Crusader Kings III
J’ai un rapport assez particulier avec la série Crusader Kings. Pas uniquement dû au nombre d’heures de jeu passées sur la série depuis le premier. Mais surtout parce que j’ai participé, pendant plus d’un an, à l’élaboration de la base de données de personnages du second opus (Crusader Kings III est un jeu de gestion dynastique avant autre chose, le boulot à effectuer fut donc titanesque) et puis un peu à la correction de la carte du monde, etc pour qu’il soit fin prêt pour la sortie du jeu de base. Pour ceux qui ne savent pas, Crusader Kings II à sa sortie permettait au joueur de jouer n’importe quelle dynastie disponible à n’importe quelle date entre 1066 et 1453 (date à laquelle commence la série Europa Universalis) et d’avoir les personnages historiques ayant réellement eu chaque titre à l’époque (pour autant qu’une trace historique existe).
Quand on passe autant de temps à faire de la recherche sur la généalogie médiévale pour être le plus précis possible, parfois jusqu’aux baronnies (qui n’étaient même pas jouables par le joueur mais avec lesquelles celui-ci allait interagir), il en reste une certaine expérience et des souvenirs qui rendaient même difficile pour moi de jouer un autre personnage que ceux que j’avais moi-même recherchés pour le jeu, c’étaient un peu devenus mes bébés avec des favoris bien spécifiques. J’avais donc des attentes un peu particulières et, je suppose, éloignées de celles de la plupart des joueurs qui se contentent très bien des dates par défaut.
Crusader Kings III met le ton directement vu qu’il ne reste plus que deux dates auxquelles jouer : 867 (l’invasion Viking) et 1066 (Bataille d’Hastings). Disparue donc la richesse historique du second opus (finie aussi la possibilité de trouver les deux seuls personnages cathares du jeu) avec des lignées qui s’étendaient sur des siècles et des détails introuvables ailleurs (oui oui si Eudes de Comborn a deux dates de naissance c’est parce qu’il a un frère du même nom). Autre changement, la carte qui, si elle est beaucoup plus belle et agréable à parcourir, a eu droit à une redistribution des régions, je suppose afin d’équilibrer le gameplay. Il y a en effet plus de comtés que dans CKII mais ceux-ci sont en général mal assignés pour l’instant.
Là où j’avais secrètement espéré avoir beaucoup plus de détails en Europe de l’Ouest (surtout en France évidemment) pour bénéficier d’encore plus de richesse historique, des baronnies enfin jouables et des comtés encore plus nombreux (il y a de quoi faire), on se retrouve à la place avec la carte de l’Islande à la Chine (en passant par l’Afrique du Nord) du second opus qui s’était étendue au fil des DLCs mais avec des nouveaux comtés qui se retrouvent balancés au comte le plus proche ou qui ont été renommés et des baronnies qui n’ont en général plus de dirigeant historique. Simple exemple : le comte d’Armagnac se retrouve alors comte d’Armagnac et de Comminges en même temps alors que les comtes de Comminges existent dans le jeu, ce n’est pas grave en soi au niveau gameplay mais à nouveau on perd en qualité historique vu que certaines Dynasties se retrouvent rayées de la carte alors qu’elles étaient jouables auparavant en sélectionnant la date où elles dirigeaient un comté existant dans le jeu.
L’alarme Michette
Bref vous l’aurez compris, je trouve ça dommage MAIS je suis bien conscient que la recherche historique prend un temps et des ressources non négligeables pour un développeur, pour un gain somme toute minime. Ils n’avaient peut-être cette fois-ci personne pour faire le boulot (car il en faut pas se leurrer, la tâche est telle que sans bonnes âmes pour s’en occuper, tout ne peut pas être fait). Il y a aussi, de manière générale, peu de Français qui s’investissent sur des forums anglophones pour essayer de faire un peu rayonner leur histoire et corriger les impairs alors que les développeurs de Paradox sont, eux, connus pour apporter une attention particulière, pour ne pas dire avantageuse, à la Scandinavie. Crusader Kings III ne fait d’ailleurs pas exception à cette règle. Finalement, tout cela ne changera pas grand chose pour la plupart des joueurs surtout que dès le passage du premier jour de jeu, l’histoire va diverger et les personnages tomber dans l’oubli.
Alors plutôt que de verser une larme sur le recul historique, focalisons nous sur ce qu’offre réellement Crusader Kings III. Il n’est pas difficile d’être impressionné par le jeu dès le menu, tant la refonte est complète et l’interface d’une qualité exemplaire. Pas parfaite encore non (il faudrait pour cela pouvoir mieux naviguer sur l’arbre généalogique, avoir un accès constant à votre dirigeant sans qu’il soit jamais caché par les fenêtres de comtés ou encore avoir dans la liste des comtés l’état d’avancement des sièges ennemis) mais c’est une telle évolution qu’elle ne peut qu’être saluée. C’est un plaisir à naviguer, très facile à lire et cette évolution va grandement aider les joueurs néophytes (ou ceux qui n’avaient jamais trop compris le principe des opus précédents).
