Assault on Gallipoli: the ANZAC Landing Campaign 1915
Publié à l’origine en 2022 par Gecko Games, Assault on Gallipoli: the ANZAC Landing Campaign 1915 – de son petit nom – est revenu dès 2024 chez Hexasim, qui en a profité pour faire une belle version française. Je vois d’ici votre surprise et oui, je confirme que nous allons parler d’un jeu qui simule la campagne alliée visant à défaire l’Empire Ottoman en 1915. Quand on vous dit que le jeu d’histoire est un loisir de niche. Bon, laissez-moi ranger Croâ! – auquel j’ai initié Mitchpuru et faxo, qui ont aimé parce qu’ils sont des Grognards avec des goûts raffinés – et détaillons tout cela.
Assault on Gallipoli est un jeu pour deux joueurs qui voit les forces de l’ANZAC (Australian and New Zealand Army Corps) s’opposer aux forces de l’Empire Ottoman, et ce à travers cinq scénarios courant du 25 Avril au 9 Août 1915 et permettant de revivre du débarquement à ANZAC Cove et l’établissement d’une tête de pont jusqu’aux batailles de Lone Pine et Sari Bair.
L’échelle est le bataillon et la carte est découpée en larges zones parcourues par quelques rares routes et surtout montrant bien le relief très accidenté. Les différents scénarios permettent bien évidemment de se concentrer sur certaines parties de la carte les unes après les autres et de s’adapter au mieux au terrain car c’est lui qui, comme d’habitude, va dicter le rythme.
Assault on Gallipoli n’est pas un jeu compliqué à appréhender ou expliquer. Son livret de règles, très clair et bien traduit dans sa version française, ne fait qu’une vingtaine de pages, avec les concepts principaux repris plusieurs fois et bien illustrés ainsi qu’un index très pratique. Il est globalement rare de devoir replonger dedans en cours de partie, surtout que les deux aides de jeu (recto-verso) fournies reprennent tout ce qui est utile et nécessaire de manière claire en restant tout de même lisibles.

Tout est donc fait pour que les joueurs aient un premier contact agréable qui leur permettra de se concentrer sur la stratégie et je ne vais pas vous mentir, sous ses airs de jeu d’initiation, Assault on Gallipoli se révèle beaucoup plus retors que prévu.
Chaque tour de jeu (il y en a de 3 à 5 selon le scénario choisi) est découpé en 7 phases : la phase administrative, qui voit chaque joueur rafraîchir ses unités ; la détermination de l’avantage moral, pour déterminer qui aura l’initiative ; la pioche des cartes actions (5 pour celui qui a l’avantage moral, 4 pour son adversaire) ; le placement des navires de l’ANZAC ; et ensuite on part sur le plus important : les activations que nous détaillerons plus loin. On finira enfin par les combats rapprochés avant de vérifier si un des camps remplit les conditions de victoire.

Les quatre premières phases n’étant qu’une simple formalité et ne prenant qu’un instant, passons à la phase d’activation qui est divisée en Impulsions pendant lesquelles les joueurs pourront activer des unités, jouer des cartes d’action Rouges ou passer. Si les deux joueurs passent consécutivement, le tour se finit et on passe à la phase suivante. Mais avant que ça n’arrive, beaucoup de choses vont se passer !
Concernant les Cartes d’événement, il y en a de 3 sortes : des Rouges, qui comptent pour une Impulsion entière, les Marrons qui sont jouées lors de votre Impulsion en plus d’une activation et les Vertes que vous pouvez jouer n’importe quand. Ces cartes permettent d’obtenir des bonus temporaires, de réactiver une unité, faire appel à des sous-marins pour couler la flotte alliée… Du classique qu’il vaut mieux connaître avant d’en subir les effets et de tomber des nues. Je garde un souvenir cuisant de ce superbe assaut sur les positions d’artillerie de Mitchpuru, que celui-ci a contré en jouant un Orage Soudain qui m’a obligé à reculer de deux zones, me laissant à découvert…

Passons aux activations. Vous avez le droit d’activer soit une unité, soit un groupe d’unités à chaque Impulsion. Les unités sont : l’artillerie, l’infanterie (incluant les troupes résiduelles), les compagnies de mitrailleuses, les navires et les chefs. La limite d’empilement étant de 6, quelles que soient le type d’unité, vous pouvez donc décider de faire agir qui vous voulez, sachant que chaque type d’unité à des caractéristiques de déplacement – et de combat bien entendu – différentes des autres.
Vous pourrez ainsi déplacer l’infanterie de 4 zones, l’artillerie et les mitrailleuses généralement de 3, alors que les chefs peuvent bouger de 7 et les navires de… zéro. Subtilité : si une unité démarre son déplacement avec un chef dans le groupe, alors elle pourra bénéficier du bonus de déplacement de ce dernier, qui est généralement de +2. Les chefs permettent donc de booster le déplacement des troupes et peuvent soit ramasser ou abandonner des unités en cours de route. Histoire de ne par exemple pas monter à l’assaut avec des obusiers…

