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Silicon Dreams

Assis à mon bureau, j’émerge. Vierge de souvenirs. Le silicone ne rêve pas. La pièce est spartiate. La vue encombrée. Les écrans n’affichent qu’une bouillie statique et à l’emplacement du lit se trouve un module de recharge. Sur la table clignote mon outil de travail. Nous sommes en 2065, je suis un androïde interrogateur né il y a cinq minutes et je commence ma journée.

D’une pression, je déplie l’écran et voilà mon premier contact. Elle s’appelle Alex, elle est attachée à une chaise et c’est elle qui m’apprend que je dois l’interroger. Mon job est de déterminer l’état psychologique de l’androïde que l’on m’a assigné. Le système calcule les émotions causées par mes questions et ses réponses me permettent de répondre aux questions du formulaire de mission.

Evacuons tout de suite la question : oui, il y a une forte inspiration Blade Runner et test de Voigt-Kampf dans Silicon Dreams. Elle est assumée, comme le montrera ce dialogue qui y fait directement référence. Si dans le film, il permet de déterminer si une personne est un réplicant ou un humain, ici (la plupart du temps) nous avons déjà l’information. Mais la mesure des émotions de la cible me servira à déterminer si le robot doit être remis en service, envoyé en maintenance ou directement recyclé.

Alex m’explique tout ça avec calme, jusqu’à ce qu’apparaisse des fissures dans son récit. En abordant certains sujets, je constate que ses réponses ne coïncident pas avec ses émotions. Car tout comme moi, elle est sentiente, c’est un être pensant, créé par une société qui a poussé le concept d’intelligence artificielle jusqu’à laisser les robots avoir une personnalité.

Certains sont limités par design, d’autres sont libres d’apprendre et de ressentir certaines émotions, suivant la fonction pour laquelle ils ont été conçus et les désirs de leurs propriétaires. Ou plutôt locataires, puisque Kronos ne perd jamais juridiquement la propriété de ses créations. Mais ceux qui finissent devant moi ont, à un moment ou à un autre, dévié de leurs prérogatives ou développé des comportements imprévus et indésirables.

C’est d’ailleurs le cas d’Alex, dont je devrais décider du sort, qui est là pour nous présenter le concept mais qui n’est pas qu’un tutoriel. Si les interrogatoires suivants seront plus développés, elle est une parfaite introduction au scénario à tiroirs que l’on va déficeler dans Silicon Dreams.

Chaque sujet de conversation propose plusieurs questions qui vont ouvrir ou fermer certaines branches. Les réactions des interrogés sont monitorées et je sais précisément quel sujet à déclenché telle émotion. Certains sujets ne sont débloqués que si mon interlocuteur est suffisamment calme, triste ou joyeux. L’ordre des questions est donc important, mais je ne sais parfois qu’après coup que j’ai laissé passer ma chance d’obtenir certaines réponses.

C’est un peu la limite du concept. L’écriture est très bonne, avec ces personnes aux motivations, passé et peurs cohérentes. Mais notre performance dépend de notre capacité à faire craquer ou obtenir la confiance de la cible, ce qui pousse à optimiser le résultat. Ma première partie s’est finie de façon frustrante, puisqu’on reste dans un jeu vidéo et le score à atteindre, même s’il est planqué sous une interface immersive, reste une contrainte bien présente. Je pense notamment à cet androïde, persuadé d’être un humain, dont j’ai eu la preuve que les souvenirs avaient été fabriqués sans que je comprenne pourquoi le jeu ne l’a pas validé. Décevant, surtout vu l’importance de ce personnage.

Mais cela ne m’a que plus donné envie de recommencer et d’aller découvrir les vérités que même les interrogés ignorent parfois. J’ai, à travers mes questions, mes coups de pression ou d’empathie, la possibilité de moi aussi sortir du rang en allant à l’encontre des prérogatives du briefing, de jouer du bâton et de la carotte, au bon flic mauvais flic pour mieux déstabiliser ou au contraire m’impliquer personnellement dans une campagne d’émancipation des IA de la toute puissance de Kronos, notre Harvester à nous, à la fois grand méchant et instrument manipulé. Et au moins lui n’a pas installé mon bureau dans un placard.

Techniquement, l’atmosphère cyberpunk est là, mais cette couche est artificielle. Le décor ne sert à rien et vient parfois interrompre le gameplay d’un clic mal placé. L’interface aurait encore gagné en cohérence en se simplifiant plutôt qu’en essayant de nous donner la possibilité de regarder autour de nous. L’ambiance sonore est anecdotique mais rien de tout cela ne vient pas gâcher le plaisir.

Parce que Silicon Dreams est un jeu bien pensé, avec quelques limites mais l’intention est bonne et le résultat prenant. On s’attache à ces quelques personnages qui viennent s’inscrire dans un scénario global avec brio. Des bribes d’informations qui nous semblent insignifiantes sur le moment reviennent faire coucou sans prévenir plusieurs dizaines de minutes plus tard. Peu d’éléments sont là par hasard, sans coïncidences forcées ou retournements de situations abusés.

Le travail de Daniel Adams et James Patton, membres de Clockwork Bird, déjà à l’oeuvre dans l’excellent jeu de stratégie conspirationniste Spinnortality, est particulièrement intelligent. L’ensemble est crédible et le destin de notre avatar n’est pas dissocié de celui de nos cibles. La fin de chaque partie nous relate ce qu’ils sont devenus, nos choix ont un vrai impact sur le scénario et on n’échappera pas nous aussi à un interrogatoire musclé où on devra se justifier.

Les amateurs de fiction narrative qui n’ont pas peur des dialogues à embranchements et qui sont à l’aise avec l’anglais y trouveront leur bonheur. Les quelques heures que durent chaque partie de Silicon Dreams sont renouvelables au moins une fois (plus si vous voulez voir toutes les fins possibles), pour un prix cohérent avec cette durée de vie. Une belle réussite que cette expérience originale qui mérite d’être vécue.

Genre : Fiction narrative cyberpunk

Développeur : Clockwork Bird

Plateforme : Steam

Prix : 12,49€

Date de sortie : 20 avril 2021

Testé sur une version presse fournie par l’éditeur

Ruvon

Chaologue pas encore retraité, traître renommé, survivant accompli. Mon domaine, c'est le jeu vidéo, du FPS hardcore au point&click niais, et depuis toujours amoureux du tour-par-tour.