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Solium Infernum

“Même en Enfer, régner est digne d’ambition ; mieux vaut régner en enfer que de servir au ciel”. C’est ce que fait dire l’auteur anglais John Milton (1608-1674) à son principal protagoniste dans son poème épique Le Paradis perdu. Mais, finalement, le prince des ténèbres a changé d’avis, puisque dans le jeu de stratégie en tour par tour Solium Infernum il a laissé le trône infernal vacant. Peut-être s’est-il dit qu’au vu de sa situation climatique et géopolitique actuelle, la Terre du XXIème siècle allait devenir bien plus fun pour lui que l’Enfer ? Quoique qu’il en soit, et comme l’Enfer, a horreur du vide, ce sont ses archidémons qui se disputent sa succession et, si vous n’avez pas peur d’avoir des cornes, c’est à vous qu’échoit ce rôle.

Avertissement : dans cet article (encore plus que de coutume chez Dystopeek) vous allez voir les jeux de mot foireux et citations littéraires se succéder à un rythme…infernal. Oui, vous êtes prévenus, “Abandonnez tout espoir, vous qui entrez ici.” – Dante Alighieri.

Un jeu d’enfer ?  (oui, je vous avais prévenu)

Solium Infernum est sorti il y a quelques temps déjà (en février 2024) et c’est le remake d’un jeu éponyme publié dans un relatif anonymat en 2009, mais qui avait su fédérer (comme aurait dit un joueur de tennis suisse) une petite communauté de fanatiques dévoués (des cultistes quoi). Et cette fois, c’est le studio australien League of Geeks qui est au fouet clouté à la baguette. Un studio à qui l’on doit déjà Armello ainsi que le prometteur (mais toujours en EA) Jumplight Odyssey. Alors penchons-nous à présent (mais pas trop pour éviter de tomber) sur ce jeu, pas très catholique.  

Cette beauté, sombre comme le fer, est de celles que forge et polit l’Enfer – Charles Baudelaire.

Distribuons d’abord un bon point pour la direction artistique de Solium Infernum. La carte (isométrique découpée en hexagones), comprenant divers terrains tels que des montagnes, des ravins ou des rivières (de lave), sur laquelle évolueront vos légions infernales est plutôt réussie. Idem pour les graphismes qui reflètent bien l’atmosphère, sulfureuse, du jeu. Bien sûr question couleurs, pour les paysages, il faut surtout aimer le rouge et le noir. Quoi ? Pas de bleu lavande ou de vert asperge dans la charte graphique ? Oui, je sais, c’est un véritable Stendhal ! Il est à noter que l’Enfer n’ayant pas de limite, la carte non plus : il s’agit d’un plateau sans bords, s’enroulant sur lui-même. Pas question donc d’utiliser la stratégie de s’adosser à un coin de la carte pour se protéger de l’appétit de conquête de ses voisins. Question audio la bande sonore consiste en des chants grégoriens infernaux parfois agrémentés de bruits métalliques qui rendent l’ambiance bien angoissante.

Je pourrais vous dire que l’interface de jeu est un véritable enfer, mais ce serait faux. Ce n’est pas un purgatoire non plus. En fait elle est assez accessible et conviviale. Les unités se déplacent grâce à la traditionnelle séquence clic pour sélectionner, puis clic pour bouger vers l’hexagone cible. Les fenêtres d’information sont discrètes mais bien utiles. Bref, dans ce domaine rien n’a redire si ce n’est qu’au départ on est un peu perdu dans les diverses possibilités d’actions et certains concepts obscurs (ce qui est logique), qui font la richesse du jeu.  

Viens, épaisse nuit, enveloppe toi des plus sombres fumées de l’Enfer – William Shakespeare

Solium Infernum n’est pas un jeu 4X, du moins pas dans le sens où on l’entend généralement. Ici, il n’y a pas de colonies à bâtir, ni de recherche et d’arbres technologiques pour faire progresser votre faction. Même si votre archidémon peut évoluer tant au point de vue de ses caractéristiques que de son rang au sein de la hiérarchie infernale. Ainsi, s’il est bien question d’étendre votre domaine et d’exterminer les armées de vos rivaux le but ultime n’est pas de contrôler toute la carte, mais d’assoir votre postérieur démoniaque sur le trône infernal : le Solium Infernum. Ce qui, avec une queue fourchue, n’est pas forcement pratique. Et pour cela il faudra utiliser autre chose que la force brute, même si celle-ci n’est pas à négliger non plus. Vos armes principales seront la ruse, la manipulation, le mensonge, l’extorsion, et j’en passe. L’avantage est que pour vous entrainer à jouer à Solium Infernum vous n’avez donc qu’à suivre les exemples de l’actualité politique nationale ou internationale.

