Terre Pirates
Alors que je me baladais au festival le Château en Jeux, à Kergroadez (je vous le recommande, ne serait-ce que pour le lieu), je suis passé devant un petit stand derrière lequel se tenait un bonhomme arborant un grand sourire. Après un premier mouvement de recul, le croyant comme Ruvon sous l’emprise de produits illicites, je me suis rendu compte qu’il tentait tout simplement d’établir un contact amical. Déstabilisé par cette gentillesse apparente (c’est ça d’habiter en région parisienne, on devient méfiant), je me dirigeais quand même vers lui et sa table où trônait un superbe plateau représentant un archipel digne des Caraïbes. Après une blague foireuse à base de comparaison avec Jamaïca, je me laissais guider dans la découverte de Terre Pirates, un jeu sorti en 2017 dont – à ma grande honte – je n’avais jamais entendu parler.
Pour ma défense, Terre Pirates coche pas mal de cases que j’essaie habituellement d’éviter : il faut être au moins trois autour de la table, et je joue principalement avec ma femme, le thème n’est pas dans mes favoris et le côté familial du jeu pourrait déplaire à mon groupe habitué à plus costaud. Mais vous le savez tous maintenant, il faut vraiment que j’arrête de m’écouter, ce que j’essaie de faire. Me voilà donc reparti songeur avec deux boîtes sous le bras : celle de Gunny Town, que je vous présenterai prochainement, et celle de Terre Pirates.
Le premier contact avec le jeu fut rude : le manuel, de quelques pages seulement, est très mal organisé et même après plusieurs lectures, nombre de questions restent sans réponses. Comme c’est un premier jeu je ne tiendrais pas trop rigueur à l’auteur, mais quand même, expliquer le déroulement de la partie à la toute fin…
Heureusement que Gunny Town, dont je vous parlerai très bientôt, redresse un peu la barre à ce niveau-là. La chose qui fâche ayant été écartée, penchons-nous maintenant sur ce qui fait que Terre Pirates a tout à fait sa place dans n’importe quelle ludothèque digne de ce nom.
Chaque joueur incarne un pirate (ayant réellement existé) dans une course au trésor et, pour l’emporter, devra être le premier à en ramener quatre au point de départ. Pour ce faire, il va falloir se rendre sur les petites îles éparpillées sur le plateau pour y déterrer les précieux coffres (en défaussant une combinaison spécifique d’objets) ou en partant tout simplement à l’abordage de ses concurrents.
Et c’est votre pirate de départ qui définit votre stratégie, chacun ayant une orientation spécifique (offensif, défensif, explorateur…). Comme il y a six pirates dans la boîte de base, cela promet une bonne durée de vie.
Le déroulement de la partie est simple : à son tour, chacun pioche trois cartes et en joue autant qu’il le veut avant de passer la main au suivant. La pioche s’effectue dans différents tas : un pour les abordages, un pour les canonnades, un pour les déplacements et un autre avec les différents objets (pelle, longue-vue…) à fournir sur chaque îlot.
Ajoutez à ça un deck spécifique pour chaque pirate, comportant des pouvoirs bien sympathiques et vous aurez une idée des choix qui s’offrent à chaque début de tour. Faut-il prendre uniquement des déplacements pour vite aller sur les îles, quitte à être vulnérable aux attaques adverses ? Faire un mélange pour être paré à chaque situation mais donc avoir moins de chance d’obtenir la paire d’objets recherchée ? Le problème posé est très intéressant et chaque joueur devra s’adapter en temps réel à la situation et aux agissements de ses concurrents.
Si la taille de la main est confortable (12 cartes), elle est cependant vite atteinte et le joueur peu attentif peut vite se retrouver bloqué. Heureusement, il est possible de se défausser d’une carte par tour ou d’aller dans deux endroits échanger des cartes contre d’autres de n’importe quel tas. Mais cela implique de perdre du temps qui sera mis à profit par les autres.
Les attaques envers les autres joueurs sont amusantes et reposent sur une bonne dose de bluff : est-ce que l’autre a de quoi se défendre ? A-t-il un pouvoir pour annuler notre agression ? Même si chaque type de carte est identifiable grâce à son dos, les valeurs et pouvoirs restent cachés, ce qui offre de sympathiques retournement de situation.
Et même en cas de succès, si les gains sont alléchants, ils ne plombent pas pour autant le joueur attaqué, ce qui avantagerait les joueurs offensifs. Idem en cas de naufrage (chaque vaisseau a des points de vie qui seront diminués par les canonnades), le joueur qui en est victime réapparaît tout simplement un peu plus loin, quelques bonus en moins dans son escarcelle.
La zone de jeu en elle-même offre de nombreux chemins en point à point, ce qui permet de jouer au chat et à la souris si on axe sa stratégie sur les déplacements. Mais comme il y a des événements aléatoires qui peuvent bloquer certaines zones (un kraken attaque !), il vaut mieux toujours avoir quelques cartes en stock pour se défendre.
Et aussi ne pas négliger les bonus (un point de coque en plus, un bonus aux canonnades ou aux abordages…) qui sont présents sur chaque île. Il est aussi possible, en allant sur une île spécifique, de récupérer un bonus permettant de piocher une carte de plus à chaque tour. Ce qui, comme vous pouvez vous en doutez, est bien utile.
Terre Pirates est un jeu qui est très facile à mettre en place et dont les parties sont très rapides avec un maximum d’une quarantaine de minutes à 4 par exemple. Les débuts semblent un peu indécis mais sont en fait déterminants pour la suite, chacun étoffant sa main pour la véritable course, celle qui débute lorsqu’un concurrent a au moins 3 trésors en cale. Il devient alors une cible de choix, sans pour autant que les autres adversaires puissent être négligés.
La gestion de main est primordiale car même si vous parvenez à aborder un adversaire pour lui voler un ou deux trésors (le maximum), il faut garder à l’esprit d’une part qu’il rejouera (et donc piochera !) obligatoirement avant vous mais qu’autour les autres pirates affûtent aussi leurs lames en vous regardant vous démunir. Il faut donc planifier et anticiper sans pour autant qu’une erreur ne soit fatale.
Idéal pour les soirées en famille, surtout que le matériel plaira à tout le monde : des petits bateaux qui naviguent sur une superbe carte, des cartes à jouer aux belles illustrations et même, comble du bonheur pour un membre de Dystopeek que je ne nommerai pas, un thermoformage adapté.
Terre Pirates est donc une très agréable surprise qui était passée sous mon radar. Pour son premier jeu, Mathieu Roussignol a réussi à nous proposer un jeu frais et facile en prendre en main, qui dispose d’une excellente rejouabilité et qui plaira quel que soit l’âge. La rapidité des parties en fait un titre parfait pour se chauffer avant un gros morceau, et même lancer les hostilités ! Encourageant l’affrontement tout en restant bon enfant, ce jeu de gestion de main est une sérieuse option à envisager pour ceux disposant d’un groupe assez conséquent.
Auteur : Mathieu Roussignol
Artiste : Hervé Bécasse
Editeur : Roussignol Édition
De 3 à 6 joueurs
45 minutes