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Taito Milestones 3

Sérieusement, j’aimerais bien être sympa et bienveillant dans mes tests. Pas comme dans la vie, donc. Malheureusement, je vais être obligé d’être, très exactement comme dans la vie, pas sympa envers l’éditeur ININ Games et le développeur de ce Taito Milestones Volume 3.

Mais, tout d’abord, « c’est quoi ce Taito truc ? » me demande Jean-Kevin, du haut de ses douze ans ? Et il n’a pas foncièrement tort, car Taito reste, pour le grand public, un nom sacrément moins évocateur que Sony, Sega, Nintendo ou même Capcom. Pourtant, Taito est un de ces éditeurs qui ont fait les beaux jours de l’arcade et des consoles de salon dans les années 80 et 90 avant de se faire gober et partiellement recracher (c’est faux) par Square Enix en 2005.

Nastar, la suite de Rastan. Non, ce n’est pas du tout un alien à la H.R. GIGER.

Vous, les joueurs modernes, beaux et intelligents (en réalité, vous n’êtes qu’une grosse bande de casual gamers mais la rédac’ a peur de perdre son immense budget pub), vous connaissez probablement Taito grâce à certaines de leurs mascottes restées dans les annales du jeu vidéo.

Non ? Vous allez me dire que vous n’avez jamais vu Bub et Bob, les deux dinosaures kawaii de Bubble Bobble et de Puzzle Bobble (Bust a Move) ?

Probablement le plus célèbre jeu de la compilation.

Et le Kiwi trop meugnon de New Zealand story ? Non, plus ? Et le garçon chelou (pas mignon donc) qui saute sur des arc-en-ciel de Rainbow Islands… Inconnu au bataillon ? Bon, je sens qu’une légère leçon d’histoire vidéoludique s’impose. En même temps, ce n’est pas plus mal car ça repoussera l’échéance.

Tout comme Sega, Taito existait sous une forme tout à fait différente avant de se lancer sur le marché naissant du jeu vidéo puisque la société, créée en 1953 sous le nom de Taito Trading Company, importait à l’origine de la vodka et des jukebox ! Dès le début des années 70, Taito se lance sur le secteur du jeu d’arcade avec un premier clone de Pong (Elepong, sorti en 1973) mais c’est en 1978 que l’éditeur va marquer l’histoire du jeu vidéo avec un titre dont tout joueur ou presque a, un jour, entendu parler : Space Invaders ! Non, sérieusement, si vous ne connaissez pas Space Invaders, je ne sais vraiment pas ce que vous faites sur ce site.

L’immense Rastan Saga… Non, non, ça ne rappelle personne d’autre.

Les deux décennies et demi qui suivront s’avèreront particulièrement fructueuses avec, pèle mêle et dans le désordre, des titres comme Elevator Action, Qix, Chase HQ, Rastan, The Ninja Warriors, Darius, Raystorm, Operation Wolf (et ses mitrailleuses en plastique grandeur nature), Scramble Formation, Toki, Liquid Kids etc. Un très beau palmarès, donc.

L’aventure se poursuivra jusqu’en 2005, date à laquelle la société sera gobée par les spécialistes du RPG, Square Enix, pour devenir une de ses filiales. La suite sera forcément moins glorieuse mais on en parlera plus tard, peut être à l’occasion d’un Taito Milestones 5 ou 6. Nous sommes donc en présence d’un éditeur majeur de l’âge d’or de l’arcade. Ça vaut bien une jolie petite compilation bien soignée, non ? Réponse dans les lignes qui suivent.

Est-il vraiment nécessaire de le présenter ?

Voyez-vous, les éditeurs ont bien compris, depuis des années, que le retrogaming a le vent en poupe et qu’il peut rapporter des soussous. Du coup, nous avons droit, tous les ans, à des compilations plus ou moins bien torchées qui sont autant de Madeleines de Proust pour les anciens et autant de raisons pour les nouveaux joueurs de se dire que finalement, le jeu vidéo, ce n’était pas forcément mieux avant. 

Ce qui me dérange un peu, c’est que la grande majorité des éditeurs semble s’être donnée le mot pour bâcler ce type de produits, les considérant manifestement comme de vulgaires « cash grab ». S’il existe toujours des exceptions comme la magnifique compilation Atari 50ème anniversaire, la majeure partie des produits axés retrogaming se contente, hélas, du strict minimum, à l’instar de la compilation IREM récemment testée en ces lieux de perdition.

Je vais vous apprendre à maltraiter ce mignon petit chat !

Dans le cas de la compil’ Taito qui nous intéresse, nous avons droit à une dizaine de titres, un menu bricolé à l’arrache, quelques options tout droit sorties des émulateurs les plus classiques et pas grand-chose d’autre. Il s’agit manifestement d’un repackaging des jeux jusqu’à présent vendus par deux ou à l’unité dans le cadre de la sélection « Arcade Archives » sur les boutiques dématérialisées comme l’eShop de Nintendo.

Ici, pas de fioriture, le menu est strictement fonctionnel, les options sont classiques avec de traditionnels filtres d’écran pour rappeler les moniteurs et télévisions aux bords arrondis de l’époque (ah, ma belle télévision Sony Trinitron et mon joli moniteur Atari STE !), des sauvegardes rapides et une très basique bordure d’écran, histoire d’utiliser un peu mieux nos beaux écrans 16/9 puisque les trois quarts des jeux sont présentés au classique format 4/3 (ou presque, mais on ne va pas chipoter).

