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Hispania

Le milieu du jeu d’Histoire, même si c’est un marché de niche, peut être extrêmement dynamique. J’en veux pour preuve Draco Ideas, un éditeur espagnol qui depuis 2014 n’a de cesse de publier. De Onus! (dont je vous parlerai un jour, promis) à 2GM Tactics en passant par une multitude de traductions en espagnol, l’éditeur enchaîne les sorties et les campagnes participatives. Alors quand ils annoncent qu’ils s’occuperont d’Hispania, le prochain jeu de Miguel Marqués – auteur de Tetrarchia en interview à la fin de cet article – Dystopeek était obligé de couvrir l’événement. Et pour ce faire, quoi de mieux qu’une petite présentation du jeu par l’auteur lui-même, via un module Vassal et une visio-conférence en pleine campagne Gamefound ?

Si je ne vais pas vous parler aujourd’hui de Tetrarchia – ce que je ferai peut-être prochainement – il faut savoir que certains de ses concepts ont été repris par Miguel pour la conception d’Hispania. Les vétérans de ce jeu coopératif seront donc en terrain connu pour nombre de règles, les autres se rendront compte, comme moi, que ces dernières sont accessibles et surtout très logiques.

Si Tetrarchia mettait les joueurs dans les sandales de généraux Romains devant défendre l’Empire face aux invasions barbares du IIIème siècle, Hispania propose quant à lui de partir – toujours dans des sandales romaines – à la conquête de la péninsule ibérique à l’issue des Guerres Puniques. Oui, un coopératif historique dans lequel les joueurs ne font pas que se défendre, ça change !

Prévu pour un à trois joueurs, avec une carte divisée en six provinces auxquelles s’ajoutent deux zones romaines sur la côte Sud, quelques disques et meeples, Hispania frappe par la sobriété de son matériel. Ça nous change du kiloplastique et permet de garder un plateau lisible et aéré, comme c’était déjà le cas avec Tetrarchia.

Avant de commencer à vous décrire les mécanismes du jeu, sachez qu’il y a pas moins de 243 niveaux de difficulté en modulant les cinq différents paramètres du jeu (nombre d’actions par tour, nombre de flottes et de voies romaines de départ, d’armées ennemies et garnisons par général). Dans les lignes qui suivent, nous considérerons que les paramètres de base sont sélectionnés. Sachez donc que le challenge offert par Hispania sera forcément à votre portée avec un tel choix à disposition.

Gagner à Hispania est simple : les joueurs doivent placer une garnison romaine dans chacune des capitales de province avant la fin du temps imparti. Ils vont diriger, chacun leur tour, leur général qui dispose d’un nombre d’actions (symbolisées par des deniers) défini par la difficulté sélectionnée. Les actions possibles sont : déplacer leur général d’une ville à l’autre, déplacer une flotte, assiéger une ville, attaquer une armée ennemie, poser ou récupérer une garnison.

Les déplacements sont simples : chaque route est découpée en segments, de un à trois, qui symbolisent le nombre d’actions nécessaires à utiliser pour rallier la ville suivante. De manière logique, les zones montagneuses sont moins faciles d’accès. Notez que les flottes permettent de se déplacer très rapidement d’une côte à l’autre, mais ne permettent de débarquer des troupes qu’en quelques points. Elles sont aussi limitées en nombre, défini par votre niveau de difficulté.

Poser ou récupérer une garnison (dont le nombre limité est déterminé au début par… le niveau de difficulté, c’est bien vous suivez) sert plusieurs buts. D’une part, cela empêche l’apparition de nouvelles révoltes dans la ville correspondante, d’autre part cela procure un bonus lors des combats, sur lequel nous reviendrons.

Assiéger une ville : le joueur adjacent à une ville peut l’attaquer si une révolte y est en cours. Il doit faire, en jetant un dé, un résultat strictement supérieur à la valeur indiquée dans le petit bouclier à côté de la ville. Il y a 6 villes par province et ces valeurs vont de 1 à 6. S’il réussit, un disque noir présent dans la cité est enlevé, s’il n’y en a plus un mouvement vers la ville est autorisé. Mais s’il en reste, il faut recommencer, sachant qu’il peut y avoir jusqu’à 3 garnisons révoltées !

