I, Napoleon
I, Napoleon, le nouveau jeu de Ted Raicer – à qui l’on doit entre autres Paths of Glory et Dark Summer – est un jeu qui fait parler de lui depuis sa sortie cet été. Il est d’ailleurs intéressant de voir comment il est accueilli : aux Etats-Unis les joueurs sont enthousiastes et livrent des retours très positifs alors qu’en France (pays pris en exemple totalement au hasard) l’accueil est plus tiède et les gens lui reprochent de nombreuses choses.
Pas assez de décisions à prendre, pas vraiment un wargame non plus, certains joueurs s’attendaient à autre chose et sont déçus. Ont-ils raison ? Oui, I, Napoleon n’est pas un wargame au sens habituel. C’est un jeu historique, on n’est pas non plus dans la fiction même si bien entendu les événements vécus par le joueur peuvent être différents de ce qui s’est vraiment passé. Mais on part bille en tête dans les détails alors qu’en fait vous, qui avez passé deux mois sur une île déserte, vous ne savez même pas de quoi on parle !
Reprenons au début : dans I, Napoleon, vous dirigez qui vous savez pendant toute sa carrière (qui peut être très courte) de général à empereur. Pour ce faire, vous avez différents deck de cartes présentant différents événements, expéditions à mener, campagnes militaires… Certaines cartes ont des effets immédiats, d’autres vous permettent de recruter un général, vous marier, divorcer. La liste est très longue mais sachez que tout cela est imbriqué et demandera quelques tours avant de se mettre en place.
Un tour de jeu consiste en une phase de ressource, pendant laquelle vous gagnez des points de Gloire, de Diplomatie, Administratifs et Politiques. La Gloire est très importante, si elle tombe à zéro c’est la fin. Gagner une campagne vous en fait gagner, utiliser certaines capacités ou généraux vous en fait perdre. Le compteur va faire du yoyo toute la partie et il va falloir s’habituer à frôler la catastrophe.
Les Points Administratifs servent quant à eux à accomplir une grande majorité d’actions, les points de Diplomatie servent lors de la phase de… Diplomatie et enfin les points Politique seront utilisés pendant la phase de politique intérieure.
Une fois cela fait, le joueur va potentiellement ajouter et retirer les cartes selon l’année qui débute et mélanger le tout. Oui, cela veut dire que chaque année vous allez parcourir votre deck – heureusement vous ne partez pas avec les 220 cartes directement – pour vérifier les dates et le mélanger. Autant vous dire que vous n’aurez jamais deux parties identiques.
Ensuite, le jeu démarre vraiment : vous tirez une carte, la lisez et… appliquez le texte. Cela peut être de la poser sur tel ou tel emplacement, payer un coût pour avoir un bonus, subir un effet négatif ou même faire un jet de dé pour savoir si quelque chose se produit. Puis vous tirez la deuxième carte. Puis la troisième. Arrivé à la 6ème, il vous faut lancer un dé et voir si vous tombez dans la fourchette indiquée (qui change à toutes les cases suivantes). Si oui, vous arrêtez de piocher, si non vous continuez jusqu’à un maximum de 12 cartes.
Ensuite, vient le temps des Campagnes, une partie très importante du jeu. Les campagnes de Napoléon sont là, rapportant Gloire et avantages en cas de victoire, vous en faisant perdre dans le cas inverse. Pour gagner, rien de plus simple : il faut obtenir une… Victoire, soit un résultat de 7 à 10, sachant que 7 et 8 vous font obtenir un résultat Sanglant, pas terrible pour la suite.
Rassurez-vous, vous n’allez pas juste lancer un dé. Chaque Campagne a différents effets ajouter un DRM, positif ou négatif. En plus de cela, lors de la phase de pioche, vous avez pu obtenir des Modificateurs de Campagne, qui peuvent être eux aussi positifs ou négatifs. Ensuite, vous pouvez utiliser vos cartes de Stratégies et Tactiques à condition de pouvoir payer leur coût. Rajoutez ensuite la possibilité de faire intervenir vos différents Généraux (toujours en payant leur coût) et vous voyez qu’il va falloir gérer convenablement vos ressources et vos atouts.
