The Wreck

La critique de jeu vidéo, c’est un exercice assez nouveau pour moi. Aussi, je me suis rapidement attaché au côté mécanique des choses : d’un côté le gameplay, de l’autre l’histoire… et au final assez peu de ressenti. Jusqu’au jour où je suis tombé sur The Wreck : Peu de choses à dire sur l’interactivité, un scénario qui se résume à quelques séquences de vie : et pourtant un jeu qui m’a proprement bouleversé.

Ce que vous êtes en train de lire, c’est très exactement ma 12e tentative d’écrire un texte qui puisse fidèlement expliquer mon état émotionnel lors de mon parcours de The Wreck ; mais il m’a fallu me rendre à l’évidence : je suis incapable d’aborder mon ressenti authentique sur ce jeu sans largement spoiler ou pire, dévoiler des évènements personnels que je n’ai pas entièrement résolus. Ainsi il faudra me contenter de l’analyse scolaire qui suit.

Nous suivons donc Junon, une trentenaire française qui accourt à l’hôpital suite à l’admission de sa mère à l’établissement suite à un accident vasculaire cérébral. La mère l’ayant désigné – à son insu – comme décisionnaire unique quant à la poursuite des traitements, Junon se retrouve à devoir gérer un tourbillon d’émotions d’autant plus complexe à appréhender qu’elle va devoir se confronter à ses proches avec qui elle a une relation compliquée – sa sœur et son ex-mari en premier. Chacune de ses confrontations va ramener un évènement qui fait office de tournant dans la vie de la jeune femme : un grave accident de voiture ayant eu lieu il y a quelques années.

Cet accident sera le point de départ de tous les souvenirs mis en scène dans le jeu. Ces souvenirs prennent la forme de plans-séquence bouclant sur eux-mêmes, narrés par Junon en personne. A chaque fois, la première boucle se déroule comme une cinématique, la boucle suivante (voire celles d’après) verra le joueur les rembobiner ou les avancer à sa guise, à la recherche d’éléments visuels indiquant une interprétation jusqu’alors cachée – ou tout du moins pas complètement explicitée. Au fur et à mesure des révélations et des épiphanies, Junon sera en mesure de se mettre au clair sur des réactions mal interprétées, des comportements destructeurs et des relations toxiques passées.

Parce que bien évidemment, il n’est pas nécessaire d’être un grand enquêteur pour deviner que The Wreck – l’épave en bon français – désigne aussi bien la voiture accidentée que les personnages de cette fiction, Junon en premier. Le jeu aborde de front le deuil, la dépression, les relations familiales toxiques, la lâcheté face à la détresse des proches, le tout avec une forme d’humour pinçant et très français en forme de rempart poli face au désespoir. Un aspect d’autant plus présent que l’action se situe en France et que si les personnages s’expriment tous en anglais, c’est toujours avec un délicieux accent franchouillard plus vrai que nature – tous les acteurs choisis sont français. Le jeu est intégralement sous-titré dans la langue de Aya Nakamura mais on regrettera l’absence d’une piste vocale localisée 

Émouvant, faisant appel à la sensibilité de chacun, quitte à faire évoquer au joueur ses drames personnels, The Wreck est un jeu qui ne m’a pas laissé indemne – d’une façon que je ne pense pas encore être prêt d’expliquer. Si je ne le mettrais pas entre toutes les mains tant son gameplay minimaliste et radical et ses thématiques pourront laisser un grand nombre de personnes sur le bord de la route, il n’en restera pas moins qu’on n’avait jamais vu une oeuvre d’une telle puissance narrative et d’une telle justesse dans le paysage vidéoludique. Tout juste peut-on lui reprocher sa fin à choix façon Life is Strange qui ressemble à un refus d’assumer entièrement sa démarche.

Développeur : The Pixel Hunt

Éditeur : The Pixel Hunt

Prix : 19€

Date de sortie : 14 mars 2023 sur PC, Nintendo Switch, PS5, Xbox Series

Testé sur une version presse fournie par l’éditeur