En effet, comme je le mentionnais plus haut, seules les unités d’infanterie sont autorisées à tirer en fin de déplacement, l’artillerie et les mitrailleuses devant se contenter de tirer de loin grâce à leur portée supérieure. Une unité activée peut creuser une tranchée, ou tirer depuis sa position, ou bouger ou bouger et tirer, les unités d’infanterie étant les seules à pouvoir accomplir cette dernière action.
Le mouvement est lié au terrain : monter d’un niveau prend un point de mouvement en plus, traverser une rivière aussi, certaines zones sont adjacentes mais sont séparées par un obstacle infranchissable (la ligne est surlignée en rouge sur la carte) et les joueurs habitués aux Hex & Counter vont vite rechercher les routes qui brillent par leur… absence. Il va donc falloir y aller lentement mais sûrement.

Une fois l’unité activée, elle est retournée sur sa face fatiguée et ne peut plus jouer jusqu’au tour suivant. Inutile d’envisager de longues chevauchées, il va falloir y aller méthodiquement et réfléchir non seulement à l’optimisation du tour en cours mais aussi du suivant. Par exemple, si vous voulez aller creuser une tranchée dans une zone un peu éloignée, vous allez devoir envoyer une unité là-bas, ce qui prend un tour, pour l’activer au tour d’après afin qu’elle creuse. Cette unité n’aura donc, en 2 tours, pas tiré un coup de feu. Et les scénarios font entre 3 et 5 tours…
Le placement est donc primordial, tout comme l’utilisation des chefs, qui non seulement apportent un bonus aux déplacements mais aussi aux tirs, même s’ils sont sur leur face utilisée. Il faut donc les exploiter au mieux et essayer d’en avoir dans chaque groupe de combat, tout en essayant de les économiser.

Le déplacement avec tir est une action très fréquente dans Assault on Gallipoli, car c’est la seule qui permet de gagner du terrain. Je ne l’ai pas dit mais de manière tout à fait classique le joueur marque des points de victoire en prenant possession de certaines zones. Sachant que la perte de certaines provoque une défaite immédiate.
Il faut donc avancer pour prendre le terrain, et le plus vite possible car le temps est compté. Malheureusement pour l’assaillant, le défenseur est tout sauf sans défense dans Assault on Gallipoli. Les tirs se résolvent tous selon la même procédure, qu’ils soient à distance ou après assaut : vous partez sur une base de 4 ou moins à faire en jetant un dé à 10 faces. Vous rajoutez le bonus de votre chef (un +1 du chef vous amenant à devoir faire 5 ou moins par exemple), vous enlevez 1 au total à ne pas dépasser si la zone visée est à une altitude supérieure à celle de l’unité qui tire, 1 si elle est dans les bois, 1 par niveau de tranchée, 1 si vous êtes en portée maximale… Vous pouvez donc vous retrouver à devoir faire votre lancer en espérant ne faire que des 1… Autant vous dire que vous allez essayer par tous les moyens d’enlever les bonus défensifs à votre adversaire et le plus efficace pour cela est l’assaut, c’est-à-dire le déplacement finissant dans la zone défendue avec tir à l’issue. Plus de différence d’altitude, plus de portée maximale !

L’inconvénient, c’est que vous allez retourner vos troupes sur leur face fatiguée à la fin de votre déplacement, juste avant de tirer. Et si vous regardez les deux faces, vous vous rendez compte que leur force est divisée par deux lorsqu’elles sont fatiguées. Tirez de loin, vous serez à plein potentiel mais aurez du mal à toucher. Montez à l’assaut, vous serez plus faible mais aurez une chance de prendre possession de la zone.
Toute la difficulté d’Assault on Gallipoli est donc là : savoir quand ramollir la cible à distance avec idéalement de l’artillerie et quand monter à l’assaut avec l’infanterie… Une fois les dés lancés, on regarde lesquels touchent (ceux qui font moins que le total calculé avec les bonus/malus en jeu) et le défenseur doit absorber les points de perte. Une unité fraîche peut généralement en absorber 3, une fatiguée deux. Notons que si vous devez infliger un pas de perte à une unité de force 2, vous allez supprimer l’unité et créer une unité résiduelle très faible mais tout de même existante.

Il est donc rare de nettoyer une zone en un seul assaut, à moins que celle-ci ne soit que faiblement défendue. Les troupes assaillantes vont ainsi se retrouver dans la même zone que les troupes survivantes jusqu’à la fin du tour, où on gèrera les corps à corps.
Avant de passer à ceux-ci, notons qu’il existe le tir d’opportunité, qui permet au défenseur d’agir entre le moment où l’assaillant entre dans sa zone et celui où il ouvre le feu. On peut donc lui infliger des pas de perte, sur des unités fatiguées, ce qui est super, mais cela fatigue bien entendu nos unités, ce qui les rend plus vulnérables. Je vous laisse juger de l’utilité de ce tir d’opportunité.

