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Saigon 75

Je n’ai pas participé à la campagne Kickstarter de Saigon 75, un jeu à l’échelle stratégique pour deux joueurs créé par messieurs Pascal Toupy et Jean-Philippe Barcus. Voilà c’est dit. Le sujet ne m’inspirait pas, la carte non plus. Et quelque part, les évènements m’ont par la suite conforté dans ma décision : retards, galères en tout genre, le sort s’est acharné sur le projet. Mais vous connaissez les gens de Nuts! Publishing, ils ne sont pas genre à se laisser démoraliser.

Alors ils ont communiqué sur les réseaux, forums, conventions, réunions de famille (ils auraient même été aperçus dans les ronds-points de Bretagne à distribuer des tracts d’excuse), ont donné des chiffres et surtout ont fait leur mea culpa. Une grande leçon de communication dont beaucoup d’autres éditeurs devraient s’inspirer (oui je les vise et non, je ne dirai pas qui, tout le monde sait). Résultat ? Ma curiosité a de nouveau été attisée et j’ai précommandé. Et j’ai patiemment attendu.

Tout venant à point à qui sait attendre, Saigon 75 a été livré il y a quelques semaines. Une jolie boîte bien remplie. Au menu ? Un jeu historique asymétrique où le Nord Vietnam (NV) va tenter en moins de 8 tours de prendre Saïgon à un joueur Sud Vietnamien (SV) qui va très vite ne plus savoir où donner de la tête. Spoiler alert : oui il est difficile de gagner avec le Sud Vietnam, c’est d’ailleurs pour cela que vous prendrez ce rôle si vous jouez en solo.

Premier opus d’une nouvelle série appelée Under Pressure et vouée à livrer des jeux historiques accessibles (comme la série des Lunch Time de GMT), Saigon 75 propose des règles simples tenant en quelques pages fort bien illustrées où les quelques zones d’ombre ont été rapidement clarifiées sur la page BGG dédiée. Le but avoué des créateurs est de pousser les joueurs à incarner chaque camp à tour de rôle pour pallier le léger déséquilibre en faveur du NV. Rassurez-vous, c’est largement faisable en un après midi, même quand vous jouez très lentement comme mon partenaire de jeu et moi.

Une partie de Saïgon 75 est découpée en huit tours qui se déroulent toujours de la même manière : le joueur NV joue, puis le SV, ensuite on vérifie quelles unités sud-vietnamiennes désertent avant de vérifier les conditions de victoire. Chaque joueur a droit à une phase d’activation, à l’issue de laquelle il livrera – ou pas – des combats. C’est d’ailleurs une petite originalité ça, de pouvoir déplacer des troupes dans une province ennemie sans forcément devoir attaquer.

Chaque camp va donc disposer d’un pool limité de troupes et va devoir surtout bien les employer. Le NV a des troupes régulières et des Vietcongs que seules quelques unités SV peuvent attaquer. Il a de plus des milices lui permettant de renforcer les territoires qu’il contrôle. Il ne démarre d’ailleurs pas dans le pays même mais dans les pays limitrophes. Cela permet plusieurs axes d’invasion et oblige le SV à disperser ses troupes.

Le joueur SV a quant à lui des troupes régulières mais aussi américaines aux capacités très intéressantes. Les parachutistes et Rangers peuvent être aérotransportés n’importe où, les unités mécanisées ont un déplacement doublé, les Marines profitent de leur Navy… Pour contrebalancer ces points forts, elles n’ont qu’un pas de perte, ce qui les rend très fragiles et précieuses.

Le but ultime du joueur NV va donc de prendre Saïgon avant la fin du temps imparti. Cela peut sembler simple pour lui sur le papier : il a le nombre pour lui et l’avantage dans les combats. Mais cela peut aussi sembler simple pour le joueur SV de défendre la ville : il suffit de faire une muraille autour et hop le tour est joué. Sauf que oui mais non.

Tout d’abord, le souci des activations : si le joueur NV démarre avec très peu d’unités activables, ce nombre va augmenter au fil des tours. Et c’est l’inverse pour le joueur SV. Donc au début le joueur SV peut réagir vite et fort et remanier – presque – facilement son dispositif défensif, tandis que le NV doit donc choisir des axes d’efforts et s’y tenir. Et prendre en compte la limite de cinq unités au maximum dans chaque territoire (5 par camp, pas au total). Il doit donc soigneusement planifier et espérer que ses offensives aboutissent.

Mais même avec cette inversion des forces, prendre Saïgon est trop difficile et la partie tourne normalement à l’avantage du joueur SV. Ce qui contredit ce que je disais au début, merci de le faire remarquer. Et d’ailleurs quitte à jouer au petit malin, vous pourriez aussi vous souvenir que j’ai parlé de table de désertion. Et c’est là que la partie va se jouer.