Que ceux qui bougonnent déjà contre le hasard se rassurent : en étant adjacent à une garnison ou un groupe de garnisons (c’est-à-dire qu’elles sont dans des villes adjacentes les unes aux autres), le joueur peut rajouter autant à son lancer qu’il y a de garnisons dans ce groupe. Il peut aussi avoir jusqu’à +3 en misant autant de deniers pour le siège (sachant que le minimum est 1). En venant bien préparé, il est donc possible de réussir automatiquement, même si cela peut ralentir le joueur.

Ensuite, les joueurs peuvent attaquer une armée rebelle. Les bonus sont calculés de la même manière que pour le siège. Sauf que… les rebelles font de même. Vous allez en effet jeter deux dés, un pour chaque camp, et rajouter les groupes de garnisons (de votre couleur pour votre total, noires pour l’adversaire) connectées. En cas de victoire l’armée adverse est enlevée du plateau, en cas de défaite c’est votre général qui est forcé de se retirer à Rome jusqu’au prochain tour !

Une fois les actions du joueur dépensées, place aux révoltes qui sont générées aléatoirement en jetant deux dés : un pour la province et un pour la ville où la révolte apparaîtra. Si la ville était vide, on place un disque noir. S’il y en avait déjà un, alors une armée ennemie fait son apparition. S’il y avait déjà une armée, on place un disque… Ensuite, chaque armée présente sur la carte se déplace et génère une révolte sur sa destination.

Oui, si vous ne faites rien, les révoltes se répandent très vite et surtout les armées deviennent très rapidement puissantes, vu qu’elles génèrent des révoltes un peu partout. Cerise sur le gâteau, si une province est entièrement remplie de révoltes, l’armée va se déplacer dans la province voisine et recommencer.

C’est ensuite au joueur suivant de jouer puis aux révoltes… tout cela sur 11 tours. Si vous avez pensé Flash Point pour la génération aléatoire des révoltes, gagné, Miguel m’a avoué être un grand fan. C’est très malin et oblige les joueurs à rester sur leurs gardes, vu qu’il est impossible de prévoir où les révoltes seront générées.

Mais, vous allez me dire, il suffit de se précipiter vers les capitales pour les occuper et ainsi gagner. Si seulement… Voyez-vous, dans Hispania pour mettre à genoux une province, il faut, avant d’occuper sa capitale, anéantir toutes les révoltes présentes dans la province. Si c’est facile sur les provinces proches du sud, où deux généraux démarrent (le troisième arrivant sur une flotte), ça l’est beaucoup moins dans les autres où les armées et les dés ont le temps de travailler contre vous.

Il faut donc que les joueurs se dépêchent d’intervenir, pour empêcher une véritable marée de révoltes, tout en sécurisant leurs arrières et sacrifiant des garnisons. Vite avec des risques ou lentement avec l’assurance de réussir…

Il y a beaucoup de choses qui rendent Hispania très particulier. Tout d’abord, le niveau de coopération attendu des joueurs. Comme on l’a vu, les armées rebelles peuvent bien vite devenir trop puissantes pour un seul joueur. Pour les vaincre, il faut donc non seulement essayer de les couper de leurs chaînes de révoltes, mais aussi s’associer pour les combattre. C’est pourquoi, si deux généraux Romains sont adjacents à la même armée (ou garnison) ennemie, alors le total du général attaquant est doublé ! Ou quadruplé si les trois généraux joignent leurs forces. Malheureusement, la même chose est valable pour les armées ennemies…

De plus, le nombre d’actions étant limité, il faut non seulement essayer de rentabiliser ses propres actions en anticipant son prochain tour, mais aussi et surtout penser au tour du joueur suivant et à la manière de lui faciliter la vie. Parce que si un général est perdu, non seulement son personnage ne reviendra sur la côte Sud qu’au tour d’après, ce qui fera perdre beaucoup de temps, mais aussi son absence pénalisera ses camarades qui auront une action en moins à leur disposition (une action étant un denier, cela permet de simuler l’effort de Rome pour lever une nouvelle armée) et surtout ne pourrons profiter de son soutien. Une sanction collective à un échec individuel, voilà qui permettra de conserver une bonne ambiance autour de la table !

