeu se déroule en Espagne, il y a un petit côté tragédie grecque dans The Planet King, on croit pouvoir s’en sortir, mais non, un évènement va arriver au pire moment.

Après ces épreuves, la victoire (si elle arrive) n’en est que plus satisfaisante. Il est d’ailleurs possible (mais difficile) de faire mieux que le roi Philippe lui-même. Par ailleurs, les cartes d’évènements, nombreuses, le tempo aléatoire des actions, et le fait que les cartes utilisées pour des tests de chance soient mises hors-jeu jusqu’à la fin du tour, permettent à The Planet King d’offrir une expérience et une histoire différente à chaque nouvelle partie.
La solitude du pouvoir (ou non ?)
Si The Planet King est centré sur l’aspect solitaire il est néanmoins possible d’y jouer à deux en mode coopératif. Un joueur tiendra le rôle de Philippe IV et l’autre celui de son Valido. Le Valido ne pourra accomplir que certains types d’actions (les actions politiques et gouvernementales) tandis que le monarque se chargera des actions royales. Cette répartition des taches peut être le sujet de tensions entre les joueurs s’ils ont des visions différentes de ce qui est bon pour le royaume.
D’autant plus que chaque joueur à un agenda secret. Pour cela on utilise des cartes de mémos secrets qui fixent à chaque joueur un objectif à accomplir au cours de la partie, sans pour autant pouvoir le dévoiler à son partenaire avant la fin du jeu. Si un objectif est accompli il rapporte des points de victoire, s’il ne l’est pas cela engendre une perte de points. Les joueurs peuvent ainsi être amenés à se mettre involontairement des bâtons dans les roues par ignorance des objectifs de l’autre.
Un jeu en clair-obscur

On ne va pas parler de chrome pour un jeu concernant l’époque des dorures baroques, mais il est un fait que le jeu n’en manque pas (de chrome). Entendez par là tout un (gros) tas de petites règles particulières, propres à rendre le jeu plus historique, plus riche, plus immersif, mais aussi plus compliqué. Car, si le canevas du jeu est assez classique, les règles de base souffrent de pas mal d’exceptions, que la mise en page ne rend pas très faciles à retrouver, ou à ne pas oublier. En fait, un index des termes et mots clés du jeu serait le bienvenu.
Bémol pour les non hispanophones, la traduction anglaise n’est pas toujours à la hauteur, et il ne s’agit pas seulement, quelques fois, de la grammaire et de la syntaxe, mais aussi de la rédaction des règles. Cela peut donc nuire à leur compréhension. Par exemple (et il s’agit d’un parmi d’autres) le terme Acciones Reales (qui veut dire actions royales en français) est traduit dans la version anglaise par Actual Actions (ce qui signifie actions véritables). On sent, peut-être, le recours maladroit au traducteur automatique, qui a confondu le terme Real espagnol (royal) avec l’adjectif anglais Real, synonyme de véritable. Quelques termes espagnols non traduits subsistent également dans les règles anglaises. Il découle de cela que si la pratique de l’espagnol n’est pas indispensable pour jouer, elle est néanmoins conseillée. Et à cet égard la traduction française proposée en téléchargement sur BBG n’est pas non plus exempte d’erreurs.
Et puis il y a des oublis purs et simples. Ainsi les fonctions de certains marqueurs de jeu ne sont pas explicitées. Elles peuvent être assez facilement déduites, mais on aurait préféré qu’elles soient clairement définies dans les règles. Un fan a publié un petit guide des marqueurs (en anglais) sur Board GameGeek permettant de corriger cet inconvénient.
Plus ennuyeux, les tableaux permettant de transformer les points de bonheur, prestige et rayonnement culturel en points de victoire sont incomplets. On pourra se reporter à ce résumé des règles en espagnol pour pouvoir mesurer de manière plus facilement compréhensible l’avancement vers la victoire ou la défaite. Le manque de clarté et l’incomplétude des règles sont donc les points faibles d’un jeu qui sans cela ferait un sans-faute. Heureusement, l’auteur est très disponible pour répondre aux questions et apporter ses éclaircissements sur BoardgameGeek.
Alors, qui est le Roi ?
Malgré ses quelques défauts The Planet King est une réussite ludique, car il coche toute les cases mentionnées au début de l’article : un narratif fort, des prises décisions nombreuses, difficiles et variées, une victoire ardue, et une bonne re-jouabilité. A cela d’ajoute un matériel de très bonne qualité. Tout ce que l’on peut espérer est que ce jeu, à l’image de Philippe IV, ait de nombreux descendants, avec des règles plus claires et plus complètes, et nous permettent d’incarner à l’avenir d’autres monarques. Et qui sait, pourquoi pas Louis XIV ? Je vous renvoie pour cela à l’interview de l’auteur.

