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Unto The End

Une vaste prairie recouverte d’un récent manteau blanc, des arbres dont les dernières feuilles auburn tombent doucement sous l’effet du vent, des monts enneigés au loin. Ma terre est accueillante, malgré l’automne qui touche à sa fin. Ma femme et mon fils m’attendent pour me souhaiter bonne chance, je pars à la chasse. L’enfant me tend ma lance, ma douce coupe une mèche de ses cheveux pour que je la garde près de moi pendant mon voyage. Je leur souris, confiant, et je m’élance sur la route, épée au dos, vers ce monde blanc, hostile, stérile. Le froid sera mon univers. Le froid et la douleur.

Le cerf m’a repéré. Ma proie s’éloigne, il maîtrise le terrain alors que mes pas dans la neige sont de moins en moins assurés. Chaque geste me coûte, chaque mouvement m’arrache des gémissements gutturaux. Je ne regarde plus devant moi, je ne vois plus que du blanc, enveloppé dans cette neige qui ne cesse jamais de tomber. Et je tombe à mon tour.

Une crevasse dissimulée sous le manteau blanc me piège. Quelques dizaines de mètres plus bas, j’ai la chance d’atterrir sur un amas assez épais pour que je ne me tue pas. Des créatures hostiles m’entourent, mais fuient avant que j’aie pu reprendre mes esprits. Ma lance est brisée. Mon épée m’a suivi. Cette grotte à peine éclairée m’inquiète plus que les étendues glacées. Il n’est pire menace que celle qu’on ne voit pas.

Unto The End se déroule sans le moindre dialogue, la moindre parole. Toute la narration est concentrée dans cette lourdeur pesante, ralentie, où l’on erre sans repères, alternant entre grottes sombres où la torche est indispensable, et grands espaces extérieurs propices aux combats contre plusieurs adversaires. L’ambiance sonore est parfaite, le craquement de la neige sous les pieds, le souffle glacé que l’on expulse difficilement, les chairs qui s’ouvrent sous les lames.

Le grand rouquin barbu que l’on accompagne dans le froid n’est pas un lapereau de trois semaines. Armé d’une épée et d’un couteau de lancer en os, il sait se battre. Mes premières rencontres avec les habitants de ce wasteland blanc n’ont qu’une issue : le sang est versé. Je ramasse des ressources qui trainent dans leurs antres et sur leurs cadavres.

Certains sont armés de lames rudimentaires et malgré tout mortelles, d’autres vous jettent des rochers au visage, et les combats ont mis mon absence de skill à rude épreuve. On doit minuter ses gestes, parer, esquiver, riposter, dans une chorégraphie exigeante et impitoyable. Si le premier coup reçu est rarement fatal, le second est synonyme de mort.

Le système de combat est assez riche : coup haut, coup bas, roulades chères aux Darksouleux, coup d’épaule et lancé de couteau (que l’on ne peut posséder qu’en un seul exemplaire et qu’on doit fabriquer à nouveau si on le perd). Chaque adversaire a son style, ses mouvements, et malheureusement, il est souvent nécessaire de mourir plusieurs fois avant d’en apprendre assez sur leur rythme pour pouvoir les terrasser.

Certains coups me one-shot, d’autres m’envoient au tapis désarmé et la meilleure façon de mourir est de matraquer les boutons d’attaque. Du Dark Souls en 2D à base d’essai – erreur frustrant, avec de temps en temps un boss encore plus punitif. Mention spéciale à ce yéti à deux têtes qui m’a arraché plusieurs dizaines de fois la tête à grands coups de cadavre de cerf.

J’adore les graphismes, surtout en extérieur, où les nuances de blanc racontent cet enfer glacé. Les créatures qui y vivent n’y sont toutefois pas toutes hostiles, certaines demandent des offrandes en échange desquelles elles me fournissent des colifichets parfois décoratifs, parfois indispensables pour enfin rentrer chez moi.

L’interface est d’une sobriété absolument remarquable, puisqu’elle est tout simplement absente, à part pour consulter mon inventaire grâce auquel je peux crafter de rares objets comme une torche ou des protections. Il n’y a même pas d’écran titre, à peine un avertissement en début de partie que ce jeu est volontairement difficile.

Mais Unto The End l’est parfois inutilement trop, malgré de fréquents points de sauvegarde, et s’égare trop longtemps dans un labyrinthe souterrain duquel on ne peut sortir qu’après avoir offert les bons objets à des manchots (des gens à qui il manque un bras, pas aux oiseaux qui ne volent pas). Sorti de ce passage pénible, le gameplay est basique mais fonctionne et chaque nouvelle rencontre est un plaisir. La guerre fait rage entre les différentes espèces qui peuplent les lieux et j’ai essayé de prendre parti, sans jamais savoir si mes actes ont eu une influence.

La longue marche terminée, quand apparait enfin au loin la douce lumière de ma chaumière, c’est tout aussi sobrement que l’écran de fin est apparu. J’ai reposé la manette, à la fois soulagé et épuisé, comme mon ami chevelu. A genoux dans la neige, il voit sa femme le rejoindre après cette journée imprévue, tandis que je m’interroge sur l’expérience particulière que je viens de vivre. Elle n’a duré que quatre heures mais elle m’a paru tellement plus longue, sans éviter une certaine lassitude mais qui a toujours eu un goût de reviens-y.

Unto The End a été développé par 2 Tons Studios, composé d’un couple de Canadiens, Stephen et Sara (à part la partie sonore), dont c’est le premier jeu. Ils se disent inspirés par INSIDE et Another World et ont fait un très bon travail sur toute la direction artistique, notamment les animations et l’ambiance visuelle générale. Le gameplay, basé autant sur le skill que sur la capacité à encaisser l’échec, est exigeant mais bien pensé, avec tout de même quelques moments frustrants.

Il faut aimer la douleur, recommencer en boucle des combats délicats, éviter les roulades qui finissent dans un mur sous peine d’y lâcher son épée et de la santé, supporter ces éléments du décor qui viennent parfois cacher une partie de l’écran et tolérer une certaine lourdeur dans les déplacements du costaud que l’on dirige, bref, être un peu maso pour réellement apprécier Unto The End. Mais je ne regrette pas d’avoir tenu le coup, tout en déplorant que certaines bonnes idées n’aient pas été plus développées.

Genre : Dark Souls congelé en 2D

Site officiel

Développeur : 2 Tons Studios

Éditeur : Big Sugar

Plateforme : Steam

Date de sortie : 10 décembre 2020

Testé sur une version presse fournie par l’éditeur

Ruvon

Chaologue pas encore retraité, traître renommé, survivant accompli. Mon domaine, c'est le jeu vidéo, du FPS hardcore au point&click niais, et depuis toujours amoureux du tour-par-tour.