Phantom Fury
Sortie en 2011 chez Nuts ! Publishing pour la France, la première édition de Phantom Fury, jeu solo conçu par Laurent Closier, avait rapidement trouvé son public et avait même fait une apparition chez les nominés pour les Charles S. Roberts Awards, excusez du peu. Mais le jeu étant en rupture depuis des lustres, il fallait songer à une réédition, ce qu’a fait Nuts! En cette fin d’année 2024.
Alors deuxième édition, qu’est-ce que ça veut dire dans le cas présent ? Et bien une refonte de la carte, bien plus lisible maintenant, plus de variation dans les valeurs de combat des insurgés et quelques règles additionnelles. Pas de quoi brûler sa première édition, mais sûrement assez pour motiver les futurs acheteurs.
Phantom Fury est donc un jeu solitaire dans lequel le joueur, à la tête d’un bataillon d’US Marines va rejouer la deuxième bataille de Fallujah qui a eu lieu en 2004. C’est un jeu à l’échelle tactique, chaque pion US représentant un groupe de 6 à 12 hommes et chaque pion d’insurgés en représentant 6.
Les troupes US peuvent subir un pas de perte alors que les insurgés sont directement éliminés. Notons aussi que ces derniers sont divisés en deux groupes : les martyrs et la guérilla. Si les premiers se feront toujours tuer sur place, les seconds n’hésiteront pas à retraiter après un affrontement. Cela peut sembler un détail, mais nous allons voir que non.
Si l’échelle est tactique, oubliez les représentations habituelles du terrain avec des hexagones. Ici la carte est divisée en 61 zones (des bâtiments en fait), elles-mêmes découpées en lieux. Ces lieux seront les étages, le rez-de-chaussée, la cour et le toit de chaque bâtiment. Les troupes peuvent se positionner uniquement sur ces lieux, sachant qu’un seul groupe US peut attaquer un bâtiment.
C’est là toute la difficulté pour le débutant devant Phantom Fury : appréhender le terrain. Habituellement, vous pouvez vous déplacer d’un hexagone ou d’une zone à l’autre, en payant le coût du terrain. Ici c’est plus simple, d’une certaine manière, mais aussi plus compliqué parce qu’il va falloir vous habituer à une certaine gymnastique mentale.

Tout d’abord, les lieux divisant une zone sont connectés de manière logique (le rdc au 1er étage, le 1er au 2ème, le 2ème au toit) et servent aussi à connecter certaines zones entre elles, via le toit par exemple. Cela va vous permettre de très rapidement passer d’une zone à l’autre tant qu’elles sont dans le même bloc.
Rajoutez des rues, parce que nous sommes en ville, qui vont vous permettre de passer d’un bloc de zones à l’autre mais aussi des bâtiments fortifiés et vous obtenez une configuration originale du terrain qui va dicter le tempo de vos opérations.
Comme le but est de vider les 61 zones, le joueur débutant va être tenté d’envoyer ses squads nettoyer un bloc avant de passer au suivant. Cette méthode fonctionne… au début. Parce que très vite, la résistance va varier, il va falloir faire appel à du soutien et les pertes vont s’accumuler. Et ça, c’est ce que l’on veut éviter.

Un tour se divise en plusieurs phases : la phase de soutien, la phase de renforts des Marines, la phase de tir, la phase de mouvement, la phase d’assaut est enfin la phase de réorganisation. La partie s’arrête lorsque toutes les zones sont conquises ou à la fin du 16ème tour. Il y a du temps, mais il ne va quand même pas falloir flâner en chemin !
La phase de soutien permet de faire intervenir un drone, un hélicoptère d’assaut ou un F18. Le premier sert bien entendu à faire de la reconnaissance et peut servir 4 fois alors que les appareils d’attaque sont limités à 2 et 1 utilisations. Petite subtilité : leur intervention peut être retardée et vous pouvez, si vous le désirez, tout utiliser à n’importe quel tour. Ce sera à vous de gérer au mieux ce soutien.
La phase de renforts permet de faire intervenir des renforts de l’armée Irakienne ou d’autres groupes de combat. Attention toutefois, si vous demandez des renforts au niveau du bataillon, vous perdre des points de victoire !

La phase de tir permet quant à elle de vous débarrasser (ou du moins d’essayer) à distance de troupes retranchées dans un bâtiment distant sur lequel vous avez une ligne de vue. Les chances de réussir sont minces mais ce soutien à distance peut considérablement aider les troupes montant à l’assaut, surtout si c’est votre char qui tire !
La phase de mouvement maintenant, où chaque escouade n’ayant pas tiré dispose de 4 points de mouvement. Ils vont servir à passer d’une case à l’autre au sein d’un bâtiment (pour monter un étage par exemple) ou pour traverser la rue pour accéder à une zone voisine. Attention par contre, si vous traversez une rue vous risquez d’être pris pour cible et de vous retrouver clouer, ou pire, de subir des pertes.
On va donc soigneusement planifier le mouvement de chaque escouade pour qu’elle utilise au mieux sa force de frappe et qu’elle attaque les zones dans les meilleures conditions. Notons que chaque escouade peut laisser à l’entrée d’une zone un élément de sécurité (en fait un binôme qui reste en arrière pour couvrir ses camarades) qui va compenser la perte de puissance de feu en interdisant le repli des troupes adverses.