Le jeu vous offre trois modes solo : le mode révélation (un long tutoriel en fait), le mode partie unique et un mode scénarisé. Le jeu dispose également d’un mode multijoueur asynchrone (vous pouvez prendre votre temps car les tours sont joués puis résolus simultanément), lequel, je dois l’avouer je n’ai pas testé, car  “La solitude est parfois la meilleure société.” – John Milton, Le Paradis perdu. Le multijoueur dois très certainement être le plus amusant, les joueurs humains étant forcément plus retords, que l’IA. Mais bon, je préfère garder ma foi en l’humanité.

Le jeu est découpé en tours. Durant chacun d’eux vous pouvez réaliser deux actions (une troisième est déblocable en fin de partie). Celles-ci consistent en déplacer une unité de combat (vos légions infernales) ou à entreprendre des actions économiques comme lever un tribut (récolter des impôts), acheter des accessoires au Bazard (via des enchères), enchérir sur un Préteur (leader), améliorer vos pouvoirs ou faire des choix diplomatiques comme insulter un adversaire ou encore chercher à lui extorquer des ressources en le menaçant d’un conflit armé. Oui, en Enfer, la diplomatie est brutale. Ce n’est pas sur Terre que des dirigeants se livreraient à ce genre de pratiques. Puis vient la résolution des actions, dans un ordre changeant à chaque tour. Le fait est qu’avec seulement deux possibilités par tour vous ne pourrez jamais entreprendre toutes les actions nécessaires (et parfois indispensables) à votre stratégie, ce qui vous mettra donc souvent devant des choix cornéliens.  

C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches. Victor Hugo.

Solium Infernum présente aussi un aspect économique. En Enfer l’argent s’appelle le Tribut disponible sous formes de différents monnaies. Des espèces sonnantes et trébuchantes qu’il vous faudra récolter grâce à une action consistant à lever des impôts. Et oui, même en Enfer impossible d’échapper au percepteur. Le Tribut vous permet de faire vos emplètes au Bazard infernal, et là comme on peut s’en douter les produits sont variés : des manuscrits qui permettent de lancer de puissants sortilèges (mais qui nécessitent d’obtenir plusieurs volumes avant de se déclencher), des légions infernales (vos unités de combats), des reliques (qui peuvent donner des bonus à vos légions), des Préteurs (des mercenaires qui améliorent vos troupes et peuvent se battre en duels contre les Préteurs adverses). L’aspect particulier du Bazard est que les achats se font sous forme d’enchères. Oui, en Enfer la pénurie est organisée. 

En tant qu’archidémon vous bénéficiez d’un petit nid douillet : votre forteresse. Et il faudra bien veiller à la protéger car si elle est capturée par un adversaire cela signifiera votre élimination. Ben non, ça rigole pas en Enfer. Votre forteresse permettra également de soigner vos troupes.

Dans Solium Infernum pour gagner il vous faut accumuler du prestige. Oui dans un sens il s’agit bien d’un jeu politique. L’un des moyens d’arriver à vos fins est de capturer des lieux de pouvoir, qui vous rapportent régulièrement des points de prestige (et vous offre quelques bonus divers). Au départ les lieux de pouvoir sont neutres, protégés par une garnison que vous devrez vaincre. Il va sans dire qu’ils sont également la cible de vos adversaires et que le début de partie se caractérise par une course aux lieux de pouvoir.

