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Shadows Over Loathing

J’ai toujours vu Harvester comme un J. Jonah Jameson avec un fez. Me demandez pas pourquoi, je n’en sais rien. Or il y a quelques jours, j’entrais dans son bureau d’un pas vif. « Mais qu’est ce que c’est que ce jeu étrange qui traine sur ton bureau, Harvester ? » lui lançais-je l’oeil brillant. Il me fusilla avec un de ses longs regards inexpressifs qu’il réserve à ses rédacteurs et, parfois, au chien qui aboie dans la cour de l’immeuble, puis me répondit : « C’est le jeu de ton prochain article, un truc tout en noir et blanc avec des tentacules. Il s’appelle Shadows Over Loathing, va prendre ta Switch et dégage maintenant » (il a le phrasé un peu rude mais on n’en prend pas ombrage).

C’est ainsi que je me retrouvais avec ce jeu dont l’esthétique m’évoquait vaguement quelque chose. Je dois l’avouer, j’étais tombé amoureux au premier regard. Mais est ce qu’il tiendrait toutes ses promesses ? C’est ce qu’on allait voir !

L’encre sympathique

Shadows Over Loathing (SoL) se présente comme un RPG en vue horizontale qui a la particularité d’être non seulement en noir & blanc mais également dessiné comme le ferait un enfant sur un cahier. Un enfant particulièrement doué, certes, mais un enfant tout de même. Il est sorti en novembre 2022 sur PC et Mac, mais ce n’est que le 19 avril 2023 qu’il a enfin été porté sur Switch.

Il est en réalité le troisième jeu d’Asymmetric Publications, des développeurs basés en Arizona. Ils se sont faits connaitre principalement pour The Kingdom of Loathing et West of Loathing, sortis respectivement en 2003 et 2017. Ces jeux, dont SoL reprend principe et esthétique, étaient également des RPGs. Le premier prenait place dans un monde médieval fantastique et le second dans un far-west fantasmé.

Shadows Over Loathing est, pour sa part, un hommage aux jeux lovecraftiens avec ce qu’il faut de prohibition (nous sommes dans les années 20 aux USA), de gangsters, de sectes mystérieuses, de créatures difformes, et de tentacules. Comme ses deux prédécesseurs, il reprend l’ensemble des codes inhérents au genre pour les tordre et en offrir une version satyrico-comique. Il est également la suite directe de West of Loathing puisqu’on y retrouvera certains des protagonistes.

Un noir d’encre

Au début du jeu, nous sommes convoqué par lettre, dans la ville de Ocean City par notre oncle Murray. Ce dernier nous demande de l’aide dans sa boutique, sans nous en dire beaucoup plus dans son message. Ce prologue nous permet de créer notre personnage, d’effectuer notre première mission, et de nous familiariser avec le ton très spécial de l’ensemble. Les mécaniques sont, à contrario, des plus classiques. On se balade, en scrolling horizontal avec de la profondeur, sur différents « écrans » plus ou moins vastes. On parle à des gens, on ramasse des objets, on gère son inventaire, et parfois on se bat.

Les combats se déroulent au tour par tour, l’ordre étant déterminé par un ensemble de paramètres sur lesquels on pourra plus ou moins agir. On peut également piocher dans un arsenal matériel ou ésotérique. Car qui dit Cthulhu dit livres de sorts, invocations et capacités monstrueuses. Les adversaires ne sont pas en reste puisqu’ils ont également à leur disposition tout un ensemble de techniques pour nous affronter.

Il est à noter que le jeu propose plusieurs possibilités d’ajustement dans ses options. Le niveau de difficulté, du plus facile au terriblement difficile, affecte les combats mais également les énigmes que l’on doit résoudre. On y trouve également un mode pacifiste qui nous empèche de choisir les voies qui conduiraient à la confrontation physique. Enfin, au milieu de tout un tas d’options permettant de configurer la partie à sa convenance, on découvre le mode « hanté » qui fait partie des excellentes blagues du jeu (je ne vous en dis pas plus, ce serait dommage de vous gacher la surprise).

L’encre de tes yeux

En parlant de surprise, Shadows Over Loathing en réserve de nombreuses. Que ce soit par son ton toujours décalé et pince-sans-rire, ou par ses situations, que l’on croit connaitre mais qui se révèlent parfois totalement loufoques, le jeu ne nous abandonne jamais et sait entretenir l’intérêt. Les dialogues, nombreux et exclusivement en anglais, sont servis par des personnages archétypaux mais conscients de l’être, ce qui rend les échanges savoureux.

L’humour est présent à chaque ligne, pourtant il ne s’agit en aucun cas d’un humour lourd qui essaye de nous faire rire en nous plaçant une référence par minute. C’est, au contraire, une phraséologie subtile, montrant à la fois le détachement des personnages vis à vis de ce qui leur arrive, et pourtant leur totale implication. Un mélange en permanence sur le fil entre dérision, satyre et gravité.

Il en va de même pour les très nombreuses idées de mise en scène qui parsèment le récit. Je pense à l’étrange machine de « désensorcellement », aux moments oniriques dignes d’un Persona 5 (dans l’idée, pas dans la réalisation vidéoludique), ou encore aux rencontres aléatoires qui peuvent survenir lors de nos déplacements sur la carte, elle-même dessinée sur une serviette en papier, et que des PNJs serviables complètent au fur et à mesure.

Encre gris clair et gris foncé

Vous l’aurez compris, tout concourt à nous faire entrer à chaque fois un peu plus dans ce monde amusant, peu sérieux, et pourtant inquiétant et sombre par bien des aspects. Si l’univers, clairement dystopique, nous est tenu à distance par son graphisme singulier, il aborde des problématiques bien réelles sur certains aspects peu reluisants de notre société. Toutefois, il le fait avec suffisamment de légèreté pour ne jamais plomber notre expérience de jeu.

Une direction artistique originale, une intrigue principale qui court sur une quinzaine d’heures, des quêtes secondaires un peu partout, des personnages marquants et des combats exigeants, font de ce jeu un excellent RPG pour un peu qu’on adhère à cette esthétique particulière.

Cerise sur le gâteau (oui j’aime bien cette expression), de part sa nature même, le jeu tourne comme un charme sur la Switch que ce soit en version portable ou sur grand écran. Les contrôles sont très bien pensés et l’ensemble fait montre d’une grande maîtrise de l’interface et de son utilisation.

Une très belle réussite à qui je décerne un Dystoseal bien mérité.

Genre : RPG

Développement : Asymmetric

Éditeur : Asymmetric

Plateforme : Switch

Date de Parution: 19 avril 2023

Testé sur une version presse fournie par l’éditeur

CekterDown

Fasciné par Sherlock Holmes et le mythe de Cthulhu, j'aime également la science-fiction et tout ce qui s'y rapporte, je ne réponds qu'aux superlatifs et ne désespère pas qu'on me voue un culte un jour. J'aime surtout m'entourer de gens plus talentueux que moi.