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Votes for Women

Lorsque l’on parle de jeux d’Histoire, on a tendance à n’imaginer que des jeux guerriers mettant aux prises des armées destinées à se massacrer. Mais il y a parfois des combats pour lesquels le sang n’est pas versé et qui sont tout autant importants. C’est le cas du mouvement du droit de vote des femmes aux Etats-Unis, qui a duré de 1848 à 1920 et qui est le sujet de Votes for Women.

Votes for Women est un jeu édité pour la première fois en 2022 – qui est en cours de Kickstarter pour une deuxième impression – par Fort Circle Games et créé par Tory Brown, dont c’est le premier jeu. C’est un card-driven accessible qui se joue en 1h30 maximum, de 1 à 4 personnes (en coop ou versus) mais qui se jouera principalement à deux, en match aller-retour si possible, en accusant bien entendu son adversaire d’avoir trop de chance aux dés.

Pourquoi en aller-retour ? Tout simplement parce qu’un des camps, l’Opposition, semble plus là pour encaisser les coups et empêcher les Suffragettes de gagner qu’autre chose. Ce n’est pas à lui de faire le jeu, il est là pour embêter. Ça n’est pas un mal, Saigon 75 repose lui aussi sur le même concept et il est toujours intéressant de voir qui s’en sort le mieux.

Deux camps donc, avec des objectifs opposés : les Suffragettes veulent présenter le 19ème Amendement au Congrès puis le faire ratifier par 34 Etats tandis que l’Opposition va d’abord essayer d’empêcher que l’Amendement n’arrive au Congrès et, en cas d’échec, essayer de rallier 13 Etats à sa cause. Une grosse disproportion donc qui est très bien rendue en jeu.

La partie de Votes for Women se déroule en 6 tours divisés en autant de phases, pendant lesquelles les joueurs vont obligatoirement jouer une carte. Celle-ci sera prise dans un deck formé de trois paquets pour autant de périodes chronologiques. Comme il est de coutume, les premières cartes sont plutôt inoffensives alors que les dernières permettent de gros renversements de situation.

Pour chaque carte, les joueurs disposent de plusieurs options : soit ils jouent l’événement et en appliquent les effets, soit ils défaussent la carte pour faire campagne, se réorganiser ou faire du lobbying. On reste dans le thème !

Avant de détailler toutes ces actions, voyons rapidement le plateau de jeu : une carte des Etats-Unis, divisés en six grandes régions comprenant chacune huit Etats, trois emplacements de cartes (pour les événements durant un tour, toute la partie ou étant utiles pour le décompte final), avec une piste Congrès et une de tour. Epuré et efficace.

A tour de rôle les joueurs vont placer des cubes marquant leur mainmise sur chaque Etat. Tant que le 19ème Amendement n’est pas passé, les cubes peuvent être ajoutés ou retirés. Mais une fois l’Amendement passé, le premier camp à 4 cubes fait passer l’Etat concerné dans son camp. Ce qui veut dire que les joueurs vont tenter d’occuper un maximum de terrain tout en sachant que tout peut leur être enlevé très facilement.

Parce que lorsqu’un camp veut poser ses cubes dans un Etat, il va d’abord devoir enlever ceux de son adversaire : deux camps ne peuvent pas cohabiter dans un Etat. Si l’Opposition n’a que peu de questions à se poser concernant la pose de ces fameux cubes, il n’en est pas de même pour les Suffragettes, qui ont deux couleurs à disposition.

Elles ont le même poids mais le joueur devra garder à l’esprit que certains événements font enlever les cubes de certaines couleurs. Mieux vaut ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier !

Revenons à nos actions. Les événements sont le plus simples à jouer, tant qu’on respecte les prérequis (résultat spécifique sur un lancer de dés ou coût). Ils permettent d’ajouter des cubes, d’en enlever, de faire du lobbying… Faire campagne permet en sacrifiant une carte, d’utiliser ses Militants et pour chacun d’entre eux, de lancer un D4 ou D6 dont le résultat déterminera le nombre de votes (cubes) à placer dans la région où le Militant est. Cette méthode permet de rapidement prendre la main sur une région et aura normalement les faveurs des Suffragettes.

Toujours en sacrifiant une carte, il est possible de se réorganiser, c’est-à-dire de récupérer autant de Boutons (qui ressemblent à de gros pin’s) que l’on a de Militants sur la carte. Ces Boutons sont la monnaie du jeu et permettent de relancer les dés, de déclencher certains événements. Indispensables. Dernière action : faire du lobbying. Même principe que pour les précédentes actions, on sacrifie une carte, on jette autant de D6 qu’on a de Militants en jeu et sur un 6, on ajoute (ou enlève) un marqueur sur la piste de Congrès.

Petite précision sur le Congrès :  si le Suffragiste n’arrive pas à ajouter 6 marqueurs avant la fin du tour 6, l’Amendement n’est pas présenté, il n’y a pas de vote et il perd misérablement. Je vois déjà deux sourcils se lever : le premier pour remarquer que progresser (ou retirer des marqueurs) sur cette piste se fait a priori sur des jets de dés (des 6 en plus, et à part Mitchpuru aucun être humain lambda ne peut sortir des 6 à la demande). Du hasard total sur un jeu ! Impensable ! Eh bien oui, de nombreuses cartes permettent d’enlever ou de rajouter des marqueurs, donc inutile de trop vous en faire. Enfin, sauf si votre adversaire garde ses cartes pour vous contrer…

Votre deuxième sourcil s’est levé pour une autre idée : pourquoi ne pas tout simplement foncer pour faire passer l’Amendement ? Tout simplement parce qu’il suffit au joueur de l’Opposition de faire basculer 13 Etats et que ça peut aller très vite, surtout au début où il a encore une assez forte présence dans plusieurs Régions. Il faut donc faire très attention au moment où on fait passer l’Amendement, pour être assez fort sans concéder pour autant trop d’Etats à l’Opposition.