Et c’est là que ça se corse (comme on dit dans le maquis), car si un lieu de pouvoir appartient à un autre archidémon il vous faudra une sorte de casus belli pour vous en emparer. Et pour cela il vous faudra l’approbation du Conclave (pensez à l’équivalent infernal de l’Assemblée Générale de l’ONU, mais en plus efficace). Après tout vous êtes tous sensés travailler pour la même cause : celle du mal commun. Pour partir en guerre il vous faudra une cause diplomatique : une vendetta, des représailles ou une excommunication.

Une vendetta s’acquière après qu’un adversaire ait refusé d’accepter l’une de vos revendication. En fait il s’agit d’un chantage pur et simple. Soit votre adversaire vous verse un tribut, soit vous aurez l’opportunité de l’attaquer (un classique des relations diplomatiques tant sur Terre qu’en Enfer). Bien sûr pour lancer ce genre de menace mieux vaut avoir une armée conséquente. Vous pouvez déclarer des représailles il faut avoir rempli avec succès trois vendettas face à un adversaire. Si c’est le cas les deux parties peuvent maintenant s’attaquer à loisir, et tenter de prendre la forteresse de leur ennemi.

L’excommunication peut être le résultat d’un vote du Conclave, d’un rituel, ou du fait que vous avez attaqué Pandaemonium, la capitales des enfers. Si vous êtes excommunié tous les autres archidémons peuvent vous attaquer librement, et ils ne s’en priveront pas. Une autre façon de gagner du prestige est la conspiration. Si pour lutter contre la constipation conspiration rien ne vaut les pruneaux, dans le jeu ce terme désigne en fait des quêtes à accomplir qui une fois remplies vous rapportent du prestige.

Il existe cependant d’autres moyens que la ruse et la manipulation pour gagner à Solium Infernum. Si vous parvenez capturer toutes les places fortes et les lieux de pouvoir de vos ennemis ou si vous parvenez à occuper la capitale de l’enfer, Pandaemonium pendant un nombre suffisant de tours le trône vous appartiendra. Mais là autant dire que c’est extrêmement difficile à réaliser.

L’enfer c’est… les autres ! Jean Paul Sartre

Lorsque l’on parle d’un jeu se déroulant aux Enfers on s’attend (avez-vous repéré le jeu de mot ?) forcement à y retrouver des références aux sept péchés capitaux et cela grâce aux caractéristique des huit (et non pas sept) archidémons représentés dans le jeu. Des pouvoirs représentés par des capacités diplomatiques ou des rituels magiques. Car que serait l’Enfer sans une part de sorcellerie ? Dans Solium Infernum cela prend la forme de rituels, qui peuvent modifier la carte et créer des évènements néfastes pour vos adversaires. Chaque archidémons a ses propres rituels, et donc son propre style de jeu.

Astaroth, symbolise la colère. C’est le général des enfers et ses légions sont puissantes, il dispose de la capacité diplomatique de déclarer les hostilités avec un adversaire durant un seul tour. Ce qui est bien pratique pour une conquête de territoire rapide, sans risquer de représailles.
Andromalius, avec son aspect angélique (rappelons que les démons sont des anges déchus) et son orgueil démesuré est avant tout un diplomate. Sa force consiste en sa capacité à provoquer et gagner des duels entre Préteurs, qui sont l’une des manières de résoudre les conflits aux Enfers. Ce qui mine de rien est bien moins couteux qu’une longue guerre.
Beelzebub est comme Astaroth une conquérante dont les légions, disposant de plus de points de vie que leurs adversaires, peuvent s’engager dans des conflits à long terme. Elle peut même convertir les légions adverses détruites en Tributs (la guerre nourrissant ainsi la guerre).

Erzsebet, elle a une manière plus subtile de conquérir des territoires. En effet, elle a la capacité diplomatique de permettre à ses légions de traverser librement les territoires de ses adversaires.
Mammon, représente l’avarice. Et on comprend pourquoi lorsque l’on sait que son rituel magique lui permet de récolter les Tributs dépensés par ses adversaires. Plus ces derniers dépensent, plus il devient riche. Très utile, car en Enfer, comme sur Terre, l’argent est le nerf de la guerre.
Belial est spécialiste dans l’art de semer la discorde chez ses adversaires. Son pouvoir : donner des casus belli a ses adversaires, contre d’autres adversaires. Pour ainsi les voir s’entredéchirer à son seul profit.
Murmur est un sorcier tout comme sa consœur Lilith. Si Murmur peut lever des légions infernales à partir des cendres de son propre territoire, Lilith, elle, peut affaiblir celles de ses adversaires grâce à un rituel. 

