Early Access: Sea Power: Naval Combat in the Missile Age
Il existe dans le domaine du jeu vidéo une multitude de niches. Les pros du marketing vous parleraient de créneau commercial, un segment de marché où les éditeurs bénéficient d’un nombre limité de clients mais aussi d’un nombre restreint de concurrents. C’est exactement à quoi correspond le domaine du wargame. Et au sein de ce créneau on trouve un sous segment microscopique dédié aux fans du combat aéronaval contemporain. Vous savez (ou pas) les membres de cette secte étrange biberonnés aux ouvrages de Tom Clancy, collectionneurs compulsifs de chaque édition de l’almanach Flottes de Combat et dont le livre de chevet est désormais Vaincre en Mer au XXIe Siècle. Ces mêmes doux dingues passionnés ayant joué et rejoué à la série des Fleet, wargames sur carte édités il y a près de quarante ans par Victory Games, et bien sûr au mythique Harpoon de Larry Bond. Le genre de sacrés mabouls spécialistes pour qui les acronymes anglo-saxons CIWS, ASW, EMCON, SSBN, ou encore AEW n’ont aucun secret et qui attendent toujours le Saint Graal du jeu informatique naval moderne. Et il faut dire que depuis plusieurs années ils étaient plutôt sevrés, à l’exception notable de Combat Modern Operations, présenté par SA_Avenger. Mais c’était il y a cinq ans, et puis ce jeu, bien que d’une indéniable qualité, souffrait de graphismes plutôt arides et d’une interface assez surchargée. Alors réjouissez vous mes frères et mes sœurs car, Neptune soit loué, votre traversée du désert (océanique) est terminée et votre rédemption s’appelle Sea Power.
Un titre faisant référence, bien sûr, à l’ouvrage The Influence of Sea Power upon History de l’historien et stratège naval américain Alfred Thayer Mahan, considéré comme un prophète au sein de l’US Navy. Le jeu, sorti le 12 novembre 2024 en accès anticipé, est réalisé par Triassic Games, un studio indépendant comptant dans ses rangs Nils Dücker, co-concepteur par le passé de titres plutôt réussis tels que Pacific Fleet, Atlantic Fleet et Cold Waters chez Killerfish Games.
Une partie de combat naval ?
Sea Power est donc un wargame en temps réel (que l’on peut mettre en pause afin de donner ses ordres) vous mettant à la tête de forces navales (de surface et sous-marines) et aériennes de l’OTAN ou du Pacte de Varsovie dans le contexte de la guerre froide (ici plus particulièrement des années 60 aux années 80). Sont présentes également les unités navales et aériennes de l’Egypte, de l’Inde, de l’Irak, de l’Iran, d’Israël, du Pakistan et du Nord-Vietnam (liste non exhaustive). Le jeu vous permet de choisir de commander parmi 150 navires, plus de 60 aéronefs, 130 systèmes d’armes, et 50 objets terrestres, avec une vaste encyclopédie détaillant toutes leurs caractéristiques.

Cela va de la modeste vedette rapide iranienne au porte-avions à propulsion nucléaire américain, en passant par pléthore de sous-marins, frégates, destroyers, et aéronefs ayant fait les beaux jours de la guerre froide, mais aussi de nombreux bateaux et appareils civils, auxquels vous aurez à cœur d’éviter de finir détruits par l’un de vos propres missiles.
En effet, dans le jeu, comme malheureusement dans la réalité, les tirs fratricides et les dommages collatéraux sont tout à fait possibles.Il y a cependant deux grosses absentes : la Royal Navy (à part quelques vieilles unités datant de la seconde guerre mondiale) et la Marine Nationale. Pas de porte-avions Foch et Clémenceau donc, même si certains matériels français, ayant eu de gros succès à l’export, sont présents, comme les missiles Exocet, les Mirage F1, ou encore les sous-marins de classe Daphné.

