Forgotten but Unbroken
Je nous vous le cacherai pas, je suis fan de jeux tactiques en tour par tour, genre renouvelé en son temps avec brio par XCOM: Enemy Unknown et XCOM 2 de Firaxis Games, publiés respectivement en 2012 et 2016. Depuis je cherche des jeux arrivant à la hauteur de ces chef-d’œuvres vidéoludiques. Et je dois avouer que pour le moment aucun de ceux que j’ai testés ne m’a vraiment satisfait. Il y a bien Jagged Alliance 3, une très bonne suite du titre culte du même nom, avec son humour décapant, mais que ses développeurs/éditeurs ont malheureusement abandonné en rase campagne, laissant aux moddeurs le soin d’étendre le contenu disponible (certes déjà conséquent). Ainsi donc c’est à l’aune de ces précédents et prestigieux titres que je ferai la critique de Forgotten but Unbroken, développé par le studio slovaque Centurion Developments et publié par MicroProse. Alors accrochez-vous, ça va piquer un peu.
On ne change pas une équipe qui gagne ?
Le jeu reprend donc les codes bien établit du genre : vous pilotez une escouade de combattants à travers des missions à accomplir au cours d’une grande campagne narrative non linéaire se déroulant, cette fois, durant la seconde guerre mondiale (comptez de 30 à 40 heures de jeu). Chaque soldat étant contrôlé en tour par tour sur une carte tactique différente suivant les missions. Il y a six classes de combattants (commando, soldat, sniper, sapeur, infirmier et spécialiste en armes lourdes), chacune dotée de capacités et d’avantages uniques. Pour agir ils disposent de points d’actions leur permettant de tirer, se déplacer, se mettre à couvert, faire des tirs d’opportunité, lancer des grenades, etc.
Pour la résolution des combats le système est le même que celui d’XCOM, avec un pourcentage de chances de toucher lorsque vos soldats, ou les ennemis, font feu. Les probabilités informatiques étant ce qu’elles sont, il peut arriver que l’un de vos personnages ayant 90% de chances d’atteindre sa cible la rate plusieurs fois de suite, tandis qu’un ennemi n’ayant que 5% de chances touchera à tous les coups. Oui, ça énerve, mais l’inverse est aussi vrai, et dans ce cas le joueur râle beaucoup moins. Tout comme dans XCOM, Il existe un aspect gestion de base qui, entre chaque mission, vous permettra de soigner, d’entraîner et de maintenir le moral de vos soldats, mais aussi d’en recruter de nouveaux. Vous pourrez construire des bâtiments tels que des infirmeries ou des armureries pour améliorer divers aspects de votre quartier général et de vos troupes.

Pour cela il faudra engranger des ressources (telles que du bois, de l’acier, du tissu, du verre, des outils, etc.) que vous pourrez récupérer en accomplissant des missions ou en envoyant des hommes en expéditions (pour couper du bois par exemple). Vous aurez aussi à assigner certains de vos hommes (avec les compétences idoines) en tant qu’infirmier, armurier, etc. Vous pourrez chercher à vous attirer les faveurs (et le soutien) de l’URSS, des Etats-Unis ou de l’Angleterre en remplissant des missions pour leur compte.
Rien que du classique donc, et pourquoi s’en plaindre après tout, ce serait comme se plaindre d’un film de zombie parce qu’il y a des… zombies. La gestion de la base a quand même un aspect inédit : vous devrez tenir compte de facteurs tels que les conditions météorologiques et les maladies, qui peuvent avoir un impact sur l’efficacité de votre base et de vos soldats.

Il va falloir en effet penser à isoler les baraquements, installer du chauffage, une cuisine (vos soldats ont, bien sûr, besoin de s’alimenter régulièrement) des douches (l’hygiène c’est important) et même des toilettes. Non, je ne plaisante pas, avoir les fesses propres (ou pas) influera sur le moral de vos troupes, vous êtes prévenus. Même si le jeu prend pour cadre la seconde guerre mondiale dans l’Europe occupée et en particulier en Tchécoslovaquie (ce qui est plutôt original) avec des références à des évènements historiques tels que (spoiler alert) l’assassinat de Reinhard Heydrich, protecteur de Bohême-Moravie, qui donna lieu à une répression sanglante de la part des nazis, ou la possibilité de rencontrer des héros tels que Vasily Zaytsev (sniper soviétique représenté à l’écran par Jude Law dans le film Stalingrad de Jean-Jacques Annaud) ou des ennemis tels qu’Otto Skorzeny, les fans d’historicité pourront abandonner tout espoir.
En effet, Forgotten but Unbroken est aussi fidèle à l’histoire de la dernière guerre que l’est le film Napoléon de Ridley Scott à l’épopée impériale. Bon après tout, pourquoi pas ? Pourquoi pas un para américain, portant un patch de la 17th Airborne Division (crée en 1943) sur une tenue de saut modèle 1942, opérant avec la résistance Tchécoslovaque en avril 1941 (soit huit mois avant l’entrée en guerre des USA) ? Je vous laisse compter le nombre d’anachronismes. Le truc est que les éditeurs vantent le côté réaliste de la simulation. Et là on se marre. Ridley Scott lui au moins ne cache pas le fait que l’historicité, il n’en a rien à faire et que ce qui compte c’est le spectacle. Et justement question spectacle qu’avons-nous ?