La guerre c’est l’enfer. William Tecumseh Sherman

Sur Terre la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens et c’est visiblement aussi le cas en Enfer. Ainsi pour atteindre votre but il vous faudra certaines fois avoir recours à vos légions infernales. Dans Solium Infernum les combats sont d’une simplicité biblique (si j’ose dire) : Toutes les légions, les lieux de pouvoir et les forteresses ont des points de vie (mesurant leur niveau d’endurance au combat) et trois caractéristiques : combat à distance, combat en mêlée et puissance infernale (attaques magiques). Lors d’un combat contre une autre légion, un autre lieu de pouvoir ou une autre forteresse, ces trois statistiques sont comparées dans cet ordre, le plus grand combattant infligeant en points de vie au plus petit la différence entre les deux valeurs. Ainsi donc pas de hasard dans la résolution des combats.

Pour remédier à cela il est de bon ton d’adjoindre des ‘accessoires’ à vos légions afin de renforcer leurs capacités. De tels instruments s’acquièrent dans le Bazard. Il peut s’agir de Préteurs, d’artéfacts ou d’autres instruments magiques. Mais pour les obtenir il faudra lancer des enchères face à vos concurrents sous forme de Tributs. Vos légions gagnent aussi de l’expérience après chaque victoire, ce qui permettra d’améliorer leurs caractéristiques ainsi que leur nombre de points de vie. Mais ne vous attendez pas à des combats dantesques mettant aux prises des centaines d’unités. Dans Solium Infernum vous commanderez souvent de deux à trois légions en tout et pour tout. Des unités d’élite peu nombreuses donc, mais auquel vous aurez pris soin d’assurer une customisation d’enfer afin d’augmenter leurs pouvoirs de destruction.

Un enfer intelligent serait mieux qu’un paradis stupide. Victor Hugo

Vous l’aurez probablement remarqué à la lecture de ce qui précède le jeu reprend pas mal de mécanismes propres à d’autres jeux de stratégie de conquête en tour par tour, mais avec un habillage infernal et certains aspect diplomatiques inédits. Mais même avec ce petit manque d’originalité la sauce piquante prend bien en particulier du fait de l’immense (et intimidante au début) variété de stratégies possibles. Du plus bourrin au plus subtil, il y en a pour tous les goûts.  

Dans l’ensemble Solium Infernum est un titre plutôt réussi. Il y a bien certes quelques inconvénients. Ben, oui si l’Enfer était parfait, ça serait le Paradis.

Un aspect particulièrement énervant du jeu est que ce dernier vous demande continuellement d’entrer vos coordonnées (email, etc.) avant de commencer une nouvelle partie. Demande qu’il est heureusement possible de décliner. Car pour moi, recevoir ensuite des tonnes de spams démoniaques de la part des éditeurs ça sera non merci. Plus gênant une IA adverse pas toujours performante, mais il faut dire qu’avec toutes les possibilités d’actions et d’intrigues offertes par le jeu la tâche peut s’avérer ardue pour votre adversaire informatique.

Ainsi, si vous pensez céder à la tentation de jouer à Solium Infernum, mais que le doute vous habite (là on s’attend à un jeu de mot, mais il n’y en a pas, quoique…), sachez qu’il existe une démo qui non seulement inclue le tutoriel, mais vous permet aussi de jouer les 50 premiers tours. De quoi largement vous faire une idée du jeu.

Et pour conclure (et meubler) quoi de mieux que quelques citations donnant (ou pas) matière à réflexion ?
Peut-être que ce monde est l’enfer d’une autre planète. – Aldous Huxley
Nous sommes chacun notre propre diable, et nous faisons de ce monde notre enfer. – Oscar Wilde
Même en enfer, il est bon d’avoir des amis. Proverbe tchèque

Genre : Jeu de diplomatie et de conquêtes en tour par tour

Développeur: League of Geeks

Editeur : League of Geeks

Date de sortie : 24 février 2024

Testé sur une version presse fournie par l’éditeur

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