Mais ne négligeons pas le fait que le jeu étant en EA, il ne faut pas désespérer de voir, un jour, les pavillons tricolores flotter en masse sur les océans de Sea Power. D’autant plus que les développeurs mettent en avant le fait que le jeu est hautement moddable. Si pour le moment cette capacité se limite à la création de scénarios, il est prévu à terme, et pour les plus doués en modélisation 3D, de pouvoir créer et intégrer de nouvelles unités au jeu. Mais ce ne sera sans doute pas avant la fin de l’accès anticipé.
La grande révolution est que le jeu est en 3D avec des graphismes de toute beauté et des vues sous tous les angles (y compris en dessous des flots). Fini les quelques pixels abscons pour représenter votre porte-avions et son groupe aérien embarqué à l’écran. Là vous pouvez voir vos F-14 décoller, voler et atterrir (on se croirait, presque, dans Top Gun), vos missiles Harpoon jaillir dans une gerbe de feu et vos torpilles Mk-48 fendre les flots à la recherche des sous-marins soviétiques de classe Alfa.

La mer et la météo sont très bien modélisées que ce soit d’un point de vue des graphismes, mais aussi de leurs effets sur la mécanique du jeu. Ainsi la thermocline, zone de transition thermique entre les eaux superficielles de l’océan (généralement plus chaudes) et les eaux profondes (souvent plus froides) qui impacte la propagation du son (et donc la détection sous-marine) est prise en compte.
C’est aussi le cas de la forte houle (qui va dégrader la détection acoustique et l’allure des navires), du vent, de la pluie et de la nébulosité. Sans parler bien sûr de la profondeur du plancher océanique. Ainsi chercher un sous-marin au milieu de l’Atlantique au cours d’une tempête ne sera pas la même chose que dans les eaux resserrées de la Baltique par temps calme.

Et question son, justement, Sea Power n’est pas avare puisque vos matelots et aviateurs parlent, en particulier pour vous indiquer la détection de pistes radar, lorsqu’ils mettent en action un armement, ou pour vous alerter d’une attaque imminente. Ils s’expriment en anglais, mais aussi en russe (lorsque vous jouez les soviétiques). Je ne peux pas juger pour le russe mais pour l’anglais c’est très convaincant. Le bruit des navires, des aéronefs, des armements et même des sonars est également modélisé. Et puis le jeu se paye le luxe d’une musique de fond plutôt agréable et immersive (désolé, celle-là il fallait que je la fasse).
Comment ça marche ?
Sea Power permet ainsi de jouer des engagements navals sur plusieurs théâtres mondiaux : l’Atlantique nord, le golfe arabo-persique, l’océan indien, le golfe du Tonkin et la Méditerranée (via une vingtaine de scénarios). Vous contrôlerez des navires, des avions et des hélicoptères. Cela peut aller d’un simple sous-marin en patrouille à une Task Force complète avec des dizaines de navires et d’aéronefs (dans le dernier cas on est heureux que le jeu puisse être mis en pause). Comme Sea Power bénéficie d’un éditeur de scénarios, rien ne vous interdit de créer vos propres engagements (ou de télécharger ceux présents sur le workshop), sachant que tous les océans de la planète sont modélisés.

Bien que cela soit prévu dans la feuille de route des développeurs, il n’existe pas de tutoriel à l’heure actuelle. Il faudra se contenter d’un manuel assez succinct pour le moment et des vidéos des passionnés du jeu. Cependant l’encyclopédie incluse dans Sea Power, outre vous fournir des informations pertinentes sur les divers matériels, vous permet de prendre les commandes de n’importe quel navire ou aéronef présent dans le jeu, dans un environnement pacifique (sans ennemi).
C’est un outil idéal pour s’exercer au maniement de vos unités. Les unités sont manœuvrées grâce à de discrets menus déroulants. Si cela peut sembler spartiate, c’est en fait très pratique à l’usage et vous permet de donner rapidement vos ordres concernant la vitesse et la route à suivre, l’activation (ou non) des senseurs (radar/sonar), l’utilisation de l’armement, le contrôle des avaries, etc.