Car si vous obtenez un score inférieur à 2, sachant que le modificateur au lancer de dé va de -4 à +4, vous allez subir une défaite ou, si vous obtenez entre 3 et 6, un match nul qui va vous obliger à refaire un round de Campagne, avec un malus de -1 au dé ainsi qu’une pénalité de Gloire.
Il faut donc mettre toutes les chances de son côté pour espérer ne jouer qu’un round tout en gardant de quoi faire face si la Campagne s’éternise. Et comme certaines obligent à en jouer une autre à la suite ou annulent votre premier résultat victorieux, il y a de quoi être rapidement calmé.
Si les premières Campagnes sont relativement simples à gérer, lorsque vous serez Empereur il faudra en plus prendre en compte les différents protagonistes tirés lors de la première phase. Beaucoup favorisent leurs pays dans les combats et il n’est pas rare de débuter une Campagne à -4 au jet de dé. Mais bon, on n’a rien sans rien.
Une fois la Campagne gagnée ou perdue, on enchaîne avec la phase de Diplomatie où l’attitude des différents pays – Espagne, Russie, Prusse, Autriche (l’Angleterre étant toujours hostile) – va varier selon les traités en cours et votre jet de dé, que vous pourrez améliorer avec les points de Diplomatie. Cette phase conditionne l’année suivant lorsque vous serez Empereur, car c’est là que vous déterminerez contre qui vous rentrerez en Campagne.
Vient ensuite la phase de Politique Intérieure, très meurtrière pour vos points de Gloire puis la phase de nettoyage. On passe ensuite à l’année suivante jusqu’à la fin qui intervient… un peu n’importe quand. Parce que dans I, Napoleon, on ne gagne pas vraiment d’une manière. Et on peut gagner, mais moins que la dernière fois. Pas du fait d’un total de point mais bien de l’événement ayant mis fin à la partie et de l’état de l’Europe à ce moment-là.
I, Napoleon est, comme je vous le disais, découpé en trois grandes phases : la phase où vous êtes simple général, pendant laquelle vous ne vous occupez pas de politique, puis la phase de Premier Consul pour finir avec la phase d’Empereur. Il n’y a pas de moment dédié pour passer de l’une à l’autre mais des prérequis à remplir et surtout certaines dates à respecter. La montée en puissance pendant ces trois phases est très bien rendue, avec la sensation de préparer la suite à chaque fois.
On espère se marier tôt, on espère ne pas tomber sur certains événements pénalisants, on rage de perdre nos généraux (car oui, on teste à chaque Campagne s’ils se font blesser ou pas) et globalement on essaie d’anticiper ce qui ne va pas manquer d’arriver. Sachant que bien souvent… ça n’arrive pas.
La phase d’Empereur est la plus intense et obligé à des choix drastiques : annuler un traité pour déclarer la guerre à un pays et le conquérir pour gagner de la Gloire, savoir comment utiliser nos précieux points de Diplomatie et d’Administration…
Ce n’est pas non plus un CDG où l’analysis paralysis rôde au détour de chaque carte mais il ne faut pas croire qu’on pose simplement des cartes sur la table. C’est d’ailleurs intéressant car si globalement une grande partie du gameplay repose sur cela, la réception ne va pas être la même pour tous les joueurs.
Certains se sont détournés en regrettant de ne pas avoir plus de prise sur le jeu. A ceux-là je répondrai que oui, il y a un script général duquel on ne peut guère dévier. Mais c’est logique, I, Napoleon étant un jeu narratif basé sur des faits historiques. Alors non, on ne va pas pouvoir conquérir la Russie en 1799 après avoir épousé Nelson. C’est décevant je sais, mais je pense aussi qu’une grande majorité des joueurs accepteront le jeu pour ce qu’il est.
