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Fell Seal: Arbiter’s Mark

Quand le chef se pointe à la rédac pour distribuer les jeux à tester, c’est toujours un peu la foire. S’il se garde bien évidemment pour lui tout ce qui s’approche d’un AAA, il aime jeter négligemment les autres en pâture au milieu de la pièce en attendant qu’on se batte pour les titres proposés. C’est sans doute son côté sadique qui le pousse à recruter à tour de bras dans l’espoir que le sang coule (NdHarvester : je confirme !).

Celui-ci, il me l’a confié discrètement avec ce petit commentaire : « j’ai vu que tu l’avais en liste de souhaits, mais ne dis rien aux autres, ils vont croire que je fais du favoritisme » (NdHarvester : ah ouais carrément…). Bien reçu Harvy, brutus et mouche cousue, ils n’en sauront rien. Aucun risque, c’est pas comme s’ils lisaient les articles sur le site. Faudrait déjà qu’ils sachent lire.

Durant l’installation, je me suis quand même demandé pourquoi j’avais repéré Fell Seal. Avec sa gueule de JRPG et ses moitiés d’animation, il aurait habituellement fini avec les 27 778 autres titres (chiffre à jour à l’heure où j’écris ces lignes) que j’ai mis en ignoré sur Steam.

Mais le cœur du gameplay annoncé, ce sont des combats tactiques en tour-par-tour, des dizaines de classes, de compétences et d’objets pour proposer une expérience riche et personnalisable. Alors rangeons ces appréhensions au placard pour voir si la mayonnaise prend.

Dans un monde autrefois ravagé par une bête venue d’une autre dimension, les sept héros qui l’ont vaincue sont devenus immortels. Ils règnent désormais en Conseil, secondés par les arbitres, leur police locale. Point de matraque télescopique, de lacrymo ou de LBD40, ici ils rendent la justice à coup d’épées à deux mains et de boules de feu, heroic-fantasy oblige.

On va donc bien évidemment jouer le rôle de Kyrie, une arbitre au nom de fromage qui, au détour d’une ruelle sombre, est témoin d’un meurtre gratuit. Le criminel appréhendé, elle et son équipe l’emmènent en jugement à la cité du Conseil. C’est le début d’une longue, très longue épopée qui les verra traverser le continent de part en part avec comme enjeu le destin du monde tout entier.

On apprend tout ça par des cinématiques de dialogues qui ne nous laissent pas le moindre choix. On va suivre gentiment le scénario prévu qui, s’il s’avère linéaire, n’en est pas moins intriguant. Les premiers combats servent de tutoriel, tandis que l’histoire décolle réellement avec une cette compétition lancée pour remplacer un des immortels qui, atteint du syndrome MacLeod, en a marre de voir tout le monde vieillir et mourir autour de lui.

Le schéma est simple : baston, dialogue, gestion de l’équipe, baston, dialogue, ad nauseam. Mais tout l’intérêt du jeu réside dans les innombrables possibilités tactiques offertes par la personnalisation des combattants, rendant les batailles très intéressantes à jouer.

Si quelques personnages sont imposés par le scénario, comme bien évidemment la CRS en chef Kyrie Castaner, sa protégée Anadine (Morano) ou son frère Reiner, le reste peut être recruté et personnalisé (bien que je trouve vite pénible de devoir jouer à la poupée pour ajuster leur apparence).

Les classes disponibles au départ sont nombreuses et on va en débloquer beaucoup d’autres. Il est recommandé de bi-classer à tout va, choisir entre diverses compétences, sans compter les armes et armures (à acheter dans les boutiques, à obtenir en récompense ou à crafter) qui viennent encore ajouter des subtilités.

Il me faudrait plusieurs pages pour énumérer toutes les options possibles et après avoir fini le jeu, je n’ai pas encore tout essayé. Lâchez-vous et partez au combat avec des princesses / crapules, des gadgetiers / guérisseurs ou des druides / vampires. De toute façon, en face, vos adversaires font de même, alors autant jouer à armes égales.

