Fief: England
La toute nouvelle société d’édition de jeux de société International Team s’est dit que quitte à débuter, autant faire ça bien. Et quoi de plus international qu’un jeu sur l’Angleterre réalisé par un Français ? C’est donc Fief: England, dont j’ai eu le plaisir de tester un prototype (détail qui a son importance), qui sortira bientôt sur la houlette de cette jeune société et qui est pour le moment en pleine campagne de financement sur Gamefound.
Si vous aimez les jeux touffus, les jeux où la meilleure manière de montrer que vous estimez votre voisin de table est de lui planter une dague dans le dos, les jeux ont les alliances tiennent suffisamment longtemps pour vous permettre de gagner, alors je vous conseille de lire attentivement ce qui va suivre.
Dire que Philippe Mouchebeuf a une idée en tête est un léger euphémisme : débutant en 1981 avec Fief, puis Fief 2 huit ans après, il a accéléré en 2011 avec une nouvelle édition de Fief, puis Fief : France 1429 (2015) et Fief : France Edition il y a deux ans. On sent un certain amour pour le Moyen-Âge et la volonté de perfectionner son bébé, ce que le public lui a bien rendu, la série ayant une certaine aura auprès des joueurs barbus et bedonnants (oui, je balance les clichés que je veux, c’est mon article).
Maintenant que vous avez une brève présentation de l’historique de Fief, il est temps d’enfin passer aux choses sérieuses. Dans Fief: England, chaque joueur incarne une famille de seigneurs qui va devoir prendre le dessus sur les autres, que ce soit par les armes ou la diplomatie, pour devenir la plus puissante. Pour ce faire, rien de plus simple : tous les buter détenir des titres. Parce que bon, Moyen-Âge oblige, c’est bien beau de massacrer des paysans mais encore faut-il détenir les titres autorisant à le faire.
Une partie de Fief (England ou les autres) est un processus d’assez longue haleine – comptez largement plus de 2h30 pour une partie à 4 – où les faux pas se paient cash et où la morale fluctue au rythme des événements. Les règles sont denses, il y a plein de petites choses à garder en tête mais une fois lancée, la partie va absorber les joueurs tant il y a à faire au cours des 7 tours (au maximum) qu’elle va durer.
Petit tour d’horizon rapide, que vous ayez une idée. Sur une carte de l’Angleterre divisée en six provinces, chaque joueur prend dès le début une décision lourde de conséquence : il choisit où établir son premier château (la solution de tirer au sort devrait cependant être privilégiée). Il a avec lui deux nobles – frère et sœur – et quelques hommes de troupes et chevaliers. A chaque tour, les joueurs peuvent déclarer des alliances et marier leurs nobles (uniquement à partir du troisième tour). Chaque joueur ne peut avoir qu’un seul personnage marié à la fois, limitant de ce fait les alliances.
Ensuite, s’il n’y a pas de souverain, des élections sont tenues. Les nobles (hommes ou femmes) titrés votent, les souverains éventuellement élus prennent leurs fonctions et à chaque tour peuvent convoquer le parlement pour voter un impôt. Celui-ci est totalement injuste (mais en bon français vous le saviez déjà) car s’il passe, il file dans les poches du Roi qui en fera ce que bon lui semblera. Première constatation : il vaut mieux être pote avec le Roi !
