Frank & Drake
Aimez-vous les histoires gothiques ? Je ne vous parle pas d’histoires qui font forcément peur. J’évoque ici celles qui remettent en cause notre vision de la réalité pour en superposer une autre, plus sombre, plus torturée, plus profonde. Moi oui ! Je suis un grand fan de Lord Byron, de Mary Shelley, de Bram Stocker, et bien entendu de tous les penny dreadfuls qu’on pouvait acheter pendant l’ère victorienne. J’ai aussi une grande admiration pour Neil Gaiman qui sait jouer de ces codes. Alors, je me suis bien entendu précipité pour mettre la main sur Frank & Drake. Car derrière ce jeu il y a le studio Appnormals Team, créateur de Stay, lui-même récompensé par un Award (excusez du peu).
Au début était le verbe
Le pitch est simple : Frank est le concierge amnésique d’un petit immeuble de la ville fictive d’Oriole City. Il aime se coucher tôt et dort jusqu’au matin. Il se voit obligé de cohabiter avec Drake, un jeune homme allergique au soleil qui ne vit que la nuit. Même s’ils partagent le même espace, ils ne se croisent jamais. Pourtant ils vont apprendre à se connaitre et à s’entraider à travers des notes qu’ils se laisseront principalement sur le frigo.
Pendant 6 jours, nos colocataires vont construire leur relation tout en essayant de comprendre ce qui leur arrive. Basculant entre les deux points de vue, mais également entre les tâches quotidiennes et l’intrigue plus globale, le titre nous demandera de faire des choix qui nous ouvriront d’autres possibilités.
On s’en doute, il nous faudra plusieurs runs pour comprendre l’ensemble de l’histoire. Et le jeu nous y incite dès le départ en nous annonçant clairement ce que nous avons effectué et ce que nous avons laissé dans l’ombre. Le tout présenté sur un agenda à l’ancienne. Dès la deuxième partie, on saura donc quels embranchements prendre pour arriver à une autre fin.
La 4e va vous étonner
La boucle de gameplay, toujours la même, est la suivante : éveil, choix entre deux situations, puzzle, fin de la journée (ou de la nuit) et choix de la note qu’on va laisser à son coloc. En bon point & click, Frank & Drake vous demandera de parcourir les écrans à la souris pour cliquer sur des éléments. Ces éléments amenant à des petites scénettes ou à des réflexions du protagoniste.
Si la partie aventure est tout à fait satisfaisante, les puzzles proposés le sont un peu moins. Si certains sont de très jolies trouvailles, bien intégrées au fil de l’histoire, d’autres tombent un peu comme un cheveu sur la soupe. Jamais bien compliqués, ils vous grattent suffisamment les méninges pour qu’on soit fier de nous sans pour autant avoir envie de défoncer le clavier.
Il en va de même pour les phases de recherche. Si certaines d’entre elles sont particulièrement agréables (je pense par exemple à la phase de recherche à la bibliothèque de la ville), d’autres vous sont jetées au visage en mode « tiens une note explicative, allez tire-toi maintenant ». Un peu frustrant par moment, mais rien de dramatique.
Autre petit bémol, mais malheureusement inhérent à ce type de jeu à embranchements : le saut du coq à l’âne par moment. Je m’explique, le jeu étant « à choix multiples » et ayant pour vocation affichée d’être refait en choisissant d’autres voies, il doit être pensé en blocs indépendants les uns des autres, et ce même si la trame générale des six jours est conçue et construite. Il en découle que certains parcours vont sembler plus artificiels que d’autres. Mais ces petites incohérences ne vous apparaitront qu’une fois familiarisé avec le titre, et ne sont de toute façon pas gênantes. Au pire vous feront-elles un effet bizarre, ce qui est plutôt cohérent avec l’émotion que cherche à procurer le jeu.
Le Prométhée moderne
Même si le gameplay du jeu est très classique, voire même simpliste, on est rapidement pris dans l’histoire à la fois terriblement quotidienne et réellement fantastique. Ces éléments se superposent avec douceur et maîtrise. Tout est dans la finesse, par petites touches. L’incursion de l’étrange se fait avec parcimonie, presque discrètement, comme par peur de déranger.
La morosité ambiante, où chacun vaque à ses occupations sans entrain, renforce le sentiment de décalage d’avec le monde. L’apparition du fantastique dans ce quotidien terne devient alors une bouffée d’oxygène nécessaire pour nos deux protagonistes.
Afin d’accentuer encore le propos d’étrangeté et de décalage, Frank & Drake est servi par une DA superbe. Véritables tableaux animés, on se perd à en étudier chaque détail. L’ajout d’acteurs en rotoscopie ajoute une indéniable touche personnelle au titre. Cette technique cinématographique consiste à dessiner un film d’animation à partir de prises de vue réelles.
Ce qui rend l’ensemble tout à fait particulier. La musique, à la frontière de la trip hop et du jazz, s’en sort très bien avec sa douzaine de thèmes propres à chaque protagoniste. Quant à l’habillage sonore, il est pour sa part très satisfaisant et immersif, ce qui renforce là encore la qualité du jeu.
Nous sommes la nuit
Comme toujours pour ce type de jeu, je ne peux pas rentrer beaucoup plus dans les détails sans vous le spoiler. Je peux vous dire toutefois que chaque run fait environ une à deux heures suivant la résistance des puzzles que vous croiserez, et qu’il faudra 6 runs pour avoir une vision d’ensemble complète de l’histoire. On se retrouve donc avec un petit jeu d’aventure d’une dizaine d’heures, durée tout à fait valable pour ce genre d’exercice. En résumé, si vous appréciez le fantastique, si vous aimez Neil Gaiman et les Penny Dreadfuls, et si les expériences indé particulières ne vous font pas peur, alors Frank & Drake se doit de figurer dans votre ludothèque.
Genre : Aventure – Fantastique
Développeur : Appnormals Team
Editeur : Chorus Worldwide Games
Date de Sortie : 20 Juillet 2023
Prix : 22.99€
Testé sur une version presse fournie par l’éditeur