En effet, plus le joueur NV va envahir de territoires, plus les troupes SV vont être enclines à la désertion. Oui vous lisez bien, à partir de 5 territoires perdus, le joueur SV va devoir jeter un dé pour voir combien il perd d’unités. Plus le nombre de territoires est important, plus on rajoute un bonus au dé. Ça commence dont à 1D6 pour finir à 1D6+6 (une variante avec une table moins punitive existe).

Autant vous dire que s’il ne colmate très rapidement les brèches, le joueur SV va se retrouver sans rien pour défendre Saïgon. Ainsi s’écroule sa belle muraille… Mais d’un autre côté, tout ce que le NV envoie dans les provinces n’est pas disponible pour attaquer Saïgon. Ah là là, que de dilemmes !

Donc oui, le joueur SV a des troupes très intéressantes, oui il a un soutien aérien et oui il est beaucoup plus flexible que son adversaire mais il a tellement plus à faire que sa survie sera très difficile pendant les premières parties. Et les suivantes d’ailleurs…

Il y a un autre petit détail que je n’ai encore pas abordé. Au début de son tour, chaque joueur doit jouer une carte d’événements. Doit, et non pas peut. Une grande majorité sont favorables au NV mais certains affectent les deux joueurs ou sont favorables au SV. Il faut donc tenter de minimiser les conséquences néfastes d’une carte adverse que l’on a été obligé de jouer, en plus de tout le reste… Les cartes d’événements ne sont pas très nombreuses mais correspondent toutes à des événements historiques. L’avantage de ce – léger – manque de variété fait que l’on sait vite ce qui peut nous tomber sur le coin de la figure et anticiper.

Il y a cependant un point qui peut rebuter certains joueurs dans Saigon 75 : l’omniprésence du hasard. Cela commence avec le nombre d’activations, déterminé à chaque tour par un lancer de dés auquel on rajoute 2 puis 3 puis 4 (l’inverse pour le SV : 4 puis 3 puis 2). Cela peut entraîner des tours assez catastrophiques auxquels il faudra s’adapter et sauver les meubles.

Plus gênant peut-être, les dés pour les combats. Ceux du NV ont plus de chances de toucher c’est certain, mais un joueur malchanceux peut se voir malmené très rudement s’il n’a pas la barraka, surtout qu’il n’y a guère de moyens d’atténuer le hasard.

N’allez tout de même pas croire que tout se joue sur les dés, loin de là. Mais il y aura parfois des parties où un des camps aura vraiment l’impression de subir une injustice. Comme dans tous les jeux où il y a des dés en fait ! C’est presque anecdotique mais comme c’est un point qui est régulièrement soulevé ici et là, je voulais le mentionner.

Ce petit détail mis de côté, que nous reste-t-il à aborder ? Le matériel bien entendu ! Si je vous laisse juger de la « beauté » des illustrations, le reste est, comme de coutume avec Nuts! Publishing, de grande qualité. Les unités sont représentées par des cylindre en bois peint, le plateau de jeu est clair et propose pour chaque camp une aide de jeu, les cartes événements sont de bonne facture et le livret de règles est clair et aéré, à défaut d’être parfait. Seul très léger reproche : les aides de jeu, qu’on pourrait espérer avoir sur une fiche cartonnée. Mais je chipote.

Saigon 75 est donc un jeu aux mécaniques simples, mais qui oblige à la réflexion. S’il y a des stratégies plus ou moins évidentes, le jeu est suffisamment ouvert pour que les parties ne se ressemblent pas trop, surtout grâce aux cartes événements. Il faudra un temps d’adaptation pour maîtriser les subtilités de chaque camp – et c’est un gage de qualité – mais les débutants n’auront aucun mal à entrer dans le bain.

Par contre, ils se feront à coup sûr battre par un joueur expérimenté. Mais comme je le disais précédemment, un match en aller-retour est très largement jouable en une session, ce qui dissipe bien des frustrations.

Vous l’aurez compris, toutes nos parties de Saigon 75 ont été très agréables et tendues de bout en bout. Le jeu est plaisant, tourne très bien après un ou deux tours et il n’y a pas un moment où on n’est pas en train d’échafauder des plans sur la comète. Si vous cherchez un jeu rapide qui saura accrocher aussi bien débutants que vétérans et que vous voulez vous éloigner des classiques Hex & Counters ou autres Card Driven, alors n’hésitez pas !

Auteurs : Jean-Philippe Barcus, Pascal Toupy

Artistes : Tania Sanchez-Fortun, Christophe Sancy

Editeur : Nuts! Publishing

1-2 joueurs

A partir de 10 ans

de 60 à 120 minutes

Harvester

Collectionneur compulsif et un peu trop passionné, accumule jeux et livres en essayant d'entraîner un maximum de gens dans ses vices...