Le Donjon de Naheulbeuk : L’Amulette du Désordre
2001. Un vendredi vers 16h30, la saga du Donjon de Naheulbeuk voit le jour sur Internet au format mp3, créée par John Lang. La particularité des aventures des bras cassés y faisant office de héros ? Un humour que nous qualifierons pudiquement de potache et qui fait passer les tweets de notre CM pour raffinés. Accompagné de blagues aussi lourdes qu’irrévérencieuses, on y suit les péripéties d’un groupe de héros de jeux de rôles tentant désespérément de monter en niveau et de vivre des aventures épiques. Spoiler alert : ce sont des tâcherons qui iront de mésaventures en mésaventures et qui nous feront bien rire, couillons d’adolescents que nous étions (sauf Sig qui… oui bon vous connaissez la rengaine).
2020. Un mardi à 14h23, je reçois une clé pour l’adaptation vidéoludique du Donjon de Naheulbeuk. La démo a été testée à la rédac, les retours sont mitigés. Flad a décliné le test de la version finale, SAAvenger tente toujours de gagner à Combat Mission Shock Force 2 (et n’envisage pas de jouer à autre chose) et je réalise que je vais devoir m’y coller. Alors que, barbe poivre et sel aidant, je suis devenu bien trop sage et mâture pour des conneries comme ça. Renseignements pris auprès de ma chère et tendre, en fait non, malgré mon statut de rédac chef bedonnant je suis aussi con que les autres donc le jeu est pile poil calibré pour moi. Je me lance donc, craignant de perdre le peu de santé mentale qui me reste à force de traîner à la rédac’.
Plutôt que de faire dans l’originalité et d’amener la licence vers de nouveaux horizons, Artefacts Studio a bien sagement décidé de partir sur un jeu de rôles, avec des combats tactiques, un donjon à explorer (je vous laisse deviner son nom) et des… blagues pourries. Ben oui, forcément. En choisissant une licence comme ça, je ne les voyais pas balancer un humour fin et un message profond sur la condition humaine. On reste dans ce qui a fait le succès de la saga et bien étrange celui qui jugera le jeu pour cette particularité… Les shitstorms allant bon train entre fans et détracteurs du jeu (et de son humour), je conserverai prudemment Dystopeek dans le camp des neutres en rappelant qu’il est possible de couper les interventions des personnages pour transformer le Donjon de Naheubeuk : l’Amulette du Chaos en un jeu de rôles plus traditionnel. Et ainsi perdre ce qui, mine de rien, fait son identité.
Ce point écarté, voyons ce qui pourrait plaire aux autres, ceux qui recherchent une aventure plaisante dans un univers un peu barré. Si la construction du donjon est des plus classique (plusieurs étages, des salles secrètes, des énigmes…), l’exploration en est tout de même agréable grâce à une myriade de petits détails disséminés ici et là. Inutile toutefois de sortir un calepin pour tracer un plan et noter les énigmes les plus retorses, la production d’Artefacts Studio reste accessible au grand public et ne fera pas plus que ça chauffer les méninges. Parce que derrière tout cet enrobage choupinou – et ça n’est pas sarcastique, je trouve vraiment le jeu beau comme tout avec un côté BD très coloré – ce qui nous intéresse le plus et qui est LE point fort du jeu, celui qui vous poussera à passer outre une histoire cousue de fil blanc pour continuer avec le sourire, c’est le système de combat.
On ne s’emballe pas, il n’y a pas une idée génial derrière, comme dans Iron Danger, mais ils sont tellement bien pensés, tellement efficaces qu’on latte avec plaisir les ennemis (tous plus ridicules les uns que les autres) que nous envoie le jeu. Premièrement, contrairement à ce qui se passe dans beaucoup de jeux de rôle, dans le Donjon de Naheulbeuk votre équipe est composée de 7 (ou 8) héros, chacun avec leurs compétences et points faibles. Pas 3 ou 4 péquins, non non, 7 minimum. Et vous vous trouvez quasiment tout le temps en infériorité numérique. Autant vous dire qu’il y a du monde à l’écran et qu’il faut apprendre à (beaucoup) anticiper et planifier. Heureusement, comme dit précédemment les héros ont chacun des pouvoirs uniques et surtout, ils profitent de synergies quand ils sont associés (magicienne et troll, nain et elfe…). Heureusement pour nous, avant chaque combat le jeu nous offre l’opportunité de placer nos bras cassés.
Cela permet, en ayant bien observé le placement adverse et surtout le décor, de parer au plus pressé et de se concentrer sur ce qui semble être la plus grande menace. Jusqu’à ce qu’on se rende compte que l’on a oublié une capacité adverse ou un passage qui permet à l’adversaire de vous prendre de flanc, ou pire, de dos. Parce que oui, l’orientation des combattants est d’une importance capitale, les prises à revers ou de côté amenant d’énormes bonus aux dégâts. Vous l’apprendrez bien souvent à vos dépends… Les « états » de vos héros (sonné, en flammes…) sont aussi nombreux qu’handicapants et il est très fréquent de finir le combat avec une équipe décimée.
