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Le Jeu de la Mort

Ces jeux qui montrent la mort banale

Comme Dalida, le protagoniste de jeu vidéo aspire à mourir sur scène, dans un festival d’effets visuels et sonores. Fusillade, chute mortelle, tir de laser : le Game Over est justifié par une mort un minimum spectaculaire. Toutes et tous veulent trépasser dans l’action, et dans la force de l’âge s’il vous plaît. Nous montre-t-on Nathan Drake partir d’une vilaine maladie tropicale après 10 jours d’agonie silencieuse ? Mario casser sa pipe en retraité paisible ?


Loin des sentiers battus par une faucheuse bling-bling, quelques œuvres tentent de nous faire expérimenter la mort banale. Sans cascades ni explosions, mais pas sans larmichette à l’œil. Contrairement à un héro d’open-world Ubisoft ou de plateformer millimétré, on y voit venir son trépas d’assez loin. Face à ce gouffre dont il ne voit pas le fond, l’être humain a tendance à vouloir regarder derrière lui. Les souvenirs, même mauvais, brillent alors d’un autre éclat. La mort, lorsqu’on la voit arriver, serait propice aux remises en questions, aux réparations de dernière minute.

Acceptation et rédemption
Dans The Old Man’s Journey, le vieil homme anonyme qu’on incarne suit un chemin sous forme de puzzles pour faire la paix avant la séparation finale. Si la mort ne l’attend pas au bout du jeu, le barbu mène néanmoins un travail de “pré-deuil”, figuré par une randonnée le long de souvenirs choisis. Dans Spiritfarer, les âmes qu’on accompagne vers l’au-delà sont rongées par quelque chose qui les empêche de partir en paix. Stella, l’héroïne jouée, les accompagne sur son bateau qui fait office de salle d’attente du paradis, en les aidant à accepter, à pardonner, à oublier… Dans les deux cas, il s’agit de partir en laissant la place propre, de se dire adieu le cœur le plus léger possible. 

Sans fleurs ni couronnes
Loin de l’image guillerette de la mamie-gâteau entourée de ses 12 petits-enfants, la vieillesse, dans le jeu vidéo comme ailleurs, est souvent synonyme de solitude. Un isolement meublé d’une routine impeccable, en forme de bouée de sauvetage à l’esprit. Dans ce schéma du troisième âge, les contacts humains sont rares et précieux. C’est cette vision là des dernières pages de la vie que nous livre The Stillness of The Wind. La grand-mère, seule avec ses quelques chèvres, va vivre la même journée jusqu’à s’éteindre dans l’anonymat le plus complet : la dernière personne à lui avoir parlé sera le facteur. Jusqu’au bout, on ne sent aucune amertume chez la vieille femme, malgré les carences évidentes à sa vie. Le vent, seul élément inaltérable du jeu, recouvre au fil des jours le faible bruit de la vie qui résonne encore dans sa maison isolée. Dur d’imaginer un retour à la poussière plus discret, ni plus belle leçon d’humilité faite au joueur. 

Finissons ce billet festif par évoquer celles et ceux qui, par leur profession, regardent ces morts normaux dans les yeux tous les jours. Oui, il existe peut-être un simulateur allemand de thanatopracteur. Mais la peur de trouver un trop grand sens du détail me coupe l’envie d’aller vérifier (tenir la compta, brrr). Parlons plutôt du jeu A Mortician’s Tale, qui nous invite à préparer le corps des défunts avant les obsèques. Dans un style visuel sobre, on insère une sonde, on pose quelques points de suture, on ferme des paupières à l’aide d’un peu de colle. En alternance avec ces phases chirurgicales, on écoute parler les proches du défunt. Ce jeu, à priori glauque, laisse une impression d’apaisement. Surement car il démystifie un métier que peu d’entre nous approchons. Il y a quelque chose de rassurant à voir que la mort n’échappe pas à l’amour du travail bien fait, ni aux fiches métiers de l’ONISEP. 

Apprendre à mourir
À lire mes congénères joueurs et joueuses, je ne suis pas le seul que ces approches de la mort auront plus marqué que la moyenne des cassages de pipe vidéoludiques. Une des raisons est certainement le simple exorcisme qu’on trouve à littéralement jouer avec la mort, du bout d’une souris ou des joycons bigarrés de la Switch. Lancé dans une très longue enquête journalistique, je retombe sur une lecture obligatoire du lycée : Le Roi se Meurt d’Eugène Ionesco, une pièce de théâtre qui traite de l’acceptation de la mort. Interviewé dans l’émission de télévision “L’invité du dimanche” en 1971, l’auteur dira de son œuvre qu’elle est un “désapprentissage de la vie […] c’est cela s’habituer à mourir, se détacher pour moins souffrir”. L’écrivain confesse cependant que cela n’aura été d’aucune utilité à ses propres angoisses. Avant d’ajouter, une main dans la poche : “Mais ça a servi à un de mes traducteurs qui avait un mal incurable, qui a terminé la traduction à peu près une semaine avant sa mort, et qui n’a plus eu d’angoisse”. Je suis prêt à parier que le traducteur en question aurait lui aussi trouvé un peu de chaleur dans ces jeux funèbres.

Bofang

J'écris pour justifier le temps perdu à jouer pendant que d'autres montent des start-up.