Ensuite, chaque joueur peut défausser des cartes et en reprendre deux au maximum pour compléter sa main de 3 maximum. Oui, c’est vraiment très peu et il va falloir lourdement peser l’utilisation de chacune. Elles peuvent être des personnages ou des événements (assassiner quelqu’un, avoir de bonnes récoltes…). En piochant des cartes, les joueurs vont naturellement faire apparaître des cartes Calamités. Et c’est là qu’une petite larme va commencer à couler sur certaines joues, car Fief: England introduit une Calamité bien sympathique (lorsque l’on n’est pas concerné) : les raids Vikings. Vous me direz, les autres calamités sont tout aussi rigolotes : famine, tempête empêchant les déplacements, peste noire…
Une fois ces Calamités réparties dans les diverses régions, chaque joueur peut jouer autant de cartes qu’il veut, que ce soit pour rajouter un Seigneur à sa famille, embaucher des mercenaires, améliorer ses récoltes ou encore gagner le soutien des bourgeois et surtout ajouter des titres religieux. Il peut ainsi nommer une de ses Dames abbesse ou décider que son nouveau noble sera évêque. Ces décisions ne sont pas anodines car si ces titres apportent des votes et des moyens de gagner de l’argent, ils empêchent aussi de se marier…
A noter que c’est à l’issue de cette phase que se déroule la phase la plus importante : celle du pigeon voyageur. Oui messieurs dames, vous avez bien lu. Chaque famille dispose de trois pigeons pour échanger des cartes ou des écus avec ses potentiels alliés. Le principe est tout simple : vous jetez le pigeon un dé et si vous ne faites pas 1, vous avez le droit de discuter avec votre nouveau « meilleur ami pour la vie jusqu’au prochain tour ». Fun fact : il est possible que le pigeon s’égare ou d’employer des moyens pour l’empêcher d’arriver.
Vient ensuite une phase qui pourrait mettre le sourire sur toutes les lèvres mais qui peut générer des crispations : la phase des revenus. Normalement chaque Seigneur gagne ce que ses cités et moulins génèrent mais les Calamités et certains événements peuvent changer cela. On peut donc se retrouver quasiment sans revenus ou obligé de donner la moitié de ses gains à un quelconque archevêque qui a décidé de lever un impôt chez vous. Enfin chez lui. On s’comprend.
Après les gains viennent logiquement les achats. Et c’est là que des choix déchirants vont se faire : faut-il construire un château dans cette nouvelle ville ou recruter des gens d’armes pour se défendre contre les Vikings ? Mettre un moulin maintenant ou acheter en priorité ce titre de fief ? Autant de questions pour lesquelles la réponse la plus commune sera : je ne sais pas mais en tout cas j’ai pas assez !
Viennent ensuite les déplacements. Ce qu’on appelle la phase du « m’as-tu roulé dans la farine ou pas ? », où les Seigneurs se déplacent avec leurs armées, par terre ou par mer. Où les négociations vont bon train, à grand coup de « mais si je te promets je passe juste, je ne viens pas t’assiéger ».
Une fois que tout le monde est parti se promener, sans la moindre arrière-pensée bien entendu, place à nos amis Scandinaves. S’ils débarquent dans le Royaume, ils deviennent un véritable fléau, attaquant les premières troupes rencontrées, détruisant tout sur leur passage. Ils sont costauds, bornés et font très très mal, croyez-moi. Mais éventuellement peuvent rembarquer ou être convertis.
Enfin viennent les éventuelles batailles entre joueurs, qui peuvent sembler un peu intimidantes au début. Elles consistent en un savant calcul de points de force qui amènera le jet de plus ou moins de dés, nombre altéré par la présence – ou non – de fortifications. Rajoutez des grincements de dents, un peu d’exultation et vous aurez une bonne idée du déroulement. Le vaincu peut soit trépasser soit se retrouver prisonnier, ce qui n’est pas bon signe pour les finances.
Le tour étant maintenant enfin fini, avancer le marqueur d’une case et reprenez au tout début. Si vous avez poussé un soupir de soulagement en arrivant ici, imaginez lorsque vous êtes assis au bord de votre chaise, à vous demander si les Vikings vont venir chez vous, s’il faut que vous leviez l’impôt au risque qu’un autre provoque une révolte, s’il vaut mieux rester en défense ou partir conquérir un autre fief…
Car Fief: England est comme ça : dense et sans pitié. Sur notre partie à quatre joueurs – qui est le nombre recommandé – je ne pense pas qu’il y a eu la moindre bataille d’envergure entre joueurs tant nos plans ont toujours été chamboulés par les événements. S’il faut 4 points de victoire pour gagner à deux (et 3 tout seul) à partir du tour 5, ils ne sont pas pour autant simples à obtenir. Certes, détenir un fief vous en donne un, mais il faut aller chercher les deux autres… Alors on s’allie, on fait des plans sur la comète, on zieute les armées du voisin pour voir si elles représentent un si grand danger que ça.