Plumage
Soyons honnêtes les graphismes des cartes tactiques (en 3D isométrique) sont plutôt réussis, avec des décors bien modélisés. Ce qui gêne ce sont les animations des personnage, assez saccadées et leurs postures très rigides. Que des officiers SS aient l’air d’avoir un ballet enfoncé dans le [censuré] passe encore (c’est ça de marcher constamment au pas de l’oie), mais là on a l’impression que tout le monde a de gros problèmes de dos et est incapable de se déplacer en souplesse (ça pourrait aider pour éviter d’être pris pour cible). Le mouvement des soldats est assez déroutant, on a plus l’impression qu’ils se déplacent en glissant plutôt qu’en marchant ou en courant.
Et puis les graphismes des personnages nous amènent clairement dix ans en arrière, tant au point de vue de la modélisation que des textures. Pas top donc, mais néanmoins jouable sans que ça fasse mal aux yeux. Côté sonore c’est du standard : les bruitages et les voix des personnages font le job et la musique est… classique (oui c’est de la musique symphonique, style bande originale du film Il faut sauver le soldat Ryan). Rien d’original, mais rien de déplaisant non plus, même si la musique peut être lassante à la longue. L’interface quant à elle est intuitive et simple à utiliser. Si vous avez déjà joué à XCOM vous pourrez même presque vous passer du tutoriel, qui par ailleurs est très complet et ne posera pas de problèmes aux débutants.

Ramage
Comme on l’a dit plus haut, les système de résolution des combats de Forgotten but Unbroken reprend de nombreuses caractéristiques de celui d’XCOM ou de Jagged Alliance. Nous ne nous attarderons donc que sur certains aspect saillants. Côté intéressant de la résolution des combats, vos soldats, ainsi que les combattants ennemis, ont un niveau de moral qui baissera à chaque fois qu’ils se feront tirer dessus. Et une fois la jauge de moral descendue à zéro, votre personnage fuira pour se mettre à l’abri. Et oui, même des héros peuvent craquer sous le feu.
Vos soldats pourront trouver du loot (des objets à récupérer) sur les cartes (munitions, grenades, kits médicaux, etc.), qui s’avèreront toujours bien utiles. Dans certaines missions vos soldats commenceront cachés et pourront tenter de s’infiltrer derrières les sentinelles ennemis, en espérant ne pas être repérés, afin de les éliminer silencieusement. Cela peut donner lieu à ses tactiques intéressantes. Question combat l’IA est un peu aux fraises (et même pas à la crème) et les ennemis ont tendance soit à charger bêtement vers vos soldats ou à se laisser contourner sans réagir (dans Forgotten but Unbroken, comme dans XCOM et dans la réalité, prendre ses adversaires de flanc est une bonne tactique).

Solution trouvée par les développeurs : multiplier le nombre d’adversaires. C’est le syndrome de la horde de zombies. Mais là les zombies ont des flingues et savent plutôt bien s’en servir. Ce qui a tendance à rendre les missions longues, très longues, et difficiles. C’est logique, si l’on extrapole les lois de Lanchester, contrairement à un mythe bien ancré à Hollywood (et dans les armées occidentales), lorsqu’une troupe d’élite fait face à une multitude d’ennemis (même tirant comme des pieds) c’est souvent la multitude qui l’emporte sur la troupe d’élite. Je vous renvoie à un autre film de Ridley Scott : La Chute du Faucon Noir. Dans Forgotten but Unbroken c’est pareil.
Au final le nombre est une qualité en soit, et là pour le coup c’est réaliste. Mais je ne sais pas si c’était vraiment voulu de la part des développeurs. Vous allez me dire qu’un jeu difficile c’est bien. Oui, lorsque l’IA représente un réel challenge. Ici le défi c’est souvent qu’on se retrouve dans la même situation que les Texans à Alamo ou les Spartiates aux Thermopyles. Heureusement, dans le jeu la fuite est une option, ainsi que la sauvegarde de la partie à n’importe quel moment et la possibilité de recommencer une mission ratée. C’est d’ailleurs indispensable si l’un des quatre personnages nécessaires à la progression de la campagne est tué.