Donc lors de la phase d’activation chaque joueur va jouer une Impulsion puis passer la main à son adversaire. Le front va donc beaucoup changer, avec des zones qui vont être vidées, prises d’assaut ou évacuées. Une fois toutes les unités activées, le tour se finit et on passe aux corps à corps dans les zones disputées. Notons que la fin de tour peut toutefois arriver bien avant : il existe une piste de fin des activations qui avance à chaque fois qu’un 10 est obtenu lors d’un tir ou lorsqu’un joueur passe et qu’il fait entre 8 et 10 sur un jet de dé. Vous pouvez donc ne pas avoir le temps d’activer tout le monde !
La phase de corps à corps est une petite originalité d’Assault on Gallipoli : plutôt que de lancer des dés, chaque joueur va recevoir un certain nombre de cartes de combat, tirées d’un deck spécial, dépendant de la force des troupes engagées. Le joueur ayant l’initiative va ensuite jouer une carte, que son adversaire doit contrer avec une carte identique ou un joker. A chaque fois qu’une carte est contrée, le joueur ayant contré peut tenter de prendre l’initiative et, s’il réussit, c’est à lui de jouer une nouvelle carte.

Ce système où les joueurs essaient de deviner ce que l’adversaire a pioché change grandement des résolutions habituelles et s’avère être un jeu dans le jeu. Dès qu’un joueur ne peut pas contrer la carte de l’autre, il perd le combat et se voit infliger des pertes égales au nombre de cartes jouées par l’attaquant, alors que celui-ci ne prend de pas de pertes que par tranche de 3 cartes jouées. Le perdant peut donc prendre une sacrée dérouillée, symbolisant parfaitement la violence des corps à corps.
Vous l’aurez compris en lisant cette – trop longue – présentation des règles, Assault on Gallipoli n’est pas bien compliqué à expliquer mais se révèle bien moins évident à jouer que ce que l’on pourrait penser. L’obligation de réfléchir aux répercussions sur le tour suivant, le côté implacable d’une mauvaise décision, même anodine, font que l’on évitera autant que possible de précipiter ses actions. Ce qui est d’ailleurs une torture car certains scénarios poussent l’attaquant à attaquer le plus vite possible. Il faudra donc employer au mieux ses chefs et son artillerie, de loin les unités les plus utiles et destructrices, et espérer un minimum de chance aux dés (qui peut être atténué via les cartes d’évènement je vous rappelle).
Les parties sont très rythmées car chaque impulsion est courte, l’ajout de cartes d’événement étant de plus une excellente chose car cela permet de rajouter du chaos et oblige l’adversaire à rester sur ses gardes. C’est cet aspect d’Assault on Gallipoli qui plaira sûrement le plus aux néophytes, qui auraient pu être effrayés par l’idée de jouer un titre sur la première guerre mondiale aux fronts réputés si statiques.
Au niveau du matériel, rien à dire : tout est de très bonne facture, avec une belle carte montée, des pions bien épais dont le graphisme fait débat. Personnellement – et Mitchpuru semble avoir le même avis que moi – je les trouve moches mais lisibles. Tout est affaire de goût me direz-vous, mais ne soyez pas surpris en ouvrant la boîte. Autre remarque, qui concerne les tons de marron pour les différents niveaux d’altitude. Si on est obligé de publier sur BGG un petit dessin pour délimiter les différentes zones, c’est que les couleurs ne sont pas bien choisies messieurs dames… Et ne venez pas me dire que c’est parce que je suis un homme, j’ai demandé à ma tendre moitié qui est restée dubitative devant la carte.

Ces quelques détails mis à part, je dois vous avouer avoir été très agréablement surpris par Assault on Gallipoli. Je n’ai aucune affinité avec le thème (même si pour le coup ma curiosité est éveillée), je ne suis pas fan des jeux à zones, le premier abord graphique ne m’enchantait pas plus que ça mais après la lecture des règles et dès les premiers jets de dés, l’expérience s’est avérée extrêmement plaisante. Je ne le conseillerais cependant pas à des débutants complets, car les parties sont assez longues (peut-être un peu trop longues d’ailleurs pour un jeu léger) et impliquent d’avoir l’habitude de la planification à long terme. Ce dont Mitchpuru et moi-même semblons dépourvu tant nous pestions régulièrement sur nos erreurs…
Avec un adversaire un minimum curieux qui ne rechignera pas à sortir de sa zone de confort et un après-midi devant vous, Assault on Gallipoli vous offrira un excellent moment grâce à son système original à base de D10 et de cartes pour les combats. Les cinq scénarios vous occuperont de plus un bon moment, surtout si vous vous amusez à jouer en miroir. Belle réédition d’un jeu qui demanderait à être plus connu et qui réussit parfaitement à simuler la difficulté de combattre sur un terrain escarpé.
Auteurs : Kieran Oakley & Russell Lowke
Artiste : José Ramón Faura
Editeur : Hexasim
2 joueurs
de 120 à 300 minutes
Testé sur une version presse fournie par l’éditeur
Article et jeu présenté bien sympathique qui me permet de me faire une idée un peu plus précise qu’après une simple lecture des règles.
A rester.
Merci Arnaud ! Le jeu vaut effectivement d’être découvert.