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Undaunted: Normandy

Edité par Osprey Games, Undaunted: Normandy permet à deux joueurs de s’affronter dans les camps opposés de la 30ème Division d’Infanterie de l’US Army et de l’armée allemande pendant la bataille de Normandie à partir de mi-juin 1944.

Sa particularité est d’associer à des principes tactiques généraux un élément rare dans ce type de jeu : le deck building. Ce n’est pas un wargame mais plutôt un jeu abstrait : par rapport au thème, ce jeu est assez inhabituel.

S’il m’est arrivé à plusieurs reprises de parcourir la Normandie ces derniers mois, c’était dans des jeux vidéo : Close Combat (Gateway to Caen ou The Bloody First), ou Unity of Command 2. J’ai même passé des vacances au mois d’août dernier dans cette superbe région. C’est pour dire que je me suis retrouvé en terrain connu, et non pas forcément conquis comme vous allez le constater.

Matinée dans la brume, la bataille va commencer.

Revue d’effectifs

Le joli matériel de Undaunted: Normandy se compose tout d’abord de cartes représentant les forces des deux camps. Si leur effectif total est similaire, les scénarios ne mettent pas forcément aux prises des groupes complètement identiques. L’un peut par exemple avoir des snipers ou des mitrailleurs et pas l’autre. Ces cartes sont plutôt réussies et permettent d’identifier très facilement à quel spécialiste nous avons affaire (fantassin, scout, sniper, mortier, mitrailleur) avec toutefois des visages et des noms qui personnalisent chacun des soldats.

Des soldats allemands.
Des soldats allemands.

Ce sera ainsi plus douloureux de les voir tomber sous les attaques ennemies, du moins si vous êtes du genre roleplay. Une tentative de glisser une impression de réalité dans l’abstraction…

En dehors des cartes à jouer, vous disposez d’une vingtaine de grosses tuiles carrées recto verso qui permettent de construire le terrain. Ces tuiles portent des éléments de décor distincts : champ, forêt, rivière, maisons et ont donc une capacité de couverture différente, ce qui s’avérera un élément capital de votre tactique.  Allez, où sommes-nous les mieux protégés ?  Vous avez 10 secondes… la forêt, bien joué !

Cachés dans un village.
Cachés dans un village.

Des jetons placés sur ces tuiles indiquent les points de victoire que ces emplacements peuvent nous rapporter et également les points de spawn (ou d’apparition) de vos unités. Un livret de scénarios fourni avec le jeu vous décrit donc les éléments à mettre en place : structure du terrain, effectif des deux camps, points stratégiques.  Il est également possible de construire ses propre scénarios et on en trouve une multitude sur internet, ce qui prolonge l’intérêt du jeu.

Ce livret de scénarios propose donc des situations tactiques variées. Les terrains peuvent être vastes ou exigus, comporter des éléments de couverture ou pas et les conditions de victoire ne sont pas forcément les mêmes : atteindre un certain point, obtenir 6 points de victoire en contrôlant des cases, éliminer tous les fantassins ennemis… A noter que les objectifs ne sont pas forcément identiques pour les deux camps en présence, ce qui entraîne un jeu plutôt asymétrique. Logique, vu la configuration du conflit en cet été 1944 : un « envahisseur » américain contre un défenseur allemand…

Les 12 scénarios peuvent se jouer sous la forme d’une campagne. Dans ce cas-là, à chaque fin de partie des points seront attribués aux deux camps. Le résultat final tiendra compte aussi des pertes. Soyez économes de vos hommes, comme un bon officier stratège !

Tirez… des cartes !

Comment se déroule un tour de jeu ? Chacun des deux joueurs tire 4 cartes au hasard et en choisit une qui servira à déterminer l’initiative, en clair lequel des deux va commencer le tour. A cet effet, chaque carte possède une valeur d’initiative en rapport. Cette carte ne sera pas utilisé pour les manœuvres à venir. L’initiative peut revêtir un rôle très important car le premier à se déplacer et à tirer peut en profiter pour obtenir un avantage. Dans d’autres cas il pourrait être utile de laisser l’initiative à son adversaire ou de se débarrasser d’une carte peu utile.

Phase d’initiative résolue : les US joueront en premier.

Puis chacun des deux joueurs va jouer les trois cartes qui lui reste dans l’ordre qu’il souhaite. Chacune de ces cartes lui permet de réaliser une action (déplacement ou tir), mais d’autres pouvoirs spécifiques sont accessibles ! Ainsi le fantassin est la seule unité qui permet de contrôler une des cases et qui dit “contrôle” dit “point de victoire associé à la case”.

Le scout, lui, permet de générer du brouillard de guerre. Une de ses actions ajoutera une carte “Fog of War” au deck de l’adversaire. Cette carte est profondément inutile : quel plaisir de gonfler le deck adverse de 10 cartes Fog of War ! Et c’est également le scout qui permet d’éliminer une de ces cartes de votre propre jeu, à savoir que pendant ce tour il ne pourra effectuer que cette action et pas une autre. Je regrette un peu l’appellation Fog of War : dans Undaunted Normandy les unités adverses ne seront jamais invisibles.