Là où il y a un autre souci, c’est que si dans des jeux comme la série des XCOM les personnages et leurs adversaires ont un nombre assez limité de points de vie (permettant de jauger leur état de santé) ici ils en ont au moins une centaine ce qui fait qu’il peuvent se prendre un nombre conséquent de balles de 7,92 ou de 9 mm tout en ne se portant pas si mal (avec cependant quelques pénalités en points d’action et aux chances de toucher). Il n’est ainsi pas rare de voir les soldats nazis se prendre cartouche après cartouche tout en continuant à agir. Comptez de 3 à 4 balles de Mauser pour les descendre, même s’il est parfois possible de faire des coups critiques qui accélèrent le processus.
Dois-je rappeler que nous n’avons pourtant pas affaire à un jeu de zombies, mais à un jeu se voulant réaliste ? Car Forgotten but Unbroken est sensé proposer (citation) : « une expérience de jeu à la fois réaliste et immersive ». Là avec un tel slogan les gens du marketing ont , si j’ose dire, tiré une balle dans le pied des développeurs. Mais bon, passons sur le réalisme et voyons si le jeu est bien immersif et amusant. Après tout le film Gladiator, de Ridley Scott (oui encore lui), n’avait rien d’historique mais était tout à fait divertissant.

Fromage
Si on devait donner une caractéristique générale pour le jeu ce serait : lent. Oui les animations des personnages sont lentes. La résolution des combats est lente et terminer une mission prend un temps fou (surtout lorsque le but est d’abattre tous les ennemis). La gestion de base est lente elle aussi (il faut attendre que les missions apparaissent) et le fait qu’il soit nécessaire d’avoir un panel très varié de ressources, a comme conséquence que construire des améliorations et de nouveaux bâtiments prend du temps et nécessite de remplir de multiples missions. Bref, il ne faut pas être pressé et de mon point de vue cela nuit à la dynamique du jeu.
Dans le jeu les deux ressources les plus importantes sont la nourriture et les médicaments. Elles sont essentielles à la survie de votre équipe, ce qui est tout à fait logique. Le problème est qu’elles sont difficiles à trouver et que le jeu ressemble assez rapidement à une version seconde guerre mondiale de Frostpunk 2. Faute de ressources vos soldats vont souffrir de froid, de faim et de maladies et déserter votre cause. D’autant plus que des évènements aléatoires peuvent parfois vous faire perdre une partie des précieuses ressources que vous aviez patiemment engrangées. Oui, tout comme dans Frostpunk vous aurez l’impression que le jeu a décidé de vous punir sans que vous n’ayez autre chose à faire que se subir (et de recommencer la partie). Apparemment les développeurs disent avoir pris conscience de ce problème et envisageraient des mises à jour pour rendre le jeu un peu moins punitif. A suivre donc.

Conclusion
Forgotten but Unbroken reprend tous les codes du combat tactique en tour par tour, avec quelques traits originaux intéressants, et s’il était sorti il y a de cela dix ans, dans la foulée XCOM: Enemy Unknown, il aurait sans doute eu un certain succès. Mais voilà entre temps il y a eu pléthore de jeux dans le même style, tels que Classified: France ’44 avec une expérience assez similaire (thème 2ème guerre mondiale, jauge de moral pour les soldats, infiltration etc.) mais des graphismes de meilleure qualité et un gameplay plus dynamique.
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas écrit, Forgotten but Unbroken n’est pas un mauvais jeu, mais voilà depuis XCOM: Enemy Unknown et XCOM2 pas mal d’eau a coulé sous les ponts et pour détrôner les illustres anciens il faudrait monter la barre bien plus haut, tant du point de vue des graphismes que de l’expérience de jeu et des mécanismes. En bref, si vous aimez les jeux de combat tactique, Forgotten but Unbroken est à essayer (il existe d’ailleurs une démo pour cela), mais en ce qui me concerne, la quête continue.
Genre : Combat tactique en tour par tour et gestion de base
Développeur : Centurion Developments
Éditeur : MicroProse Software
Date de parution : 18 Novembre 2024
Testé sur une version presse fournie par l’éditeur