Empire of Sin
En tant que supporter des Girondins de Bordeaux, je suis désormais immunisé à la frustration. Passer de l’enthousiasme à la déception en quelques secondes, du bonheur anticipé à la rage, tout cela est derrière moi et ne fait même plus grimper ma tension. Et en écrivant cela, je me rends compte que cette intro, qui devait être celle pour Football Manager 2021, colle parfaitement (et malheureusement) pour Empire of Sin.
Pourquoi ? Pourquoi me demande le lecteur qui, en lisant sur la fiche « prohibition, gestion d’empire, combats au tour par tour », s’était imaginé monts et merveilles ? Comment t’en vouloir petit lecteur ? Déjà tu nous lis – ce qui montre que tu as autant de goût que de temps à gaspiller – et surtout j’étais comme toi pendant la phase de découverte du titre de Romero Games. Le graphisme soigné nous plongeant directement dans les années 20, la musique, fabuleuse au point de rester dans mon QG de longues minutes juste pour l’écouter, les possibilités d’expansion entrevues lors du tutoriel… J’avoue, j’étais à fond dedans.
Et les premières heures de jeu ne m’ont pas donné tort. En arpentant la ville de Chicago, divisée en autant de quartiers que vous l’aurez décidé en début de partie, vous rencontrez des PNJs donneurs de missions plus ou moins fouillées, vous discutez avec vos hommes et femmes de main recrutés rubis sur l’ongle et vous investissez vos revenus dans vos bâtiments. Brasserie, bar clandestin, maison close, hôtel ou casino, chacun vous rapporte de l’argent mais doit être amélioré selon certains critères. Tout d’abord, la protection : c’est bien beau d’ouvrir des troquets mais en pleine guerre des gangs, vos adversaires vont essayer de venir vous le piquer. Il est donc possible d’engager des gardes pour les défendre en votre absence. Il faudra ensuite améliorer le rendement, la discrétion du lieu (c’est la Prohibition, vous vous rappelez), le bouche à oreille pour faire venir plus de clients… Il y a de quoi faire, surtout que ces mêmes revenus vont vous servir à recruter vos lieutenants et les armer.
Parce que figurez-vous que malgré votre talent et vos capacités de boss, il va vous falloir de l’aide pour vous défendre et, bien entendu, attaquer les autres gangs. Ces affrontements se résolvent de matière tout à fait classique à la XCom. Les développeurs auraient pu transformer Empire of Sin en FPS l’espace de quelques missions mais non, ils sont restés sages. Il va donc falloir attaquer les établissements et autres repaires ennemis dans le but de les conquérir. Vos adversaires vont être de plusieurs sortes : les bandits locaux, qui ne tiennent qu’un lieu et dont vous vous débarrasserez très facilement, les factions mineures, qui ne sont installées que dans un seul quartier et qui ne représentent pas non plus un grand danger et les autres gangs, menés comme le vôtre par un boss. Ces derniers s’étendent sur plusieurs quartiers, n’hésitent pas à faire du commerce, déclarent la guerre aux autres et la seule manière de vous en débarrasser est de tuer leur leader.
Sur papier et jusqu’à maintenant, Empire of Sin coche énormément de cases émoustillantes. Il y a de la gestion, avec les bâtiments à améliorer, la planification de l’agrandissement de votre empire, des combats, en extérieur et intérieur, une fine couche de jeu de rôles avec des compétences à choisir pour vos lieutenants et vous-même. Non franchement, si on s’arrêtait là, le jeu prendrait un Dystoseal, je vous tartinerais des pages sur la musique et l’ambiance, je mentionnerais même l’effort fait sur le scénario et les missions proposées, notamment celles tournant autour de vos lieutenants. Malheureusement, il y a beaucoup, beaucoup de choses qui ne vont pas dans le titre de Romero Games.