Heureusement pour nous, nos héros, une fois leurs points de vie réduits à zéro, ne meurent pas mais tombent inconscients. Le joueur a trois tours pour les soigner avant qu’ils ne soient définitivement sortis du combat, la sanction de ne pas finir un combat étant un gain moindre en points d’expérience. Les combats sont donc longs et éprouvants vu le nombre élevé de protagonistes (je vous conseille d’accélérer les animations adverses dans les options) et il y a une véritable gestion des consommables et des pouvoirs, qui ont bien évidemment un cooldown. On nettoie une zone, on essaie d’encercler, on se prend des pièges ou des sorts de zone sur le coin de la mouille, on planifie et on rage à chaque échec. Heureusement pour les mauvais joueurs, à chaque fois qu’un de vos héros se vautre lamentablement sur une action, une petite jauge se remplit, permettant de par exemple soigner ou téléporter un héros. Cette jauge de malchance ne se vide pas entre les combats et devient un élément de gameplay à prendre sérieusement en compte. Oui, sauver un combat grâce aux coups foireux de vos mecs, c’est assez original.
Je pourrais vous tartiner des pages entières sur les combats, les pouvoirs débiles de vos héros (mention spéciale à l’ogre), la variété des ennemis rencontrés, leur comportement parfois illogique mais globalement satisfaisant mais je pense que vous avez saisi : si vous aimez les combats au tour par tour, le Donjon de Naheulbeuk a largement de quoi vous satisfaire.
La partie jeu de rôles est quant à elle très classique, avec à chaque niveau pris deux points à répartir dans les caractéristiques de base, mais aussi un point dans une « active » et un autre dans une « passive ». Cela peut sembler peu mais encore une fois, le jeu est clairement destiné à toucher un public le plus large possible et ne veut pas noyer les joueurs sous une complexité inutile. Il n’y a par exemple aucune compétence sociale, vous ne pourrez donc pas influencer les PNJs et ne serez que spectateur lors des dialogues. Quand on sort d’un Witcher 3, cela peut émouvoir mais honnêtement, les dialogues sont tellement débiles qu’on suit ça avec un seau de popcorn à portée, en ricanant bêtement. Par contre, petite déception concernant les voix françaises qui sont d’une qualité inégale (alors que la version anglaise est parfaite). On se sent donc porté par cette aventure « épique » et totalement ridicule, désespéré de voir l’idiotie crasse des membres du groupe. Offrir des choix de dialogues aurait, de manière assez paradoxale, mis à mal l’immersion.
J’ai beau retourner la question dans tous les sens, je ne vois pas trop à qui le Donjon de Naheulbeuk : l’Amulette du Chaos, pourrait ne pas plaire. Les rôlistes y trouveront un jeu certes un peu plus léger que leur came habituelle mais diablement addictif avec des combats qui les maintiendront en alerte et une histoire très rafraîchissante et bien loin des « sauvons le monde ». Les fans de la saga originelle y retrouveront avec plaisir les personnages idiots de leur enfance/adolescence et y gagneront une aventure où, pour une fois, ils sont aux commandes. Quant aux autres, ceux qui n’aiment ni les RPGs, ni les combats tactiques ou même l’humour débile, je n’ai qu’une question pour eux : qu’est-ce que vous foutez là ?
Ni le jeu du siècle, ni le ratage que beaucoup craignaient, le Donjon de Naheulbeuk : l’Amulette du Chaos est une excellente surprise qui vous occupera un bon moment si vous prenez le temps de déguster et trouver toutes les références (pas très) finement insérées dans cette grosse madeleine de Proust. Ajoutez au plaisir de la découverte des combats vraiment intéressants (et pas si faciles que ça) et un pan technique très propre et vous avez votre RPG de la rentrée. Sur ce je vous laisse, j’ai des poulets à ramasser !
Développeur : Artefacts Studio
Editeur : Dear Villagers
Date de sortie : 17 Septembre 2020
Testé sur une version presse fournie par l’éditeur
T’étais ado en 2001… Je peux loler ?
Merci pour ce test, car j’avoue ça partait mal avec un score metacritic de 60, mais pour le moment il a plus de 90% d’avis positifs sur steam pour 1100 évaluations.
Bien sûr j’étais tout jeune à cette époque. Kof kof. J’avais même pas 15 ans je pense. Kof kof
Est-ce que l’aspect un peu « méta » du concept originel est utilisé dans le jeu (pas juste en vanne) ? Au sens que Donjon était pas juste une parodie du SdA mais plutôt des jeux de rôles en général. Ca joue avec le concept de jeu-vidéo, de MJ ? de PNJ ? De leveling ?
Genre si le nain perd des points de vie, l’elfe augmente ses dégâts ?
Oui, l’ensemble est une parodie des JdR, avec un quatrième mur régulièrement (et allègrement) franchi : ça râle sur la voix off, ça parle de gagner de l’XP… Pas de conséquence sur le gameplay, mis à part les perks de chaque personnage (genre si la magicienne combat à côté de l’ogre elle gagne en intelligence…) mais c’est fendard. Enfin, en anglais parce que je dois avouer que j’ai assez vite viré les voix en FR, plutôt ratées d’après moi.