Hispania est comme ça, plein d’excellentes idées. Si la carte peut sembler facile à occuper militairement, il faut garder à l’esprit que les généraux n’ont qu’un nombre limité de garnisons à leur disposition (il y a 36 villes rebelles et 5 garnisons maximum par général…). Il est tentant (et recommandé !) d’avancer en faisant les chaînes les plus longues possible, vu que cela empêche la génération de révoltes en plus de renforcer la force militaire.

Mais on s’aperçoit très vite que pour avancer, il faut prendre des décisions : soit revenir en arrière pour récupérer certaines garnisons, soit tenter le diable et jouer avec les bonus apportés par les combats impliquant plusieurs généraux. Dans tous les cas, savoir quand avancer, quand s’étendre ou se renforcer sera primordial.

Hispania, sous ses airs de petit jeu simple, est en fait diabolique. Déjà de par les paramètres sélectionnés pour graduer la difficulté. Si les voies romaines, dont je n’ai pas trop parlé mais qui, posées à la mise en place du jeu, servent non seulement à transformer n’importe quelle route en une route à 1 segment mais aussi et surtout à considérer que la voie entière est un seul grand segment (et ne coûte donc qu’un point pour être emprunté), sont importantes au début mais moins par la suite, il n’en est pas de même pour les garnisons et deniers par exemple.

Savoir s’adapter aux contraintes est quelque chose qui prendra du temps et qui transformera à coup sûr la physionomie des parties. Fort heureusement, celles-ci étant rapides – comptez une heure si vos collègues ne sombrent pas dans l’analysis paralysis – il est très facile de les enchaîner.

J’ai beaucoup apprécié la démonstration avec Miguel. D’une part parce qu’il n’y a rien de mieux que de découvrir un jeu avec son auteur et d’autre part parce que cela m’a permis de discuter avec un passionné. On sent qu’il a énormément réfléchi à toutes les facettes du jeu, qu’il s’est beaucoup appuyé sur son expérience avec Tetrarchia et qu’il a inlassablement testé et peaufiné les mécaniques de jeu pour un résultat très simple et fluide. Mais attention, simple ne veut pas dire que le jeu est facile ou dénué de réflexion. Chaque action doit être réfléchie et envisagée dans le plan global et non individuel, la mécanique des révoltes était suffisamment punitive pour ne pas laisser passer la moindre erreur, surtout dans les niveaux de difficulté élevés.

Comme c’est souvent le cas, la campagne de financement va permettre de déverrouiller en stretch goals  de nouveaux personnages et scénarios offrant de nouveaux mécanismes et objectifs. Oui, chez Draco Ideas on aime les jeux à grosse durée de vie !

Si vous avez aimé Tetrarchia, si vous appréciez les jeux coopératifs comme Flash Point, s’il vous manque un jeu sur l’Antiquité ou si vous voulez initier en douceur le petit dernier aux jeux d’Histoire, alors inscrivez-vous à la campagne les yeux fermés. Vous vous retrouverez dans quelques mois avec un jeu tendu, paramétrable et rejouable à l’envi, le tout dans une petite boîte facile à emmener partout avec vous !

Bonjour Miguel ! Peux-tu te présenter à nos lecteurs stp ? Quels sont tes jeux préférés ?

Je suis né en Espagne et arrivé en France il y a 30 ans comme chercheur au CNRS. Dans mon enfance/adolescence j’étais passionné de sport, histoire… et jeux, et je me retrouvais souvent chez moi à créer des jeux de sport ou histoire. Après mon départ de l’Espagne je n’ai plus joué pendant des années, et le hasard a fait qu’en 2004 je redécouvre le monde des jeux. Depuis je préfère les jeux simples de règles avec une partie de hasard, mais qui laissent une place significative à la stratégie.

Comment es-tu venu à la conception de jeux ? Quels sont les principaux écueils auxquels tu as dû faire face dans ta carrière d’auteur ?

Dans les années 80 le monde était très différent. Sans internet, l’accès aux jeux était difficile, et les quelques-uns que je trouvais ne me satisfaisaient pas. Du coup je me suis mis à les créer ! Mais je les créais pour moi. J’ai fait des jeux de tennis, foot et basket, et avec ces deux derniers j’ai même organisé des « championnats du monde » avec mes copains ! J’achetais aussi des livres sur des batailles ou guerres, et ensuite je dessinais un plateau à la main et inventais des règles. Je me souviens d’une bataille pour l’Islande entre les USA et l’Allemagne nazie ! Mais après quelques parties, souvent en solitaire, ils terminaient dans un tiroir.

