Tell Me Why
Tuer la mère
Delos Crossing, Alaska. Ses montagnes, ses élans, sa pêche sur glace. Tout comme je ne m’imagine pas manger des melons en décembre, je me voyais mal lancer Tell Me Why à sa sortie, en août. Ce mois d’octobre gris sale convenait bien mieux au pitch du dernier DONTNOD : des jumeaux se retrouvent 7 ans après que l’un deux, alors âgé de 11 ans, ait tué leur mère devenue folle. D’un coup de ciseaux. Dans l’dos.
Tell Me Why est un point&click en 3D, dans lequel on incarne les jumeaux Alyson et Tyler. Ce dernier, arrivé au terme d’une transition, va un peu accaparer notre attention sur les deux premiers chapitres. Le fait que la petite fille qu’il était se sente garçon a-t-il fait définitivement chavirer le mental chancelant de leur mère ? Hormis ce prétexte à un petit twist scénaristique, la transidentité n’est pas au cœur du propos du jeu. Elle n’est qu’une couche de plus sur la question centrale des secrets de famille.
Dontnod parvient à coller à un premier rôle une question de société liée à l’intime avec justesse. Je n’aurais pas cru me sentir un jour dans la peau d’un homme trans, qui revient dans son bled natal affronter le regard de ceux qui l’ont connu petite fille. Pas forcément des regards haineux ou moqueurs : juste des regards d’humains. Faire ressentir ça au joueur sans pathos, chapeau.
Tell My Why m’a gardé captif jusqu’au bout, alors que j’avais lâché Life is Strange. Peut être parce que l’ajout du fantastique y est plus subtil à mon goût. Ici point de gros voyage dans le temps qui tâche. Les jumeaux jouissent « simplement » du pouvoir de parler par télépathie et de revivre des souvenirs, façon projection holographique de Tupac à Coachella. Cette mémoire qu’on ravive est au cœur de l’histoire, lorsqu’on nous demande de choisir quel souvenir, de celui d’Alyson ou Tyler, correspond à la réalité. Au risque de vexer celui ou celle dont on jugera la mémoire défaillante.
Laissez-moi tranquille avec mon histoire. Les jeux narratifs, personnellement, je les aime courts et sans (trop) de gameplay, souvent synonyme de QTE. Ainsi, les moments qui m’ont sorti de l’ambiance sont les instants les plus « jeu vidéo », à commencer par quelques énigmes incongrues. Heureusement, à une exception près, il est possible de les passer en force. Fort agréable si, comme moi, vous estimez avoir autre chose à faire que de jouer à des devinettes dans des circonstances aussi dramatiques. Pour le reste, on n’échappe pas à quelques moments peu stimulants, comme la fouille de cartons ou une bataille de peluches.
Au joueur, donc, de dessiner son histoire selon l’idée qu’il se fait de la mère disparue, avec plus ou moins d’honnêteté envers lui-même. Une mécanique que certains trouveront facile, mais que je trouve juste vu l’importance des non-dits et du refoulement dans Tell Me Why. On peut choisir de croire une histoire qui nous arrange un peu plus, et, comme certains personnages du jeu, choisir d’enterrer ce qu’on pensait une réalité plus plausible, mais plus dure à avaler. À l’inverse, on peut crever l’abcès brutalement, quitte à morfler. Tout ça dans une ambiance “petit-village-où-tout-le-monde-se-connaît-et-cache-des-choses” qui offre des retournements bienvenus au chapitre final.
C’est loin, mais c’est beau. Soyons franc, je ne serais pas resté aux côtés de Tyler et Alyson sans ces environnements extérieurs et intérieurs. Les montagnes sont lointaines, mais paraissent presque accessibles in game. J’ai eu envie de relancer Red Dead Redemption 2 en me promenant dans les sapins sous les cris d’oiseaux. Quand aux intérieurs, ils sont indécemment cosy, tout droit sortis des pages “Ma déco cocoon pour un hiver nordique” de Maisons & Travaux. Tout ça participe au ton bizarrement feel-good du drame Tell Me Why. Après tout, même dans les familles meurtries on boit des chocolats chauds au coin du feu.
Dépouillé en gameplay, magnifique visuellement et ramassé scénaristiquement, Tell Me Why est un concentré de Dontnod. Si vous n’étiez pas loin d’accrocher aux précédents titres du studio, il pourrait bien vous emmener jusqu’au bout de son histoire.
Développeur : Dontnod
Éditeur : Xbox Game Studio
Sortie : 31 août 2020
PC et Xbox (Gamepass)
30€
Encore un hardcore gamer qui ne saisit pas le sous-texte philosophique profond des batailles de peluches. La preuve, Kojima avait prévu d’en inclure une dans Death Stranding.
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Cdt