Crusader Kings III s’est refait une santé. Il est beau, agréable et tout en gardant un gameplay somme toute, identique au précédent arrive à être plus accessible. Rien que pour ça, chapeau. Le but du jeu sera d’assurer la grandeur de votre dynastie, que ce soit en partant de simple comte ou en commençant directement comme Empereur, Roi ou Duc (ou équivalent correspondant à la culture choisie). Il faudra arriver à vous étendre par la guerre, les intrigues ou la diplomatie afin de maintenir votre royaume à flot, tout en essayant d’avantager vos proches (népotisme simulator !) histoire d’augmenter le prestige de votre lignée. Le premier personnage que vous choisirez devra donc garantir des héritiers, l’un d’entre eux sera d’ailleurs votre prochain personnage et ainsi de suite, le « game over » n’étant possible que si votre héritier ne fait pas partie de votre dynastie au moment où votre personnage décède.
Vous suivez donc les tribulations de votre dirigeant en essayant de séduire tel personnage pour l’empêcher de se révolter, de signer un pacte de mariage entre votre enfant et un puissant voisin afin de pouvoir bénéficier d’une Alliance qui augmentera votre puissance militaire ou encore de recruter le meilleur intriguant de la cour pour vous seconder dans vos complots. Beaucoup d’éléments du jeu ont été rendus plus faciles d’accès, quitte parfois à perdre un peu de saveur ou d’inattendu. Si vous désirez un nouveau médecin, il suffira de prendre une décision dans ce sens et de choisir celui qui coûte le plus cher pour qu’il soit un peu efficace et voilà, c’est terminé.
Là où auparavant, vous auriez écumé les comtés voisins à la recherche du meilleur candidat et tenté d’en faire votre ami à tout prix pour qu’il daigne honorer votre cour de sa présence. Les interactions entre personnages sont un peu plus pauvres pour l’instant, rendant le début du jeu en tant que comte bien moins palpitant (les niveaux de nobilité plus élevés ayant en général plus à faire). Bon certes vous pourrez avoir un chat ou un chien si votre personnage est enfant mais à part ça le nombre de décisions personnelles reste faible.
La guerre du trois
En fait, Crusader Kings III est beaucoup plus focalisé sur la conquête militaire que le précédent opus, une des raisons pour cela est le nouveau système d’Alliance (et aussi un peu l’équilibrage). En effet, chaque mariage amène une Alliance si celui-ci est signé avec un seigneur (car certains personnages sans titre de noblesse sont créés automatiquement par le jeu pour remplir toutes les cours du jeu), ce qui fait que plus vous avez d’Alliance (donc de mariage mais pas uniquement vu que certaines alliances sont aussi possibles avec de la famille proche ou grâce à certaines compétences diplomatiques) plus vous risquez de vous faire appeler à participer à tel ou tel conflit.
La gestion diplomatique se faisant sur de grandes distances, vous vous retrouvez à faire voyager votre armée de la Chine à l’Inde pendant des mois pour éviter de perdre du prestige alors que d’autres factions ou seigneurs vont profiter de l’absence de vos troupes pour se révolter ou tenter de rogner sur votre territoire. Ce qui parait assez logique sauf pour les Croisades, vu qu’à l’époque les biens des Croisés étaient, en théorie, protégés, chose qui n’est pas du tout modélisée. Donc en général ici, une croisade réussie est plutôt le début des ennuis qu’autre chose.
Car évidemment, en tant que Seigneur, il vous faudra contenter tout vos vassaux qui souvent auront hérité de revendications sur des titres que vous possédez (car à cette époque la plupart des héritages étaient ainsi découpés entre les enfants) ainsi que la populace qui n’aimera pas être tout le temps en guerre, s’être faite pillée ou avoir comme dirigeant un païen ou quelqu’un d’une autre culture. Vous devrez donc envoyer votre maréchal pacifier telle région, pendant que votre prêtre tentera de convertir les ouailles de telle autre et que votre intendant cherchera à faciliter l’adoption de votre culture par les manants. Les problèmes surviennent surtout lors du passage de flambeaux entre votre personnage principal et son héritier.
L’héritier aura souvent moins de titres car vos biens auront été redistribués entre les enfants, toute sa famille aura des revendications sur ceux-ci et il ne se retrouve pas toujours sur le comté que vous aurez amélioré tout au long de la vie de votre personnage précédent (quitte à jeter dehors le dirigeant du dit comté et à refaire toute la carte lorsque ce sont des zones conquises comme lors de croisades). Donc non seulement vous vous retrouvez avec un personnage moins fort qui est probablement déjà en guerre quelque part mais en plus d’un coup la moitié du royaume le déteste.
