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Song of Farca

Au cinéma, je suis bien plus sensible au propos qu’aux images. Dans les livres, le style peut me transporter, mais si c’est pour raconter une histoire plate, je ne vais pas m’enthousiasmer bien longtemps. Dans les jeux vidéo, en plus du fond et de la forme, s’ajoute une facette supplémentaire aux œuvres : l’implication du joueur.

J’en connais qui sourient déjà, me sachant très tolérant envers des graphismes discutables si le gameplay le mérite < insérez ici un signe de ralliement à destination des joueurs de Dwarf Fortress >. Mais je peux aussi accepter des mécaniques de jeu sans génie si le scénario me happe (faites coucou à la série des Walking Dead de TellTales).

Et ça tombe bien, parce que Song of Farca a tout misé sur le verbe et l’ambiance au détriment du gameplay. C’est ballot, passer tout près d’un Dystoseal à cause de ça, quand on a si bien construit son univers et ses personnages.

Dès le titre, on sent la subtilité de l’écriture. L’héroïne, Isabella Song, vit à Farca, cité fictive qui pourrait se situer dans n’importe quel pays neolibéral du monde. Mais il signifie aussi que la chanson de Farca, à l’instar des poèmes antiques ou des sagas nordiques, va nous raconter l’histoire de la ville, à travers les yeux bleus d’Isabella mais surtout de son arsenal de surveillance technologique.

Parce qu’Isa est confinée chez elle. Pas pour des raisons de pandémie, mais plutôt à cause de son bracelet électronique. Elle est officiellement détective privée mais c’est surtout une hackeuse, et elle aurait enfreint quelques lois dans le cadre de ses investigations.

C’est donc depuis son appartement (grâce au Covid, on sait tous ce que c’est que d’avoir envie de s’évader sans sortir de chez soi) et sur plusieurs chapitres qu’on va suivre sa vie déjà bien bordélique au fil des contrats qu’on lui propose.

Armée de sa capacité d’accès aux caméras de surveillance et accompagnée de son sidekick rigolo, Maurice l’intelligence artificielle (sans lien de parenté avec l’ancien animateur radio), elle va récolter des indices, interroger des contacts et en tirer des conclusions pour valider ses missions.

Les bonnes idées de mise en scène, comme le fait que chaque mission commence avec Isabella en train de vaquer à ses occupations (se faire un thé, caresser son chien…) mais de n’avoir la main sur le jeu que lorsqu’elle se pose devant son ordi, mettent bien dans l’ambiance.

Un coup de fil plus tard, nous voilà dans le cœur du jeu : les enquêtes. Les premières missions nous permettent de nous habituer doucement au gameplay minimaliste, qui se résume à naviguer sur des scènes vues du dessus par les yeux de caméras et par la suite de drones.

On active les caméras, on accède à des indices plus ou moins pertinents puis on rencontre une difficulté. Ça peut être une présence humaine trop près du point à pirater (sans que ce soit toujours très cohérent), un code secret à découvrir, ou en fin de partie des labyrinthes de conduits de ventilation qu’on emprunte avec notre drone.

On enchaine avec des conversations plus ou moins amicales durant lesquelles on associe des éléments découverts pour débloquer les dialogues décisifs, et nous voilà face à une conclusion à fournir au commanditaire de la mission.

Si certaines sont évidentes, d’autres vous laissent la liberté de vous tromper, ce qui est toujours appréciable dans un jeu d’enquêtes. Mais ça reste une exception plus qu’une règle, le jeu reste en grande partie linéaire avant sa conclusion qui dépendra de nos choix lors des nombreuses conversations.

Je me suis très vite pris de sympathie pour Isabella et sa ville, oubliant le gameplay répétitif des missions pour mieux en apprécier le scénario. Oscillant entre humour léger, dureté du libéralisme sauvage, personnages attachants, romance et chaos d’une répression policière brutale, Song of Farca brille par son écriture et surtout celle de ses dialogues.

Certaines missions sont mémorables, d’autres ne semblent faites que pour introduire des acteurs qui reviendront retourner la table plus tard, le tout dans une progression maitrisée où aucun détail n’est laissé au hasard et où notre héroïne n’est pas un parangon de vertu.

L’enquête qu’on doit effectuer sur notre copine (car oui, bien que Wooden Monkeys vienne de Russie, pas le pays le plus LGBT friendly, c’est une romance homosexuelle que nous propose SoF) afin de lui trouver le cadeau d’anniversaire idéal est un parfait exemple.

C’est pétrie de bonnes intentions qu’Isabella va, sous mon influence, appliquer la même méthode que dans ses enquêtes, sans aucun respect pour la vie privée et allant jusqu’à user du chantage pour parvenir à ses fins.

Je n’ai vu qu’une fin parmi les différentes possibles. Pas qu’elle m’ait satisfaite, au contraire, mais c’était la conséquence de mes décisions. C’était cohérent que sa romance tourne au vinaigre et qu’elle finisse par enclencher le mode balek.

C’est en restant conscient de cette limite que je recommande fortement cette aventure narrative soignée du studio ayant déjà réalisé Save Koch. Avec sa patte graphique léchée, sa musique qui rythme parfaitement les missions et son écriture dont je viens de faire l’éloge, Song of Farca m’a souvent fait oublier son gameplay trop limité.

Mais même s’il a le bon goût de ne pas être trop envahissant pour nous laisser profiter du scénario, un petit effort de fait sur ce point l’aurait rangé dans les incontournables. Reste que Song of Farca m’a collé sur la chaise d’Isabella et que j’y suis resté confortablement installé pendant plusieurs heures avec plaisir.

Je le recommande donc fortement aux amateurs de jeux d’aventure aux graphismes soignés, mâtinés d’enquête, de choix moraux et d’intrigues politiques.

Genre : Aventure narrative / puzzle

Développeur : Wooden Monkeys

Editeur : Alawar

Plateforme : Steam

Prix : 16,79€

Date de sortie : 22 juillet 2021

Ruvon

Chaologue pas encore retraité, traître renommé, survivant accompli. Mon domaine, c'est le jeu vidéo, du FPS hardcore au point&click niais, et depuis toujours amoureux du tour-par-tour.