Ces combats en tour par tour sont en tous cas une belle réussite, équilibrés, intéressants avec ces éléments du décor à prendre en compte. Sorts à zone d’effet, gestion de la hauteur, armes de CàC et à distance, occupation du terrain, buffs et debuffs dans tous les sens… Chaque baston est un puzzle aux multiples solutions, une chorégraphie improvisée et imprévisible. Chapeau les artistes.

Ils ne sont pas parfaits pour autant, avec l’impossibilité de coordonner des actions ou cette limite parfois arbitraire du nombre de combattants. On ne s’épargne pas non plus une bonne dose de grind, si l’on souhaite monter en niveau plusieurs builds en parallèle, il faudra enchaîner les bastons aléatoires et répétitives.

La version française est globalement de bonne facture et les dialogues donnent envie de s’intéresser au scénario, qui souffre tout de même de la comparaison avec les batailles. S’il s’autorise à tuer des personnages importants tel un vulgaire Georges R.R. Martin, il est à la fois trop long, trop prévisible et paradoxalement trop enfantin pour son propre bien.

Le fait de ne pas pouvoir les accélérer rend vite pénible les échanges sans intérêt entre deux membres de l’équipe, l’histoire d’Anadine (Skywalker) prend beaucoup de place pour pas grand chose et j’ai vu venir le twist final à des kilomètres. On va aussi faire des aller-retours jusqu’à l’écœurement.

Le côté « agrougrou on est les méchants » lors des dialogues d’avant-combat ou la tendance à systématiquement faire arriver les personnages en retard de quelques secondes rappelle les heures les plus sombres de l’imagination. Ou les films de super-héros mal écrits (qui a hurlé pléonasme ? Ah, c’est moi, pardon).

Les dialogues sont plutôt corrects même s’ils manquent parfois d’humour et de subtilité ; mention spéciale tout de même aux créatures du royaume des démons, judicieusement appelés Malcubi. Joli clin d’œil au Beaujolais.

La musique de Jan Morgenstern est d’une répétitivité fatigante et manque terriblement d’originalité. Il y a de nombreuses pistes sur bandcamp mais j’ai franchement eu l’impression d’entendre toujours la même chose (et de l’avoir déjà entendue ailleurs), surtout qu’elle tourne en boucle lors de combats qui peuvent durer plusieurs dizaines de minutes.

Graphiquement, c’est assez inégal, avec cette ambiance RPG Maker 2.0 qui aurait découvert la vue isométrique. Certains lieux et personnages sont très réussis, d’autres font un peu bâclés et vers la fin, ils ont engagé la petite sœur de ton voisin pour dessiner certains décors. Je veux bien que ça se justifie par le scénario, mais il n’empêche que c’est limite.

Tout ceci est tout de même à relativiser quand on sait qu’il s’agit de l’oeuvre du studio 6 Eyes, basé en Floride et composé uniquement du couple Pierre et Christina Leclerc. Pour en savoir plus sur eux et leur parcours, je vous invite à lire cette interview sur RPGWatch.

Malgré les réserves évoquées, Fell Seal: Arbiter’s Mark est un jeu sur lequel j’ai passé des heures très agréables, bien plus profond tactiquement qu’il en a l’air. Il ne lui manque qu’un scénario plus mature et moins linéaire pour être un chef d’oeuvre, mais pour un premier jeu, réalisé par deux personnes seulement, je ne peux que saluer la performance et inviter les amateurs de tour par tour tactique à se le procurer.

Genre : Tactique en tour par tour

Site officiel : https://www.fellseal.com

Développeur : 6 Eyes Studio

Éditeur : 1C Entertainment

Plateforme : Steam, GoG, démo dispo sur Itch.io

Prix : environ 25€

Date de sortie : 30 avril 2019

Testé sur une version presse fournie par l’éditeur

Ruvon

Chaologue pas encore retraité, traître renommé, survivant accompli. Mon domaine, c'est le jeu vidéo, du FPS hardcore au point&click niais, et depuis toujours amoureux du tour-par-tour.

2 réflexions sur “Fell Seal: Arbiter’s Mark

  • Tu veux dire qu’Harvester file des jeux à tester ? Ah …

    • Harvester

      J’étais sûr que ça allait s’ébruiter…

Commentaires fermés.