Si ce challenge se présente pour tout le monde, il est un peu plus compliqué lorsque vous êtes déjà faible ou que vous n’aviez pas le contrôle du dit héritier (genre s’il était dans une cour étrangère). D’un côté, le jeu vous pousse donc à favoriser un seul héritier et à lui donner toutes ses chances (quitte à la voir mourir de maladie ou au combat avant qu’il n’hérite) et de l’autre plus vous aurez d’Alliance (grâce à vos enfants surtout) plus vous aurez de chances de survivre face à vos ennemis. Ces alliances sont de personnage à personnage et changent donc assez vite dès que quelqu’un meurt ou perd un titre terrien.
Là où l’équilibrage de Crusader Kings III blesse encore un peu, c’est que lorsque des régions ou des personnages de votre royaume créent des factions contre vous, vous n’avez parfois que peu de temps pour agir. Là où dans le précédent opus vous aviez plusieurs années pour tenter d’assassiner untel ou d’influencer tel autre, ici il y a un effet boule de neige où la moindre contrariété va lancer plusieurs factions sur votre dos. Autant dire que les alliés sont presque indispensables pour survivre à ces moments là. De manière générale, l’aspect martial est bien plus prépondérant dans cet opus que le précédent. Il est rare de ne pas être en guerre dans le jeu, chaque moment d’accalmie étant mis à profit pour déclarer les vôtres ou celles de vassaux que vous désirez contenter. Il est tout aussi rare de n’avoir qu’une seule guerre à gérer à la fois. Un peu dommage car cet aspect du jeu a alors tendance à en éclipser d’autres plus diplomatiques.
Il a pas mis son hameçon.
Car Crusader Kings III a aussi introduit un système de secret et d’hameçonnage. C’est-à-dire que suivant le secret que vous découvrez à propos de quelqu’un, vous pouvez alors tenter de faire chanter le sujet pour recevoir une faveur en échange de votre silence ou l’empêcher de se révolter. Si je trouve le système sympathique et parfois crucial pour votre survie, il manque encore selon moi d’un peu d’attrait pour que son utilisation soit réellement intéressante, surtout que la plupart de ces hameçons ont un délai d’utilisation. Et lorsque votre royaume a une taille plus importante, vous vous moquerez un peu de l’opinion d’un seul vassal.
Mais ce n’est pas la seule nouveauté : tout le système religieux est solide et customisable à souhait si votre personnage a un jour les moyens et l’envie de réformer une religion. Le joueur pourra vraiment se faire plaisir afin de marquer le monde et tenter d’étendre sa nouvelle religion. Le système de recherche est pour sa part lié à votre culture (sa puissance, les envies du peuple, son dirigeant) et évolue avec les périodes médiévales. Il y a un système de stress qui augmente avec certaines décisions ou à la perte d’êtres proches et que d’autres décisions permettent de diminuer contre des malus mais qui manque un peu d’attrait pour l’instant.
Et il y a aussi un système de bonus dynastique qui peut être choisi par le meneur de celle-ci. Vous l’aurez compris, que ce soit niveau cosmétique (les personnages en 3D sont superbes avec leurs atours différents pour chaque culture, même s’ils ont un peu trop tendance à se mettre tout nus en embrassant des modes de vies ou des religions qui encouragent ce comportement), niveau musique (avec des thèmes existants retravaillés et d’autres tout aussi excellents), ou niveau gameplay, Crusader Kings III fait fort. Les critiques sur Imperator: Rome à propos du manque de variété de gameplay et d’éléments permettant de différencier les cultures ont été entendues.
Jouer un Duc Anglo-Saxon sera une expérience totalement différente d’un dirigeant Tibétain qui n’aura pas de Croisades à faire, pourra avoir plusieurs concubines et n’aura aucun problème à engendrer des bâtards. Le système religieux et de culture sont bien pensés et apportent une bonne dose de variété tout en étant facilement adaptables (les moddeurs vont s’en donner à cœur joie).
En fait, le travail est tel qu’il est difficile de vraiment en vouloir aux développeurs concernant la perte de précision historique. Après tout, si on ne creuse pas trop, le tout reste crédible et ça ne gâche en rien (ou pas trop du moins) le plaisir de jeu. Certes certaines choses peuvent encore être améliorées (à nouveau, je mentionne l’arbre généalogique qui pour l’instant n’est pas navigable une fois qu’il s’étend un peu) comme le manque de visibilité des armées alliées suivant la guerre entreprise.