N’étant pas spécialement fan de Napoléon – la période et les événements me laissent de marbre – je ne m’attendais à rien mais n’avais pas non plus peur que Ted Raicer trahisse mon héros comme ça doit être le cas pour beaucoup. Et rassurez-vous, il ne le fait pas ! Tout est là pour vous faire jouer le Napoléon que vous voulez, tout en vous amusant. Et la cerise sur le gâteau ? Vous risquez d’apprendre des choses, plein de choses, sur la période. Oui bon je prends peut-être mon cas pour une généralité là…
Concernant le matériel, je vous rassure c’est du pur GMT : superbe plateau de jeu, chapeau à l’artiste, cartes de qualité aux belles illustrations, deux livrets, pions bien épais. Rien à dire à ce niveau ! Concernant les règles et comme il fallait s’y attendre, il y a beaucoup de questions posées sur BoardGameGeek et c’est normal vu les cas de figure possible. Heureusement que l’auteur est très réactif dessus.
Je n’ai fait qu’une seule partie – mais complète avec sûrement quelques erreurs – et j’ai trouvé le jeu intéressant et plaisant avec des mécaniques simples qui réussissent à immerger le joueur dans la vie de Napoléon et les choix qu’il aurait pu faire. C’est là que réside toute l’intérêt du jeu : les choix effectués qui vont amener sur tel ou tel chemin. C’est un jeu, certes atypique pour le petit monde du wargame, mais pas si déroutant que ça même pour un nouveau joueur.
Je dirais que I, Napoléon est un jeu intéressant qui change du Hex & Counter. Si vous ne savez pas par quelle bataille napoléonienne commencer, ce jeu permet d’aborder la vie et les batailles de Napoléon Bonaparte de façon globale, permettant de s’initier au personnage et à sa gloire. Les premiers tours du jeu permettent de se familiariser avec les mécanismes du jeu (qui ne sont pas très compliqués), surtout les campagnes, en douceur sans grand de risque de perdre car il y a peu de choix à faire lors de cette période. Ensuite le jeu se complique progressivement à chaque ajout de deck en adéquation avec la situation militaro-politique de Bonaparte et le nombre de cartes sur le plateau augmente progressivement.
Étrangement, plus Bonaparte monte en puissance, plus ça énerve ses voisins européens… Plus on avance dans le jeu, plus les tours sont longs car il y a de plus en plus de cartes sur le plateau et il faut faire le tour de toutes les cases pour vérifier si des effets s’appliquent. A la fin de la partie, on peut se sentir un peu débordé par le nombre de cartes présentes sur le tableau mais c’est la traduction de l’ambition et de l’ampleur du destin de Bonaparte que I, Napoléon veut vous faire ressentir et y arrive assez bien.
I, Napoleon est-il un jeu que je vous recommande ? Oui, si vous êtes capable de vous raconter une histoire en piochant des cartes et appliquant des effets ici et là. Vous devrez garder pas mal de choses à l’esprit mais globalement votre expérience sera fluide. Vous enchaînerez les expéditions et Campagnes, mettrez l’Europe à feu et à sang ou au contraire ferez la paix avec tous, le tout sans hexagones ni troupes à déplacer sur une carte. A vous de voir.
Si par contre vous n’êtes pas capable de cela, qu’il faut que vous décidiez sans la moindre contrainte de ce que vous allez faire et que vous n’aimez pas les jeux abstraits – ce n’est pas tous les jours qu’on peut conquérir la Prusse avec un dé et une carte Manœuvre sur les Derrières – alors passez votre chemin.
Mais regardez quand même la série de vidéos de Marco Poutré présentée en début d’article. Il a le mérite de parler sans filtre et vous fera parfaitement découvrir les mécanismes pour que vous soyez sûr que ça n’est pas pour vous.
Pour ma part, I, Napoleon est une très bonne surprise qui fonctionne bien avec moi et même si je trouve le jeu un poil trop long (comptez plus de 4h en moyenne mais cela passe mieux avec une pause repas entre les séances), je n’ai pas trop d’appréhension concernant la rejouabilité.
Les parties sont vraiment différentes les unes des autres, je n’ai pas encore tout vu, loin de là, et surtout je ne compte pas non plus y jouer tous les week-ends, ça n’est pas du tout l’esprit du jeu. C’est plus un jeu pour lequel on se réserve un samedi pluvieux et qu’on installe en espérant ne pas piocher trop tôt ce *** de Nelson.
Auteur : Ted Raicer
Artiste : Jacques Onfroy de Bréville
Editeur : GMT Games
Un joueur
De 60 à 240 minutes
Testé sur une version presse fournie par l’éditeur