Les parties de Votes for Women sont donc assez scriptées : le Suffragiste essaie de se répandre sur la carte tout en – discrètement – faisant monter la jauge au Congrès. Le joueur de l’Opposition, quant à lui, va essayer d’empêcher que son adversaire ne se répande trop, tout en essayant lui-même de consolider certaines régions, dont le Sud évidemment.

Mais ça n’est pas simple pour lui car les événements et ses moyens ne lui sont guère favorables. Il n’a qu’au mieux 2 Militants sur la carte (alors que son adversaire peut monter jusqu’à 4), certains événements lui font perdre des Régions entières, en clair il est le méchant et va tirer la langue toute la partie, faisant office de punching ball. Ce qui entraînera d’ailleurs un faux sentiment de déséquilibre. Pour l’anecdote, ma victoire en tant qu’Opposition contre Mitchpuru a été arrachée à la dernière carte du dernier tour…

N’allez pas pour autant croire que le Suffragiste a la vie facile : il lui faut 34 Etats. C’est énorme et demande une soigneuse planification, sachant que son adversaire passe son temps à lui mettre des bâtons dans les roues. Il doit en plus savoir quand passer l’Amendement pour lancer le sprint final, ce qui sera pour les débutants le point le plus délicat.

Autres subtilités que je vous balance en vrac : en début de parties 9 cartes Etat sont choisies. Le premier camp à avoir 4 cubes dans un de ces Etats gagne la carte correspondante. Cette dernière peut être jouée pendant un tour pour amener des bonus bienvenus. Il en est de même pour les cartes Stratégie, qui sont achetées via un système d’enchères au début de chaque tour. Ces cartes sont indispensables et peuvent permettre de noyer son adversaire en jouant deux fois par phase.

Si vous êtes arrivés là, vous savez que Votes for Women est un jeu aux règles accessibles, au thème très fort et parfaitement retranscrit. Les parties sont courtes et les nouveaux joueurs seront immédiatement conquis par la qualité de la production et les nombreux éléments thématiques permettant de se renseigner sur le mouvement.

Mais – car malheureusement il y a un mais – si mes fins de partie contre Mitchpuru ont été épiques, il faut reconnaître que les débuts n’ont pas été folichons. La faute à des cartes trop ressemblantes (« Rajoutez un cube ici, là et là et gagnez un Bouton ») et faibles qui font que les 3 ou 4 premiers tours sont sur des rails et bien peu palpitants. Ensuite, la machine s’emballe et le joueur de l’Opposition doit apprendre à refouler ses larmes et encaisser les coups.

Je sais bien qu’il faut qu’il y ait une montée en puissance et que tout se mette en place, mais certains événements sont presque inutiles alors que d’autres extrêmement punitifs pour l’adversaire. Comme en plus chaque camp a son propre deck et qu’il est entièrement joué à chaque partie (et obligatoirement dans le même ordre), on sait ce qui va obligatoirement nous tomber dessus. La rejouabilité s’en ressent et les débuts de partie sont de fait peu intéressants. Peut-être aurait-il fallu écarter certaines cartes au hasard à chaque début de partie pour conserver un peu d’incertitude ?

Votes for Women est-il un jeu que je vous recommande ? Je n’en sais rien pour être honnête. Si je prends mes parties dans leur globalité, je dirai non. Les débuts sont trop ennuyeux, il faut obligatoirement jouer en miroir tant le joueur gérant l’Opposition a l’impression d’être impuissant et de devoir suivre le rythme imposé par son adversaire. Si par contre je pense à mes parties à partir du 4ème tour, alors là oui. Il faut réfléchir vite et bien, tenter d’être le plus nuisible possible pour son adversaire, anticiper ses coups et la malchance aux dés. Le thème fort et l’excellente production pourraient de plus faire pencher la balance.

Ce qui est sûr, c’est que Votes for Women est un jeu parfait pour initier les gens aux Card driven games. Les deux camps se jouent différemment, l’Opposition devant incomber au joueur le plus à l’aise (ou peut même être jouée par un Bot qui a un deck dédié). Le thème parlera à la grande majorité, il y a de l’aléatoire avec de nombreux jets de dés, de difficiles décisions à prendre, le tout avec une légèreté de règles et une élégance de conception bienvenues.

Est-ce suffisant pour Mitchpuru ? Non a priori. Pour vous ? Allez le tester sur Rally the Troops vous verrez bien. Dystopeek, ou l’art de ne pas prendre position !

Auteur : Tory Brown

Artiste : Brigette Indelicato, Marc Rodrigue

Editeur : Fort Circle Games

De 1 à 4 joueurs

60 à 75 minutes par partie

12 ans et plus

Harvester

Collectionneur compulsif et un peu trop passionné, accumule jeux et livres en essayant d'entraîner un maximum de gens dans ses vices...