Ce n’est qu’en 2012 que je me suis lancé à publier à travers une opportunité que m’a donnée l’éditeur espagnol nestorgames. J’ai raffiné mon ancien jeu de basket que j’avais conçu en 1981, « BASKETmind », et je suis devenu officiellement auteur ! C’était une étape très importante pour moi, et un point de déblocage pour m’encourager à publier d’autres jeux.

D’où te vient cette passion pour l’Antiquité ?

Depuis très jeune j’avais une fascination par les héros de l’Antiquité : Alexandre le Grand, Hannibal, Jules César, Epaminondas… Je lisais des livres sur leurs exploits, émerveillé par la puissance des personnages et de leurs récits. Je ne comprenais pas le besoin de fiction avec des histoires réelles aussi fantastiques. Avec l’âge je me suis concentré plus sur la Grèce classique, mais le jeu « Commands & Colors: Ancients » a fait que je m’intéresse de plus en plus à Rome, d’abord à la république et ensuite à l’empire.

Peux-tu nous présenter brièvement Hispania ?

En 2015 j’ai publié Tetrarchia, un jeu coopératif sur la tétrarchie de Dioclétien dans lequel de 1 à 4 joueurs essaient de défendre l’empire romain des invasions barbares. Un jeu compact, avec des règles très simples mais qui se combinent pour proposer des défis très variés. Le jeu a eu tellement de succès que mon éditeur actuel, Draco Ideas, m’a demandé de transposer les mécaniques à un épisode de l’histoire d’Espagne. Et je l’ai finalement trouvé, la conquête romaine d’Hispania pendant les deux derniers siècles avant J.-C.

Le moteur défensif de Tetrarchia s’est transformé en moteur offensif, de conquête. De 1 à 3 joueurs font face aux tribus hispaniques et doivent conquérir leurs capitales avant la fin du millénaire. Le jeu a peu de règles et peu de pièces, sans cartes ni informations cachées, et donc il est jouable en coopératif mais aussi en solitaire avec exactement les mêmes règles.

Quelles sources historiques as-tu utilisées pour la création d’Hispania ? Ton jeu sera d’ailleurs utilisé à des fins éducatives me semble-t-il, peux-tu nous en dire plus ?

Pas de sources en particulier. J’ai d’abord relu les différents livres que j’ai à la maison sur l’histoire de Rome en général, en m’arrêtant sur les deux derniers siècles avant J.-C., et les quelques-uns sur l’histoire d’Espagne. Après j’ai fait beaucoup de recherches sur les cartes de l’époque, pour trouver la disposition du plateau de jeu mais aussi les différents noms des villages ibériques et villes romaines que je pourrais utiliser. Et lorsque je commençais à fabriquer mes premiers prototypes j’ai lu la trilogie de João Aguiar sur l’épopée de Viriathe et Sertorius, qui m’ont beaucoup aidé à me mettre dans le bain de la conquête romaine, dans la peau des personnages.

Je ne cherche pas un but éducatif, mais je sais que beaucoup de joueurs de Tetrarchia ont découvert la période en y jouant et ont eu envie d’en savoir plus. J’anticipe la même réaction avec Hispania. La conquête d’Hispania n’est pas bien connue, même en Espagne, et elle est pleine d’événements exceptionnels et de personnages charismatiques. Le siège de Numance, la révolte de Viriathe, les guerres entre Sertorius et Pompée, entre Pompée et César, la conquête finale d’Auguste… Les joueurs pourront tous les retrouver dans des scénarios historiques, similaires à ceux de Tetrarchia.

Quelles sont les principales évolutions entre Hispania et Tetrarchia ?

Tetrarchia était un ‘ovni’, une idée originale pour laquelle je n’avais pas prévu un grand succès. Avec Hispania, 8 ans plus tard, j’ai bénéficié de ma plus grande expérience dans les jeux et des retours des milliers de joueurs de Tetrarchia, très positifs mais parfois avec des petites suggestions que je notais. Quand je me suis mis devant une feuille blanche j’ai réfléchi à comment modifier le système en le simplifiant encore (pas d’exceptions aux règles, moins d’actions et de pièces) et en améliorant certaines mécaniques (mouvement hispanique, déplacements maritimes, sièges).

