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Moviehouse – The Film Studio Tycoon

Parmi les nombreuses simulation de studio de jeu vidéo, le titre qui revient comme un mantra, c’est Game Dev Tycoon. Pourtant je le considère comme un des pires, avec ses mécaniques de jeu mobile, son absence de continuité entre les créations, l’opacité des chiffres de ventes ainsi que l’incohérence entre le travail fourni et les notes obtenues.

Sans parler du caractère anecdotique de la partie gestion des ressources humaines ou de construction des locaux. La série des Mad Games Tycoon propose un contenu bien plus profond sur tous ces points.

Quand le studio letton Odyssey Studios s’est lancé dans le développement de Moviehouse – The Film Studio Tycoon, qui reproduit le concept à un studio de cinéma, quel modèle a-t-il choisi d’après vous ?

Vous vous doutez bien que si j’ai pris le temps en intro de dauber sur Game Dev Tycoon, ce n’est pas par plaisir. Mais si Moviehouse a quand même quelques qualités, il a d’autres défauts bien plus graves.

(disclaimer : la capture de screens ne fonctionne pas, cet article sera donc agrémenté de screenshots venant du site officiel)

On démarre notre aventure dans le 7ème art dans les années 80, avec un peu de sous, une caravane pour y fourrer acteurs, scénaristes et réalisateurs, ainsi qu’un terrain vague comme studio de tournage.

Pour faire un film, il faut d’abord un scénario. Le premier clampin venu, sorti tout droit d’un Bac littéraire raté, planche sur une histoire. On choisit le genre, le héros, l’univers et l’antagoniste, et le voilà qui envoie des petits points de technique et de créativité sur papier pendant plusieurs semaines pour un salaire de misère.

Nos petits moyens ne nous permettent d’abord que de réaliser des petits films au budget très limité. Une fois le scénario terminé (dont la qualité doit osciller dangereusement entre celui de Hellphone et d’Alad’1), le réalisateur peut travailler.

En fonction du genre et de choix du scénario, on peut aller filmer certaines scènes dans un décor naturel correspondant, lieux qu’il faudra aller débloquer en envoyant une équipe en repérage en milieu urbain, campagnard ou désertique.

On choisit ensuite les acteurs pour le premier et le second rôle, qui comme vous vous en doutez pour une première œuvre, ont le charisme d’une huitre et demi et le jeu d’acteur de la tranche de citron qui va avec. Une décision technique devra être prise pour un plan, puis le réal boucle le tout.

Une fois le film en boîte, on peut l’envoyer sur un festival de court métrage pour lui donner de la visibilité, et quand le jeu ne bug pas, suivant des critères qui semblent gérés au pifomètre, on aura l’opportunité de le fourguer à un distributeur.

On nous propose alors différentes options : un paiement complet ou un pourcentage sur les recettes en salle, qui peuvent inclure ou non sur les droits de sortie en VHS (ou autre support hors grand écran).

Si c’est plutôt intelligent sur le papier, permettant de vendre plusieurs fois les droits d’un film en fonction du support, tabler sur un pourcentage des recettes vous bloquera toute négociation pour une autre œuvre le temps de l’exploitation. Une bonne idée gâchée par un game design foireux, je ne peux pas dire que je sois surpris, mais c’est quand même décevant.

Puis on recommence le processus, tout le monde ayant pris un peu d’expérience pour faire un film un poil moins mauvais par la suite. Le scénariste ayant bossé sur un nouveau projet pendant la réalisation du film, on peut enchainer directement avec un tournage, mais il faut laisser des plages de repos à ses employés pour qu’ils conservent leur efficacité.

Mais alors qu’est-ce qui coince, me demanderez-vous avec un sens de l’à-propos inattendu ? Ben à peu près tout. On apprend par essai / erreur les associations de genre / héros / antagoniste, on en « découvre » de nouveaux via un système totalement artificiel (il faut faire de la recherche pour débloquer le polar ou les romances en 1982 ? Sérieusement ?), le casting est tout pété puisqu’y allouer plus de budget ne change pas le niveau des acteurs proposés…

Bref, tout semble aussi faux et bancal que les costumes des films de monstres des années 30 avec fermetures éclair apparentes. Me restait l’espoir d’enfin changer de catégorie de films pour voir si ça s’arrangeait par la suite. Pour ne pas m’endormir en attendant que mes revenus montent, je dois remercier mon double écran qui m’a permis de regarder des séries intéressantes.

Une des référence que je n’ai pas cité, c’est l’antique et légendaire The Movies, au concept identique que Moviehouse mais qui en plus nous permettait de regarder le résultat des tournages dans des parodies tragi-comiques de cinéma. Rien de tout cela ne vous attend dans Moviehouse.

Mais ce n’est pas son principal défaut. Ni son manque de profondeur, de continuité (on finit par débloquer la possibilité de faire une suite, mais le bénéfice de notoriété est très limité), ses graphismes qui rappellent les heures les plus sombres des jeux Facebook, sa traduction française tout juste passable ou donc l’absence de vidéo à regarder.

Ce qui plombe vraiment Moviehouse, c’est le modèle économique. Au début, on gratte quelques dizaines de milliers de dollars par film quand tout va bien. Vu qu’ils ont coûté trois fois moins, c’est plutôt correct. Mais pour vraiment gagner de l’argent, il vous suffit d’investir dans les distributeurs.

Ces parts vous garantissent des revenus réguliers et stables, quand produire un film prend des mois sans garantie de retour sur investissement. Attendez un peu que la monnaie rentre, achetez plus de parts, et recommencez jusqu’à ne plus avoir besoin de faire de films pour gagner de l’argent.

Vous nagerez bientôt dans le pognon de façon indécente, faisant perdre tout intérêt à la production de vos propres films. Enfin pas tout à fait, il reste le challenge de faire des films qui gagnent des prix dans les festivals, mais on l’a vu, c’est fastidieux, buggué et aléatoire.

Une des premières questions que je me suis posé, c’était de savoir si Moviehouse était sorti en Early Access. Avec son gameplay bancal, son interface pénible et son ambiance sonore insupportable, il avait tout d’un titre à peaufiner. Mais non.

Il a tout de même quelques bonnes idées à proposer comme le fait de pouvoir s’autoéditer et donc de créer son trailer et ses affiches. Mais c’est une fois encore gâché par une opacité qui donne l’impression que l’efficacité est aléatoire.

Une roadmap a été publiée début mai, annonçant des améliorations de l’interface, un démarrage dans les années 60 et non plus 80 ou une représentation des films produits retravaillée. Mais le résultat actuel est sans appel : le cœur du jeu est trop limité et répétitif pour valoir le coup d’y passer des heures. Sans même parler du modèle économique complètement pété.

J’espère que les changements envisagés redresseront la barre, et je suis un peu surpris qu’Assemble Entertainment, éditeur allemand plutôt connu pour la qualité des jeux indés qu’ils publient (Endzone: World Apart, Lacuna, Roadwarden, Far Long Sail…), ait laissé sortir un titre avec ce niveau de finition

Genre : Tycoon

Développeur : Odyssey Studios

Editeur : Assemble Entertainment

Plateforme : SteamGoG

Date de sortie : 5 avril 2023

Testé sur une version presse fournie par l’éditeur

Ruvon

Chaologue pas encore retraité, traître renommé, survivant accompli. Mon domaine, c'est le jeu vidéo, du FPS hardcore au point&click niais, et depuis toujours amoureux du tour-par-tour.