La plupart des fenêtres de Sea Power sont déplaçables et redimensionnables, ce qui vous permet de configurer votre espace de jeu à votre guise. La plus importante d’entre-elles est la carte tactique (Tactical Display) qui donne un aperçu de la situation générale où apparaissent les pistes radar/sonar, qui suivant leur niveau de détection seront classées comme inconnues (symbolisées par un carré), neutres (une croix), amies (représentées par un rond) ou ennemies (un losange).
Il suffit de cliquer sur les plots radar pour interagir avec eux (pour leur donner des ordres s’il s’agit de vos unités, ou leur décocher un missile si ce sont des ennemis). Ce type de fenêtre sera assez familière des fans de Combat Modern Operations.

Une fonction très pratique de la carte tactique, outre le fait qu’elle dispose de nombreux filtres pour hiérarchiser les informations affichées (parfois trop d’info tue l’info), est la présence d’outils de dessins. Ces derniers vous permettent de poser des marqueurs (pour garder en mémoire la dernière position d’un plot radar par exemple), d’utiliser une règle pour mesurer les distances et les azimuts (idéal pour prévoir la trajectoire d’une piste radar ou sonar), ou de tracer des cercles en fonction de distances choisies (indispensable pour visualiser la portée de vos armements et ceux de l’ennemi). Ajoutons à cela que l’écoulement du temps de jeu est réglable à loisir (il est possible de l’arrêter, de l’accélérer ou de le ralentir). Ainsi donc l’interface est plutôt pratique et intuitive, même si jongler rapidement entre plusieurs bâtiments et aéronefs et leurs ordres respectifs peut demander un certain entraînement.
Facile à utiliser, difficile à maitriser
Le jeu est assez facilement accessible. Mais le maîtriser c’est autre chose. Car la tactique navale, elle, n’a rien d’intuitive. Et si vous n’êtes pas membre actif de la secte mentionnée plus haut ou un pro (de plus en plus de militaires s’intéressant aux wargames commerciaux), il y a des chances que vous ramiez un peu (oui celle-là aussi il fallait que je la fasse) et que vos premières expériences se terminent par quelques explosions spectaculaires au sein de votre flotte (heureusement virtuelle).

Dans le combat naval, se déroulant dans un milieu fluide sans ligne de front, contrairement au combat terrestre, l’avantage va principalement à l’offensive et en particulier au camp qui détecte son adversaire et le frappe (décisivement) en premier. Car aucun vaisseau moderne n’est conçu pour résister à l’impact d’une bordée de missiles antinavires ou même d’une simple torpille. Détecter sans être détecté sera donc la clé de la victoire car le meilleur moyen de survivre sera de détruire l’ennemi avant qu’il ait le temps d’agir. Et pour cela il faudra connaître à fond les caractéristiques de vos navires et aéronefs, ainsi que les capacités de leurs senseurs, de leurs armements, mais aussi celles de l’ennemi. Heureusement que l’encyclopédie est là pour répondre à vos interrogations.
La consulter souvent (avant chaque action importante) est un gage de réussite. Mais ce ne sera peut-être pas suffisant, car encore faut-il bien savoir utiliser ses unités afin qu’elles se coordonnent, se soutiennent et se complètent. Gérer la temporalité est également très important. Et cela exige indubitablement de la pratique (ne négligez pas la fonction pause pour prendre le temps de cogiter). Commencez donc par les plus petits scénarios avant de vous plonger dans le grands bain d’engagements mettant en scène des dizaines d’unités. Vous êtes prévenus, la courbe d’apprentissage est pentue mais le jeu en vaut largement la chandelle.