J’ai aussi profité pour ajouter des mécanismes (deniers, voies romaines) qui permettent aux joueurs de mieux contrôler le hasard. Le moteur du jeu est toujours un couple de dés, romain et hispanique, mais un bon joueur ne se fiera pas au hasard, avec l’expérience il trouvera les outils pour « contrôler le chaos ». Ce que j’aime dans les jeux : une incertitude qu’on ne contrôle pas, mais avec des mécanismes qui nous permettent de la maîtriser. Et le résultat a été un jeu encore plus dynamique, tendu, et amusant.

Peu de matériel, des règles simples, un format compact, ce sont des critères qui te tiennent à cœur ? A-t-on une chance de te voir sortir un gros jeu de ce soit en termes de complexité et de taille ?

Aucune chance ! Je n’ai pas beaucoup de temps pour jouer, ni de joueurs expérimentés autour de moi. Du coup, je joue occasionnellement et avec des joueurs occasionnels aussi. Si nous devons passer une bonne partie du peu de temps qu’on a à découvrir des longues règles avec exceptions, ou à nous rappeler des règles qu’on avait étudié une autre fois, cela gâche le plaisir. Il faut des jeux très faciles à expliquer et, si nous y avons déjà joué, sans besoin de relecture du manuel.

Cela m’arrive d’aimer des jeux en tant qu’objet, d’un point de vu d’auteur, lire des manuels pour le plaisir d’analyser des règles ou mécaniques, mais en fin de compte les jeux sont faits pour jouer. Si un jeu me paraît trop compliqué pour y jouer en pratique, je passe. Et en tant qu’auteur j’essaie de faire des jeux auxquels j’ai envie de jouer.

Tu mets aussi un point d’honneur à proposer des jeux très modulables au niveau de la difficulté. Pourquoi est-ce si important pour toi ?

Mes débuts avec nestorgames y sont pour quelque chose. Ils publient surtout des jeux abstraits, avec très peu de règles (plus feuille de règles que manuel). Leur audience a « peur » d’un manuel, et du coup j’ai essayé, avec BASKETmind et Tetrarchia, de condenser le mode de jeu le plus simple dans une règle la plus compacte possible. Après, si la première expérience était réussie et les joueurs avaient envie de plus, ils pourraient trouver des extensions ou variantes. Simples aussi, mais optionnelles.

Quand je suis passé chez Draco Ideas ils n’avaient pas ces limitations, mais j’ai trouvé que finalement elles correspondaient bien au type de jeux que j’aime et je me les suis imposées. Lors de nos premiers échanges ils ont commencé à suggérer des complications pour Tetrarchia, au niveau de pièces et règles, mais j’ai tout de suite dit que ce n’était pas question, le jeu fonctionnait comme je voulais et c’était cela ou rien ! Avec Hispania la question ne s’est même pas posée…

Penses-tu que tes jeux peuvent être une passerelle entre jeu de société et jeu d’histoire ?

Oui. Avec Tetrarchia j’ai rencontré des joueurs « en famille » qui n’avaient jamais joué à des jeux de guerre, en partie à cause du thème, mais qui ont été conquis par les mécaniques simples et ont ensuite découvert un intérêt par l’histoire de l’empire romain. Et ils ont découvert aussi un intérêt additionnel des jeux d’histoire : on peut vivre une histoire parallèle, le jeu propose le même départ mais n’impose pas l’arrivée.

C’est quelque chose que les jeux de fiction et/ou trop génériques ne peuvent pas offrir. Les parties de Tetrarchia ou Hispania vous pouvez les raconter comme une histoire. Ce n’est plus « le pion bleu a placé un disque », c’est « le consul a occupé Numance ». Et pouvoir le faire en coopération avec par exemple vos enfants vous permet de revivre, ou réécrire, l’histoire avec eux.

Des dés mais pas de cartes, jamais de cartes. Pourquoi ?

Je suis très maniaque, surtout avec mes copies de jeux ! Et comme j’ai dit je joue surtout avec des joueurs occasionnels, parfois pas très soucieux des pièces les plus fragiles, comme les cartes. J’ai quelques jeux avec des cartes que j’aime beaucoup : Commands & Colors: Ancients, Dixit… Mais la première chose que j’ai fait est acheter des pochettes, ce qui fait beaucoup rire mes copains.