Tout d’abord, parlons du plus évident : les combats. Ceux-ci sont extrêmement nombreux et, pour la plupart, forcés. Imaginez que vous êtes en guerre contre un gang qui vous attaque à plusieurs endroits à la fois. Vous devrez soit résoudre manuellement chaque combat, soit abandonner. Impossible de résoudre automatiquement, même lorsque vous avez l’avantage. C’est idiot, d’autant plus qu’avant chaque combat, un petit texte vous informant que vous avez x% de chances de gagner apparaît. On enchaîne donc combat sur combat, souvent par paquets de 3 ou 4, avec deux pelés et un tondu. Le plus affligeant étant quand un combat a lieu dans la rue avec des membres d’autres gangs neutres autour, que ceux-ci se joignent au combat pour ne rien faire ou impliquer des policiers qui passaient par là, rallongeant inutilement un affrontement pénible.
Ensuite, l’intelligence artificielle a quelques soucis et il n’est pas rare de voir un ennemi sortir d’un couvert pour venir se poster en pleine rue, en faisant une cible idéale. Autant vous dire que niveau challenge ça n’est pas encore ça… Je vous fais grâce des pourcentages de chances de toucher qui sont une ode au grand nawak et des angles de vue que ne renierait pas Hard West. Saupoudrez de quelques bugs sonores et visuels et vous obtenez des moments aussi marrants qu’évitables. Mais je me dis que quelque part, tout ça peut être résolu avec quelques patchs. Et connaissant Paradox et leur amour des DLC, ils vont vouloir rectifier ça.
Un autre gros souci est la futilité de la gestion de votre Empire. S’il y a bien, par exemple, une jauge de suspicion, impossible de voir une quelconque incidence sur le jeu. Aucune descente de flics, rien. On améliore donc nos tripots, on n’est jamais à court d’argent car il suffit d’attendre. On ne peut rien faire avec nos grouillots, comme par exemple patrouiller dans la rue ou racketter d’innocents passants. Impossible de submerger un territoire ennemi, de l’étouffer économiquement. Tout doit être fait avec le personnage principal et son équipe et le champ d’actions est très limité. C’est dommage, il y avait tellement à proposer, tellement à offrir.
Le découpage en quartiers, s’il repose sur une bonne idée, n’est pas non plus correctement implémenté avec l’obligation de jongler entre plusieurs vues. Ça n’est pas fluide, on se perd un peu à chercher l’endroit qui nous intéresse et il faudrait pouvoir rajouter/enlever des marqueurs. Beaucoup de mécaniques sont sous-exploitées, comme les synergies entre bâtiments censées booster les revenus et la production. La diplomatie est quant à elle très limitée et l’IA passe son temps à proposer et annuler des accords.
Je pourrai continuer encore un peu, vous parler des bugs qui semblent surgir au fil des patches (sérieusement, la version Beta réservée à la presse était plus stable) ou vous expliquer que pour gagner c’est super simple : il suffit d’aller devant le repaire d’un gang, de lui déclarer la guerre, de buter les gardes à l’extérieur, d’entrer dans le bâtiment, de buter tout le monde pour conquérir tout son territoire en une fois. Faites ça une dizaine de fois… Mais vous passerez quand même à côté d’un jeu à l’ambiance incroyable, à la bande son fabuleuse et au potentiel immense mais ruiné par un démoulage trop précoce et des choix foireux de game design.
Empire of Sin mérite vos sous. Mais pas tout de suite et pas autant. Attendez d’abord que le jeu soit remis d’aplomb par ses développeurs. S’ils veulent vendre des DLC il va bien falloir donc bon… Attendez de voir s’ils implémentent une résolution automatique des combats, si la gestion va être un peu renforcée. Je sais, c’est étonnant de quand même conseiller un jeu pour lequel on a donné plus de défauts que de qualités mais l’un dans l’autre, j’ai passé un excellent moment à conquérir Chicago, savourant la fabuleuse bande son et l’ambiance incomparable.
Genre : Stratégie, gestion
Développeur : Romero Games
Editeur : Paradox Interactive
Date de Sortie : 1er Décembre 2020
Testé sur une version presse fournie par l’éditeur