En travaux
Que serait un jeu en accès anticipé sans son lot de bugs ? Oui, car après tout, le principe est que les joueurs s’amusent (ou pas) à les trouver pour faire remonter l’information aux développeurs. Je vous rassure Sea Power n’échappe pas à la règle maintenant bien établie (puisque largement acceptée par les joueurs). Alors oui des bugs il y en a, mais absolument rien de rédhibitoire. Des bugs d’affichage de temps à autre avec des situations incongrues, parfois même cocasses (comme des avions roulant dans l’herbe plutôt que sur le taxiway et décollant hors de la piste). Plus grave, pour le moment l’IA est peu compétente quant à la gestion des porte-avions. Confiez lui un porte-avions nucléaire américain et elle ne saura pas vraiment quoi en faire. Donnez-lui des hélicoptères de lutte anti-sous-marine et elle ignorera comment utiliser des bouées de détection acoustique.
Certaines fois les F-14 que vous aurez envoyé en patrouille et auquel vous aurez donné l’ordre de revenir à la base s’écraseront en mer plutôt que de pouvoir atterrir sur leur porte-avions. Oui, c’est déjà arrivé plusieurs fois dans la réalité, mais là c’est très (trop) souvent. Si dans l’ensemble la modélisation des navires et des sous-marins est quasiment sans faille, la troisième dimension s’avère problématique à gérer par le système pour le moment. Il faut dire que la guerre navale moderne, avec de multiples facteurs à prendre en compte, est loin d’être facile à modéliser. Précisions que le jeu a été testé sur une version pré-lancement (Stable #71) et qu’entretemps certains bugs pourront avoir été corrigés.

Heureusement les développeurs ont mis l’éradication des bugs comme prioritaire sur leur feuille de route, tout comme une amélioration de l’IA (qui dans certains domaines en a besoin) et de l’interface (qui n’est déjà pas si mal). Viendra ensuite une campagne dynamique en version Alpha (sur fond d’affrontement OTAN vs Pacte de Varsovie), des améliorations de l’éditeur de jeu et une intégration plus poussée de celui-ci au Steam Workshop. Par contre pas de multijoueur en vue à court terme.
Selon les développeurs cela de vaut pas le coup d’un point de vue économique (faible nombre de joueurs réellement intéressés). A moyen terme ils prévoient la traduction de l’interface (pour le moment celle-ci est en anglais, en allemand, en chinois ou en russe), d’avantages d’unités (oui, on en redemande !), des tutoriels, de nouveaux mécanismes de jeu et de nouvelles fonctionnalités pour la caméra.

Enfin sur le long terme (là on parle probablement de long mois, voire d’années) : La campagne dynamique en version finale, toujours plus d’unités et de scénarios historiques, puis la fin de l’accès anticipé et qui sait, après peut-être quelques DLC. Dans la campagne dynamique, contrairement aux campagnes linéaires qui limitent la rejouabilité, il est prévu que les résultats de chaque scénario influencent les événements ultérieurs.
Les ressources, telles que les munitions et les unités, devront être gérées avec soin, car les pertes et l’épuisement des stocks d’armes (en particulier les missiles) pourront affecter les opérations futures. Vous aurez également à faire face à des évènements aléatoires de nature politique et/ou militaire. Bref, un menu plutôt alléchant.

Retex
Bon, si vous êtes membres à part entière des adorateurs de Neptune, vous avez sans doute déjà craqué et êtes en train de télécharger le jeu (assez léger, avec environ 12 Go pour le moment). Pour les autres le jeu vaut-il un achat en version EA ? J’aurai tendance à opter pour l’affirmative, car Sea Power, même en l’état actuel fonctionne plutôt bien et peut vous offrir de longues heures de détente (ah, les croisières !) ponctuées de moments d’intense angoisse lorsque vos marins hurleront ‘Vampire ! Vampire !’, ce qui ne voudra pas dire que vous serez confronté à Dracula, mais au contraire qu’une volée de missiles antinavires aura pris pour cible votre vaisseau amiral.
Situation guère moins stressante qu’un ‘Torpedo in the wader !’ (oui avec un D pour l’accent américain). Ainsi même si vous n’êtes pas fans de la chose navale (soyons tolérants, personne n’est parfait) le jeu mérite assurément d’être découvert et pour l’occasion, même un Dystophoque, pardon, je voulais dire un Dystoseal.
Genre : Wargame aéronaval 3D en temps réel
Développeur : Triassic Games
Éditeur : Micro Prose
Plateforme : Steam
Date de sortie en Early Access : 12 novembre 2024
Testé sur une version presse fournie par l’éditeur