Mon autre argument contre les cartes est la dépendance de la langue. Il m’arrive de jouer avec des espagnols, des français ou des anglophones, et le texte sur les cartes est une barrière. Je comprends que dans certains jeux il est inévitable, mais justement quand on est auteur on a le choix. J’ai donc choisi de faire des jeux simples au niveau des mécaniques mais aussi au niveau des pièces, et si possible indépendants de la langue. Ce n’est pas facile, mais cela rend le défi plus intéressant.

Draco Ideas semble être un éditeur très dynamique. Comment en es-tu venu à travailler avec eux ?

Mon histoire avec nestorgames s’est interrompue soudainement en janvier 2021, quand ils ont arrêté tous leurs jeux compacts à cause d’un problème d’approvisionnement. Du jour au lendemain mes jeux se sont retrouvés orphelins, un vrai choc ! Je me suis résigné à recommencer ma quête d’éditeur, et j’ai commencé par mon jeu avec le plus de succès, Tetrarchia. J’ai fait une liste mail d’éditeurs (espagnols d’abord) potentiels et j’ai envoyé une proposition pour tester Tetrarchia en ligne sur la plateforme VASSAL. Certains n’ont même pas répondu, d’autres des mois plus tard, mais Draco Ideas l’a fait le lendemain ! Nous avons joué une partie et à la fin ils m’ont proposé un contrat.

Le courant est passé tout de suite, je me suis mis à travailler avec eux pour leur édition de Tetrarchia, et c’est grâce à leur dynamisme que le jeu a bénéficié d’une croissance aussi forte (de quelques centaines à plusieurs milliers de joueurs). Ils sont très professionnels dans tous les aspects : qualité de production, contact humain, exploration de nouvelles pistes (ils ont trouvé un éditeur italien, puis chinois). Quand ils m’ont proposé de créer un jeu sur une période de l’histoire d’Espagne j’ai accepté avec plaisir, et mes prochaines idées je les imagine avec eux aussi.

Feras-tu un jour un jeu compétitif ?

Oui ! Le caractère coopératif de Tetrarchia est fruit du hasard. Je lisais un livre sur la tétrarchie de Dioclétien en même temps que je jouais à Flash Point, le jeu coopératif de pompiers qui luttent contre un feu. J’ai fait le lien tout de suite, entre le thème du premier et la mécanique du deuxième, et voilà. Son caractère coopératif m’a aidé pour les tests, puisque toute l’information est ouverte et il se joue donc également en solitaire, et du coup chaque changement du prototype recevait tout de suite le verdict après une partie rapide. Mais j’aime bien les jeux compétitifs, et j’essaie de créer des jeux que j’aime ! Il sera plus difficile à tester, mais j’ai déjà des pistes.

As-tu déjà un futur projet dans un coin de la tête ?

Plusieurs, j’ai une liste sur laquelle je note les idées qui me viennent à la tête, et après je les développe ou pas. Souvent c’est le thème qui les fait paraître, mais parfois c’est une mécanique qui me paraît intéressante. Comme anecdote, la mécanique d’investissement de deniers dans Hispania m’est venue de l’investissement de temps dans Novembre Rouge, de Bruno Faidutti. Ses nains pouvaient favoriser le succès de leurs actions en dépensant plus de temps mais au prix de pouvoir faire moins de choses, il est de même pour mes généraux romains avec leurs deniers.

Le choix du projet suivant est dicté aussi par l’opportunité. J’ai trouvé une période historique assez différente qui se marrie très bien avec les mécaniques de Tetrarchia, et une autre qui se marrie plutôt avec les mécaniques d’Hispania mais qui en plus pourrait avoir un aspect compétitif. Je pense que je vais attaquer la première d’abord, elle me permettra d’aboutir plus vite sur un résultat. Et après je pourrai étudier plus calmement la deuxième, qui nécessitera de plus de réflexion. En parallèle j’ai quelques idées de jeux de sports, mais ceux-là ont un marché plus difficile !

Je te remercie et te laisse le mot de la fin !

Merci à vous pour cette occasion de partager ma passion pour les jeux. J’espère que vos lecteurs auront la possibilité de jouer à Hispania ou Tetrarchia en français, même si les jeux sont indépendants de la langue !

Harvester

Collectionneur compulsif et un peu trop passionné, accumule jeux et livres en essayant d'entraîner un maximum de gens dans ses vices...

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