En fait, il n’est pas possible de coordonner votre cible de combat avec l’IA, vos alliés vont le faire d’eux-mêmes. Les soucis apparaissent lorsque vous êtes dans plusieurs guerres, l’IA aura parfois un peu plus de mal à se décider et quittera parfois un siège alors qu’elle avait presque terminé celui-ci pour aller ailleurs ou ignorera complètement un combat à côté d’elle où elle pourrait pourtant faire pencher la balance. Mais pour le joueur c’est surtout quand vos alliés vous aident dans presque toutes vos guerres mais pas toutes que les soucis arrivent. Vous verrez alors une armée alliée vous accompagner vers une armées ennemie sans vous rendre compte que cet ennemi là en particulier sera ignoré par votre allié et que vous allez combattre seul. Vos propres armées peuvent avoir un code couleur suivant leur point de ralliement, il aurait été opportun d’utiliser ce code couleur par guerre.
C’est important car, autre nouveauté, le jeu permet d’avoir des chevaliers/champions, qui vont combattre à la tête de vos armées. Par défaut, tout le monde peut l’être (il y a un nombre maximal de champions bien sûr) et plus leur compétence de prouesse est élevée, mieux ils peuvent survivre au combat (ce n’est donc pas uniquement leur compétence martiale qui compte). Vous pouvez décider personnage par personnage s’ils sont autorisés ou non à prendre part aux combats mais par défaut c’est le cas.
C’est ainsi que vous pouvez perdre lors de batailles parfois insignifiantes (genre contre des pillards) trois de vos héritiers en même temps (mais non ce n’est pas du vécu ! Calomnies que tout ça !) ou le meilleur conseiller de votre cour. Savoir qui on combat et avec qui est donc assez important et il faudra prendre le temps d’assurer la survie de vos futurs personnages, au risque de vous retrouver avec quelqu’un qui posera de nombreux problèmes à ses vassaux et aura donc beaucoup de choses à faire pour rester sur le trône.
Dystoseal of Quality ?
Mais quand on en vient à pinailler sur ce genre de choses, on comprend vite que le jeu est très solide et que ses défauts n’entravent pas le plaisir du jeu et le nombre d’heures que vous allez passer dessus. Certes on se doute que le titre va bénéficier d’une flopée de DLCs qui risquent d’en dégoutter certains. Mais il est déjà difficile de ne pas en vouloir plus alors que le jeu arrive déjà à offrir une bonne partie de tout ce que son prédécesseur offrait avec sa longue liste de DLCs mais pas tout (plus de république marchande par exemple). Après il n’était pas très réaliste d’attendre qu’un jeu à peine sorti ait le même contenu qu’un jeu avec 10 ans de développement. Je ne reviendrai pas sur l’approximation de certains détails historiques (NdHarvester : Ah ? Pourtant tu as à peine abordé le sujet), l’absence de possibilité (pour l’instant) de créer son propre personnage (ou d’en jouer un actuellement sans terre).
Là où selon moi Crusader Kings III peut aisément s’améliorer, ce sera surtout au niveau des interactions entre personnages qui peuvent être largement étoffées, des événements un peu fous qu’on pouvait trouver dans le précédent et qui sont grands absents ici et puis de la prépondérance de la guerre par rapport à d’autres moyens (qui sont toujours valables mais à utiliser en sus) qui nécessiterait un léger équilibrage pour éviter un sentiment de répétition au fil des parties.
Que vous soyez curieux, néophyte ou aguerri, Crusader Kings III mérite le détour. La richesse du titre fait plaisir à voir et confirme que Paradox a encore de beaux jours devant eux (bon Doomdark est le meilleur game designer du lot mais shhh). Il n’y a plus aucune excuse pour s’y mettre et découvrir à quel point ce jeu est unique et crée des histoires de lui-même. J’ai tellement eu de malchance lors de ma première partie que c’en était cocasse alors que celle que je continue actuellement me donne l’impression d’être invincible (jusqu’à ce que je regarde la taille des autres royaumes, trois fois plus grands que le mien et que mon personnage trop puissant meure bêtement).
Chaque partie est différente, chacune vous fournira des dizaines d’heures de plaisir et vous instillera l’envie d’essayer autre chose, une autre région, un autre but, une autre découverte. Je n’hésite pas à lui décerner le Dystoseal of Quality et ce malgré ma déception initiale et le maigre espoir d’y retrouver un jour tous les personnages historiques que j’ai pu découvrir au fil de mes recherches passées. Ici je prends un plaisir non dissimulé à jouer avec des inconnus et pour tout dire, c’est pas si mal que ça (et puis ils sont moins laids qu’Harvester). Bref encore un grand jeu cette année qui, au moins niveau vidéo ludique, est assez bonne. Foncez !
Développeur : Paradox Development Studio
Editeur : Paradox Interactive
Date de sortie : 1 Septembre 2020
Prix : 49,99€