Plutôt que le “Brouillard de Guerre” bien connu des RTS (et qui correspond à un des éléments de la bataille de Normandie, les lignes de vues parfois bloquées), il s’agit ici de simuler la confusion, les communications dégradées, la diversion ou la désinformation par l’ennemi. A noter que la reconnaissance d‘une tuile par le scout vous ajoute également une carte FOW.

Ma main de 3 cartes
Ma main de 3 cartes, dont une Fog of War qui ne sert à rien !

 Le sniper et le mitrailleur ont une puissance de feu supérieure (avec donc plusieurs dés à lancer) et pour ces derniers, un tir de suppression qui rend facilement l’unité inopérante momentanément. En revanche aucune de ces deux n’est en mesure de pouvoir contrôler une des cases…

Enfin des cartes représentant des sous-officiers ou officiers permettent de gonfler votre jeu en recrutant parmi les réserves disponibles d’autres mitrailleurs, scouts, fantassins, qui viennent  renforcer votre deck initial. C’est là que le deckbuilding est à l’oeuvre : recruter un autre scout, ou bien renforcer les fantassins qui dégustent ? Et si j’appelais deux snipers d’un coup ? Cette gestion est primordiale et influera sur vos options tactiques à venir.

cartes
Ce gentil sergent me permet d’appeler des renforts.

« Balancez-moi tous vos dés sur le sniper ! »

Une attaque se déroule en deux temps. On estime tout d’abord la valeur de défense constituée par la somme de la défense de base de l’unité, la capacité de couverture de la zone et la distance du tir. Pour toucher un fantassin (défense 4) retranché dans l’église (couverture 1) à 2 cases de distance, il faut réussir un… 7. Si il est à découvert dans la case voisine c’est 5 !

Puis c’est l’heure du dé à 10 faces. Pour toucher la cible il faudra que le dé lancé (ou l’un des dés pour certaines unités) soit égal ou supérieur à cette valeur de défense.

Les cartes que vous venez de jouer (initiative, manœuvre et attaque) vont dans votre défausse et reviendront pour reconstituer votre deck lorsqu’il sera vide. En revanche les cartes des unités éliminées disparaissent du jeu.

Le riflemen allemand doit faire 7 pour toucher les Gunners, 8 pour les Scouts (5+1+2)

Quand le joueur qui avait l’initiative a terminé, c’est à l’autre de jouer ses cartes… ou du moins ce qu’il en reste. Car si un des tirs a fait mouche sur un groupe de fantassins, celui qui était dans votre main peut très bien être éliminé.

Il faut donc à partir du peu de cartes que l’on possède, faire les meilleurs choix entre déplacement, tir ou action spécifique.  Votre sens tactique sera mis à l’épreuve avec un dilemme certain entre la nécessité de parcourir le terrain et celle de protéger vos hommes. Vous n’aurez parfois que 2 scouts ou 3 fantassins. En perdre un ou deux devient un vrai problème. Et chaque carte éliminée signifie une option de moins pour la suite…

Certains scénarios engendrent des parties extrêmement rapides de 2 ou 3 tours, mais plus ils vont dans la complexité et plus la durée et la richesse de l’affrontement iront croissants.

Il faut sauver le soldat Machin là…

C’est une impression étrange que de jouer à un jeu d’affrontement tactique durant la Deuxième Guerre mondiale sans lignes de visée, sans hexagone, sans gestion du ravitaillement ou de la communication avec le commandement. C’est en cela que le jeu est abstrait : vous jouez des cartes, déplacez des pions et lancez des dés. On est light en gameplay, mais la réflexion et la tension sont présents. La phase de choix de la carte pour l’initiative constitue souvent un vrai dilemme et un premier tournant. Il peut même vous arriver d’obtenir l’initiative dont vous ne vouliez pas !

Puis vient le moment de jouer vos cartes, ce qui se fait assez logiquement en fonction de la situation et de la composition de votre main.

Les moments de gloire ou les exploits peuvent avoir lieu, et il est agréable d’être récompensé d’une action d’éclat. Sinon votre soldat meurt en héros et vous lui promettez de le venger. 

Une partie en ligne sur Table Top Simulator
Une partie en ligne sur Table Top Simulator.

Le mélange du deck building et de sa traduction par des affrontements tactiques constitue un cocktail assez savoureux que je ne connaissais pas jusqu’alors. Le succès a été au rendez-vous puisque le jeu est extrêmement bien noté sur BGG, et a remporté le prix du meilleur Wargame de l’année 2019 (Golden Geek Award). Une extension se déroulant en Afrique du Nord (Undaunted: North Africa) est en cours de production et devrait sortir en ce mois de juillet 2020, en opposant les Italiens aux Anglais dans le désert.

Il est possible de jouer en Solo avec des règles adaptées qui mettent hélas de côté cet aspect intéressant qui est celui de la gestion de l’initiative.

Joli, malin, accessible mais pas simpliste. Pour ma part, je valide ce jeu qui donne un aperçu de l’âpreté du combat tactique sans avoir à posséder les compétences du wargamer.

miniAuteurs : Trevor Benjamin, David Thompson

Artiste : Roland MacDonald

Editeur : Osprey Games

de 25 à 60 minutes

2 joueurs