Nous voici arrivés à la phase d’assaut, qui est presque la plus importante. Parce qu’il ne faut pas négliger la phase de mouvement qui va justement vous placer dans les meilleures dispositions possibles pour ce fameux assaut. Il y a trois types d’assaut : normal, du bas vers le haut et du haut vers le bas. Ces configurations vont vous apporter des bonus ou malus et surtout, dans le cas du haut vers le bas depuis le toit, vous permettre de dévaler les escaliers en attaquant tout ce qui se trouve sur votre chemin. Une économie de moyens, car vous êtes sinon limité à un assaut par groupe à chaque tour, qui peut s’avérer risquée si votre squad a subi des pertes.
Une fois tous les assauts terminés, on regarde quelles zones passent sous votre contrôle, si les insurgés arrivent à se glisser entre vos lignes et on prépare tout le monde pour le prochain tour. Rincer, répéter jusqu’à la victoire finale ou, plus raisonnablement, la fin de la partie où on s’aperçoit qu’on a perdu bien trop d’hommes…
Voilà, vous connaissez les bases de Phantom Fury, on peut maintenant passer aux combats ! Parce que c’est bien beau de parler d’assauts, de tirs et de soutien, mais il faudrait peut-être détailler tout cela. Chaque escouade a une valeur de combat (de 4 à 6), tout comme les insurgés (de 1 à 4). Pour qu’une attaque porte, il faut faire autant ou moins que cette valeur avec un D10.

Les américains ont donc un avantage, mais pas si important que ça, surtout qu’ils sont en infériorité numérique et que les jets vont se multiplier. Il y a bien entendu une grande variété de facteurs qui viendront altérer ces jets (si vous attaquez du bas vers le haut par exemple) et si un groupe de guérilla survit, alors il fuira. Voilà pourquoi il est parfois risqué de faire un assaut depuis le toit, il vous oblige à affronter aveuglément tous les groupes d’un même bâtiment.
Et je dis aveuglément pour une bonne raison : quand vous activez un bâtiment, c’est-à-dire quand un de vos groupes se retrouve, en fin de tour, adjacent à un nouveau bâtiment, vous allez peupler ce dernier avec des marqueurs. Ces marqueurs Suspects peuvent cacher des insurgés, des IEDs ou rien du tout. Les seuls moyens de savoir, en plus du drone bien entendu, sont de tirer dessus ou de lancer un assaut.
Vous pouvez donc vous retrouver à dévaler un escalier en tirant sur… rien du tout ou au contraire partir à l’assaut d’un bâtiment abritant énormément d’ennemis de force aléatoire. Et c’est aussi pour cela qu’il faut éviter autant que possible les replis des guérillas, qui viennent grossir les potentiels rangs des insurgés. On repousse certes la menace d’une zone, mais pour en renforcer une autre.

Et c’est là que le talent de Phantom Fury s’exprime : il est très rare de savoir dans quoi on se lance. Le bâtiment n’a que quelques marqueurs Suspects, faut-il perdre du temps à l’arroser de loin ? Utiliser un soutien ? Foncer dans le tas ? Et si on fonce, envoie-t-on une section renforcée d’experts en explosifs ? Ou une simple escouade dont la perte serait moins grave ?
Il faut donc être méthodique, prudent mais ne pas hésiter à tenter des coups. Traverser les rues se planifie bien à l’avance si on veut éviter les tirs venant des lieux alentours, le char, si utile pour son soutien, se révèle bien vite insuffisant. Faut-il faire venir plus de troupes pour mieux quadriller le terrain, mais perdre ce faisant des points de victoire ?

Bien souvent, les jeux solitaires sont sur des rails. On sait qu’il y a quelques possibilités que tel événement se produise, que tel autre soit plus rare. Dans Phantom Fury, tout est aléatoire et si le plan à suivre est évident au départ, on doit vite s’adapter. Il m’est ainsi arrivé d’être totalement bloqué sur un flanc malgré de gros moyens engagés, alors que d’autres sections volaient d’un assaut à l’autre. Les allergiques à l’aléatoire seront prostrés sous leur chaise, mais le combat urbain n’est-il justement pas un chaos total ?
En cela et en bien d’autres choses Phantom Fury remplit donc parfaitement sa mission. Si la lecture des règles est un peu ardue au premier abord car le livret est étrangement agencé – il est d’ailleurs conseillé de faire deux lectures, une pour s’habituer aux termes et concepts et l’autre pour pleinement les comprendre – quelques tours avec les aides de jeu à la main suffisent à comprendre la dynamique et à surtout maîtriser cette carte au découpage si atypique. On se prend alors à planifier de courtes séquences, sur un ou deux tours, avant de passer à la suivante entre deux tours.

Nettoyer la carte est faisable avec un peu de pratique, mais n’est pas l’essentiel pour gagner. Ce qui importe, c’est de limiter au maximum les pertes, qui sont très pénalisantes. Pour finir, je n’en ai pas parlé dans cet article bien trop long, mais il y a une multitude de petites choses qui permettent au joueur de vraiment être dedans et de s’imaginer nettoyer Fallujah : événements permettant l’apparition de héros ou au contraire de tomber sur des insurgés drogués faisant fi des pertes, gestion des civils, tirs de RPGs… Imaginez-vous sur Six Days of Fallujah, faites un zoom arrière et voilà, vous avez Phantom Fury.
Vous aimez les conflits modernes ? Vous n’avez pas d’ami ? Vous voulez un jeu qui va vous occuper un après-midi et offrir une bonne variété sans avoir des dizaines de paramètres à gérer ? Avec une bonne production (même si j’avoue qu’une carte montée aurait été le pied) ? Alors ne cherchez plus, cette deuxième édition de Phantom Fury est faite pour vous.
Auteur : Laurent Closier
Développeur: Thomas Pouchin
Editeur : Nuts! Publishing
1 joueur
Testé sur une version presse fournie par l’éditeur