Vous l’aurez remarqué, je n’ai pas abordé la question du matériel, de la boîte et autre thermoformage. C’est normal, nous avons joué sur un prototype, certes finalisé à 95% mais un prototype tout de même. Quelques impressions tout de même : les cartes et le matériel en général sont de très bonne qualité. Le plateau de jeu est énorme, un peu trop d’ailleurs pour les tables les plus petites, les rappels du déroulé des événements d’un tour disproportionnés avec une iconographie parfois peu claire (et surtout il y manque le pigeon !). Le livret de règles souffre d’un énorme souci d’organisation par contre, il est très difficile de retrouver les informations qui sont disséminées ici et là et cela oblige à de pénibles recherches du fait de l’absence d’index digne de ce nom. Ces points seront sûrement rectifiés avant la sortie finale. Mis à part ce détail qui a son importance, c’est de l’excellent travail pour une première production !
On regarde aussi les reliques, qui amènent des bonus conséquents. On essaie d’employer les pouvoirs des serviteurs – je ne l’ai pas mentionné mais chaque Seigneur dispose d’un serviteur aux pouvoirs (très puissants) s’appliquant soit à la famille soit à son maître -, qui peuvent changer une partie (ah, ce serviteur qui empêche un Seigneur de voter ou de se porter candidat…), et surtout on s’adapte au mieux.
Par exemple, mon allié et moi nous sommes pris deux raids Vikings coup sur coup, avec une petite peste entre les deux. Le résultat a été terrible pour nos armées qui ont été décimées, sans compter la perte de deux Seigneurs. Ces Calamités, cumulées avec les coups bas des autres joueurs – allez hop une petite révolte dans quelques villes, histoire de finir l’homme déjà à terre – peuvent entraîner des situations frustrantes si le sort s’acharne (3 raids vikings sur la partie, les trois sur les deux mêmes joueurs…). C’est très brutal et il est assez difficile de relever la tête si les adversaires en profitent.
Alors, Fief: England est-il une évolution majeure dans la gamme ? S’il en reprend les mécaniques, le fait de limiter le nombre de joueurs à quatre (contre 6 au maximum et recommandés pour Fief: France) le rend bien plus compact et rapide à jouer (il fallait compter 4 bonnes heures). Les débuts sont toujours ronronnants – il faut que chacun s’installe dans son domaine – mais les raids Vikings et la létalité des événements font que les choses bougent très vite. Un peu trop peut-être pourront regretter certains. Quoi qu’il en soit, la version France et Angleterre peuvent cohabiter sans le moindre souci dans une ludothèque !
Quoi qu’il en soit, grâce au système d’alliances (et aux pigeons), aux différents titres et aux événements, chaque partie promet d’être unique et rocambolesque, ce qui me semble être indispensable pour un jeu de ce type. Après comme vous l’aurez remarqué, Fief: England n’est pas à mettre devant tout le monde. Les règles sont vraiment nombreuses (mais bien souvent logiques) et il vaudra mieux avoir un vétéran de la série pour faciliter l’apprentissage. Mais il ne fait nul doute qu’une fois passée la partie de découverte, il y aura un goût de reviens-y et une odeur de revanche dans l’air…
Auteur : Philippe Mouchebeuf
Artiste : Mailon Karr
Editeur : International Team (II)
de 2 à 4 joueurs
De 180 à 240 minutes