Dead Connection, la petite exclusivité de la compilation

Oublions ici tout ce qui pourrait faire la valeur ajoutée d’une telle compilation.  Les flyers d’origine, les photos des bornes d’arcade, les publicités des adaptations vendues sur consoles et sur ordinateurs de l’époque ? On s’en fout. Des documentaires sur l’histoire de Taito et/ou le développement de certains jeux emblématiques ? On s’en fout tout pareil. Bref, l’intérêt de la compilation se trouve ici dans les jeux et uniquement dans les jeux d’époque, lesquels ont plus ou moins bien vieilli.

Le problème, voyez-vous, c’est qu’à l’époque de la PlayStation 2, l’éditeur qui s’était chargé des compilations Taito Legends 1 et 2, puis de la compilation power up sortie plus tard sur PlayStation Portable, avait été autrement plus généreux. Tout comme chez Capcom, le contenu a sensiblement diminué alors que nos machines se sont très nettement améliorées. Sans même parler des capacités de stockage.

Thunder Fox : un air très prononcé de Ninjawarriors / Crime City

Quand les compilations PlayStation 2 proposaient respectivement 29 et 43 titres, il faut donc se contenter ici d’une dizaine de jeux. J’avoue avoir beaucoup de mal à y voir autre chose que l’appât du gain (ou l’avidité du détenteur actuel des licences, allez savoir). Bon, évidemment, le titre de la compilation, savoir Taito Milestones 3, peut légitimement laisser penser qu’il y a une bonne raison à cette raréfaction de l’offre.

Après, il faut voir le bon côté des choses puisque la compil’ propose notamment les trois volets de la saga Rastan. Si on peut allègrement passer outre le deuxième épisode, curieusement intitulé Nastar (c’est bon, vous l’avez ?), il est assez plaisant de retrouver, émulé dans de bonnes conditions, le troisième épisode qui avait la particularité d’utiliser deux moniteurs pour afficher une images très cinématographique. 

C’est vrai que ça supporte assez mal la concurrence avec les jeux récents.

De la même manière, on a droit à Thunder Fox (en version arcade, pas l’ignoble adaptation Megadrive. Oui, Shoot’again, je vous en veux encore) qui semble être une relecture à peine modernisée du très classique et cultissime The Ninja Warriors, déjà signé Taito. Du côté des moins bonnes surprises, on se coltine un vieil épisode du jeu de catch Champion Wrestler qui a est bien évidemment pris un énorme coup de vieux vis à vis des productions plus récentes et qui peine à soutenir la comparaison. 

Comme vous vous pouvez vous en douter, certains classiques font cruellement défaut à cette sélection et on imagine bien qu’ils feront partie d’une prochaine fournée où sont déjà passés dans les deux premiers volumes. Une fois toutes ces menues contrariétés passées, il faut reconnaître que la sélection reste très correcte et que l’émulation est très satisfaisante. 

Un petit aperçu des options disponibles.

Ici, pas de problème de ralentissement douteux ou de son qui déraille et les personnages répondent au doigt et à l’œil. On est sur du très propre. Après, la question peut se poser de savoir s’il faut féliciter les développeurs d’avoir réussi à faire tourner sur nos bécanes modernes des jeux de 30 ans d’âge. 

S’agissant des jeux, il est agréable de constater que certains vieux classiques restent toujours très jouables, à l’image de ce Run Ark (également connu sous le nom de Growl) qui doit être le premier beat’ em all de l’histoire consacré à la défense de la cause animale et qui était également un des premiers jeux du genre à multiplier le nombre d’armes à feu et d’explosifs dans des jeux qui se jouaient plutôt traditionnellement à coups de poings, de pied, voire de coups de boule.

C’est marrant, il y en a un qui me rappelle quelqu’un…

Comme quoi le jeu vidéo peut être politique et aborder de façon subtile la question de la violence légitime. Rassurez-vous, je plaisante, c’est à peu près aussi subtil que certains de nos députés. Dans le lot, on trouve également le très bon et peu connu Dead Connection qui est une sorte de Cabal (Tad Corporation) dans lequel le déplacement peut se faire en 3D et qui se situe en pleine prohibition américaine. 

D’ailleurs, les portraits des différents personnages jouables pourraient bien vous rappeler quelques souvenirs. Soit dit en passant, je suis un peu surpris que le jeu ne soit présenté qu’en japonais. J’aurais pourtant juré l’avoir vu dans des salles de jeu françaises mais il semblerait que ce soit une exclusivité de cette compilation.

Rastan Saga III : Warrior Blade et son écran ultra large

Si je dois résumer la situation, nous avons donc une sélection rétrogaming très correcte avec une dizaine de jeux plus ou moins classiques et signés par un des grands noms de l’arcade avec, malheureusement, quelques rares titres plus ou complètement dépassés et qui auraient aisément pu être remplacés par d’autres candidats bien plus notables (je dis ça mais je n’ai pas été regarder le contenu des deux premières compilations).

De l’autre côté, nous avons une compilation qui sent très sérieusement le manque d’efforts et qui est probablement vendue bien trop cher (39 Euros, tout de même) par rapport à ce que les joueurs pourraient en attendre. 

À vous de choisir de quel côté penchera la balance, mais j’ai tendance à penser qu’il faudrait peut-être envoyer un signal aux éditeurs pour leur demander -poliment mais fermement- de se fouler un peu plus à l’avenir.

Genre : Retrogaming / Arcade
Développeur: Taito
Editeur : Innin Games
Date de sortie : 10 décembre 2024
Testé sur une version presse fournie par l’éditeur

Baalim

Vieux joueur, atariste convaincu, collectionneur de trucs bizarres et hétéroclites, geek à ses heures perdues, pratiquement certain de n’avoir rien signé et de ne pas être payé, il se demande encore ce qu’il fait là.