Jose de NAC Wargames et Iván le concepteur de The Planet King ont eu la gentillesse de nous accorder une petite interview par email. Nous les en remercions et leurs laissons la parole.
Bonjour Jose. Pourriez-vous vous présentez ainsi que votre entreprise ?
Jose : Bien sûr ! NAC Wargames est l’une des marques du groupe MasQueOca, qui compte plus de 25 ans d’expérience dans le secteur. Nous avons décidé de créer une marque distincte pour nos Wargames, en récupérant la marque classique NAC qui, il y a plusieurs décennies, était très importante dans notre pays. Sous cette marque, nous publions à la fois des licences (que nous améliorons autant que possible) et nos propres jeux créés par notre équipe d’auteurs.
Quel est votre modèle économique, pour créer, publier et distribuer vos jeux ?
Nous visons le marché international, c’est pourquoi nous nous concentrons sur la création d’excellents jeux à tous points de vue : non seulement sur le plan mécanique, mais aussi en ce qui concerne le thème, l’histoire, la qualité et, bien sûr, en proposant des prix très compétitifs. Tous nos jeux sous le label NAC Originals sont présentés en anglais et en espagnol dans la même boîte, avec tous les contenus linguistiques dupliqués. Nous réalisons actuellement des ventes régulières en Europe et aux États-Unis et commençons à distribuer nos produits sur le marché asiatique.
Quels sont vos projets en cours ?
Il y en a beaucoup ! En développement, nous avons des jeux comme Al Servicio de la República, El Ocaso de Al-Andalus, Malvinas, parmi beaucoup d’autres que nous n’avons pas encore annoncés. En phase d’édition, nous travaillons sur Marea contra Acero, Héroes de Baler et Asturias 1936-1937. Dans les prochains mois, nous prévoyons la réimpression de jeux épuisés comme El Rey Planeta, The Republic`s Struggle et La Carga de los 3 Reyes, et pour 2026, nous nous lançons à fond dans la campagne que nous préparons sur Gamefound pour Crussade & Revolution Definitive Edition.
Je crois comprendre que vous avez l’intention de publier un jeu sur le Guerre de Malouines. Pourriez vous nous en dire plus ?
Je peux vous donner quelque chose de bien mieux : d’excellents blogs écrits par l’auteur du jeu lui-même. Ils sont en espagnol, mais de nos jours il est très facile de traduire la page automatiquement et à 90 – 95% vous pouvez tout comprendre 😊
Merci Jose. Si vous avez quelque chose à ajouter ou à annoncer à nos lecteurs, n’hésitez pas à le faire ici.
Nous sommes ouverts à l’octroi de licences pour nos jeux en français et nous sommes en contact avec plusieurs éditeurs de votre pays à ce sujet, mais ils disent qu’il n’y a pas de marché pour ces jeux en France ! Devons-nous leur montrer le contraire ?
Bonjour Iván. Comment vous est venue l’idée de publier un jeu sur le roi Philippe IV ?
Iván : Mon intérêt pour ce type de jeu est né avec le film Alatriste (2006), auquel j’ai participé en tant que conseiller militaire. Recréer une époque comme le Siècle d’Or espagnol de manière ludique est devenu l’une de mes priorités.
Notes de Dystopeek : Pour les lecteurs n’ayant pas vu l’oeuvre dont parle Iván. Capitaine Alatriste est un film espagnol contant les aventures d’un soldat et mercenaire au service du roi Philippe IV avec l’excellent Viggo Mortensen (À Armes Egales, Le Seigneur des Anneaux, Sur la Route, Green Book, entre autres) dans le rôle titre. On y rencontre des personnages historiques présents dans The Planet King, tels que Gaspar de Guzmán (le Valido), Francisco de Melo ou María de Castro, maîtresse de Philippe IV. Un film idéal pour se plonger dans l’ambiance du jeu, et inversement.
Revenons aux questions. Combien de temps a-t-il fallu pour concevoir et publier le jeu ?
Créer un jeu comme The Planet King est un processus long et complexe. Toutefois, c’est pendant la période du Covid que le jeu a atteint sa maturité. Une époque où l’on disposait de beaucoup de temps, mais sans adversaires avec qui jouer, s’est révélée très propice pour faire avancer le développement d’un jeu en solitaire. Une époque aussi importante, combinée à un public réduit, a été déterminante pour développer un jeu solo comme The Planet King.
Quelles sont les différentes étapes du processus créatif de votre jeu ?
Tout d’abord, une séance de brainstorming avec des amis a été organisée pour explorer comment développer un jeu solo sur l’époque des Tercios. Grâce à ces idées, un jeu très complet a été conçu (trop complet à mon goût), qu’il a ensuite fallu simplifier afin de le rendre accessible au public, sans pour autant sacrifier la rigueur historique. Une fois un certain équilibre atteint, le jeu est resté en phase de test pendant plusieurs années avant sa publication.
Comment vous est venue l’idée de combiner des cartes Action avec des cartes Événement, au lieu d’une phase Événement classique ?
Je voulais que le joueur ressente l’imprévisibilité du destin, tout en gardant une part de contrôle stratégique. En combinant les cartes Action et les cartes Événement dans une seule pioche, chaque tirage devient un moment de tension : le joueur ne sait jamais s’il va pouvoir agir ou subir les caprices de l’Histoire. Cela renforce l’immersion et l’engagement, tout en simplifiant la structure du tour.
Prévoyez-vous de sortir une extension pour ce jeu ? Avec de nouvelles cartes Événement ? De nouveaux personnages ? De nouvelles règles ?
Nous travaillons actuellement sur une suite thématique de El Rey Planeta, intitulée Le Roi Ensorcelé. Comme son nom l’indique, elle se concentrera sur la vie du fils de Philippe IV, le malheureux Charles II, dernier roi de la Maison d’Autriche en Espagne.
Prévoyez-vous de publier une version complète ? En français ? Avec le plateau, les cartes et les pions traduits ?
C’est une idée, oui. Je sais d’ailleurs que certains éditeurs ont manifesté leur intérêt.
Prévoyez-vous de publier d’autres jeux avec les mêmes règles que The Planet King, consacrés à d’autres monarques ?
Avec Yves Roig, un autre concepteur (Race to the Rhine, Brittany 1944, Gettysburg: A time for Heroes), nous envisageons d’aller un peu plus loin que The Planet King et d’essayer de faire tenir les 72 ans de règne de Louis XIV dans une boîte de jeu. Ce sera difficile, mais Louis aura certainement son propre jeu.
Merci encore à Jose et Iván. Et dans l’impatience de pouvoir jouer, à être le Roi Soleil, si tel est notre bon plaisir.