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Mind Scanners

J’en ai fait des boulots dans ma vie de joueur. Dictateur, rebelle, fermier, flic, criminel, soldat ou douanier, rien ne m’aura été épargné. Mais chirurgien des phobies et autres dysfonctionnements cérébraux, c’est une première. Mind Scanners, comme son nom ne l’indique qu’à moitié, me donne la fonction délicate et discutable de corriger les comportements indésirables de citoyens. Parfois pour le bien commun lorsqu’ils mettent les autres en danger, plus souvent pour maintenir un ordre social arbitraire et élitiste.

Dans cet univers cyberpunk qui a le bon goût de s’en réapproprier les règles (proposant une ambiance très éloignée de celle de Silicon Dreams, chroniqué il y a peu), on joue le « psyrurgien » sur les citoyens de la Structure. Cette mégalopole, ceinte d’un mur qui la protège de la zone extérieure en proie à l’anarchie, est évidemment une dictature technologique. Lorsqu’un déviant est signalé, on envoie un Mind Scanner analyser l’esprit du concerné, pas toujours volontaire, pour ensuite utiliser sur lui divers instruments pour le « libérer » de ses défauts.

L’inconvénient de ces méthodes plus proches de la lobotomie que de la neurochirurgie c’est qu’elles finissent par lui ôter également toute personnalité. Si la Structure nous félicitera tout de même, les conséquences pour les citoyens concernés peuvent être dramatiques et on ne manquera pas de nous le rappeler par la suite. Si en plus on y va comme un bourrin, on risque d’infliger également des souffrances physiques et de dépasser un seuil de tolérance qui entrainera l’échec de l’opération.

Mais comment tout ceci s’intègre dans le gameplay ? Déjà, évacuons tout de suite la référence : non, malgré quelques éléments similaires, on n’est pas vraiment en présence d’un Papers, Please cyberpunk. En début de journée, on dispose d’un capital de temps qui nous servira à rejoindre un « patient » et à le soigner. Après interrogatoire pour déterminer la nature de sa folie (attention, ils ne le sont pas tous), on attaque le nettoyage de cerveau.

Il est impossible de s’occuper de plus d’une personne dans le temps imparti et plus les jours passent, plus les soins prennent du temps. Sachant qu’on va nous ponctionner une somme en fin de journée et qu’on n’est payé que si le patient est guéri, on se retrouve vite sur la corde raide. Ne pas pouvoir payer ses factures équivaut à un game over, sans même passer pas la case clodo.

Les traitements sont administrés via une série de mini-jeux de rythme, d’observation, de précision pas vraiment intéressants ni agréables à jouer. Mais on sent bien qu’il s’agit d’une volonté des développeurs et ils se sont appliqués à rendre ça stressant. Il faut jongler avec les instruments (que l’on doit débloquer en dépensant du temps et de la thune), prendre le temps de réparer la « personnalité » du citoyen pour éviter de le transformer en légume, le tout avec le chronomètre qui défile.

On peut utiliser des drogues pour faciliter le traitement mais il faudra alors y aller de sa poche et on ne sera pas épargné par les effets secondaires. Cette phase, centrale dans le gameplay, est sympa à découvrir quand les soins ne sont pas encore trop complexes, mais devient vite plus pénible que stimulante. Le nombre de points à guérir augmente avec les jours, ce qui rend le sans-faute indispensable et la moindre erreur encore plus douloureuse.

Ce qui m’a poussé à m’accrocher malgré tout, c’est le scénario. En début de partie, on nous explique qu’on va devoir être un bon petit soldat si on veut revoir notre fille qui nous a été enlevé. De quoi me donner envie de savoir où tout ceci allait, quel était cet univers presque plus steam que cyberpunk, cette faction qui œuvre contre la Structure, ces messages inattendus qui font suite à nos interventions sur nos précédents patients. Ces derniers sont tous improbables, entre ce magicien qui lance des sortilèges, ce docteur qui bat sa femme et ses enfants, ce styliste avec qui on passe une nuit torride, cette pauvre femme victime d’une erreur du système…

Le studio derrière Mind Scanners a déjà montré des bouts de leur monde dans leurs précédents jeux disponibles sur Itch.io ; ces trois point&clicks gratuits assez courts font partie des Tales From The Outer Zone, cet endroit à la fois craint et haï par la Structure. On y retrouve leur style graphique et je trouve que le format jeu d’aventure convient mieux à leur créativité et je vous invite à les découvrir.

Ils ont tenté une nouvelle forme de narration pour leur premier « gros » projet et c’est réussi de ce point de vue. Les différentes fins atteignables (je n’en ai vu que deux mais certains évènements du scénario ne me laissent que peu de doutes sur le fait qu’il y en ait d’autres). Le gameplay a son charme, mais je crains qu’il peine à convaincre tous les publics.

Ce jeu n’est pas facile à apprécier, tant les sessions de soin sont punitives et laborieuses. L’écriture (en anglais) est très bonne, sans clichés et se renouvelant à chaque nouveau patient. A noter qu’une version française est disponible mais que j’en ai rarement vu une aussi affligeante, du Google Trad bourré qui n’a pas été relu, à fuir absolument. L’ambiance sonore, en plus d’être incapable de se renouveler, est pensée pour renforcer le stress avec ces bruits étranges et stridents.

Les graphismes en pixel art ont un grain très particulier mais surtout une palette de couleurs dérangeante. Chaque fois que je quitte le jeu, mes yeux ont besoin d’un peu de temps pour se réhabituer à la « normalité ». Le tout donne un ensemble contrasté et maladroit, avec une forte personnalité qui a aussi tendance à écœurer.

Mind Scanners est un ovni, une expérience inattendue qui a pris de Papers, Please son univers oppressant, son scénario qui implique le joueur, ses personnages qui tentent de contourner le système avec des cadeaux ou des menaces, pour mieux emmener le gameplay sur des sentiers sauvages. Le voyage est ardu, presque douloureux, à vivre par petites sessions pour ne pas saturer.

Sans atteindre la qualité du titre de Lucas Pope, le travail mérite une mention, sans pour autant que je puisse le conseiller à tous. Il ne se laisse pas apprivoiser facilement, son gameplay grince parfois mais la qualité de l’écriture et de l’univers de The Outer Zone compensent… un peu. En tous cas, Mind Scanners a une personnalité que j’espère retrouver dans d’autres titres tout aussi originaux.

Genre : Fiction narrative avec mini-jeux

Développeur : The Outer Zone

Editeur : Brave at Night

Plateforme : Steam

Prix : 15,99€

Date de sortie : 20 mai 2021

Testé sur une version presse fournie par l’éditeur

Ruvon

Chaologue pas encore retraité, traître renommé, survivant accompli. Mon domaine, c'est le jeu vidéo, du FPS hardcore au point&click niais, et depuis toujours amoureux du tour-par-tour.