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The Sinking City

Faut-il tout montrer ? Peut-on mélanger tous les genres ? Certaines histoires ne devraient-elles pas être racontées uniquement d’une certaine façon ? L’open world est-il la réponse à tout ? Tant de questions que The Sinking City aborde frontalement et, il faut bien l’avouer, malgré lui.

L’enquête de la blase

La belle coule

Dans les années 1920, la ville d’Oakmont dans le Massachusetts, telle une Venise américaine, est en train de couler lentement. Les rues sont envahies de concrétions marines, tout est humide, saumâtre et poisseux. On y croise les restes de tout ce que faune et flore sous-marines comptent de poissons, mollusques, algues et autres crustacés. C’est la poissonnerie de Rungis, en moins organisé. Effet secondaire à cette déchéance, la ville attire tous les allumés des États-Unis en envahissant leurs rêves de visions cauchemardesques. Bien entendu, vous incarnez un de ces pauvres malheureux.

Vous êtes Charles Reed, vétéran de la première guerre mondiale et détective privé, assailli par ces visions et qui, sur l’invitation d’un type tout maigre habillé en jaune, débarque un jour dans la ville qui coule, pour tenter de comprendre ce qui lui arrive. Il doit également résoudre une vague affaire de disparition mais visiblement le jeu s’en fiche, donc nous aussi.

Ceci est un poulpe

Tri martelod

Dès notre arrivée, le jeu nous demande de résoudre notre première enquête en guise de tutoriel. Et c’est là que les ennuis commencent. En effet, votre enquête se déroule ainsi : vous parlez aux personnes présentes, vous observez le lieu et les objets présents et là vous accédez à une vision mystique qui vous permet de reconstituer des scénettes qu’il faudra replacer dans le bon ordre. Une fois l’ordre découvert, vous devrez alors réunir et faire coïncider des preuves afin de passer à la suite. Dans notre cas il s’agit de pister deux personnes.

Toujours grâce à notre vision mystique, mais qui n’est pas tout à fait la même que celle d’avant, nous arriverons à un certain endroit qu’on devra de nouveau examiner, etc. Vous n’avez rien compris et ça semble ridicule ? Absolument. Mais il va falloir vous y habituer car ce gameplay constituera 50% de l’ensemble. Le reste sera un mélange entre voyage en barque entre deux rues et combats ratés avec des créatures visqueuses.

Que d’eau, que d’eau

Face à l’amer

Contrairement au très décrié et pourtant réussi Call of Cthulhu de Cyanide, l’interprétation du mythe de Cthulhu par Frogware est totalement à côté de la plaque. Alors bien sûr nous sommes sur une adaptation d’un Cthulhu Pulp, nettement plus axé grand-guignol et action, et il est assez difficile de représenter l’innommable quand on a choisi de le montrer en pleine lumière. Mais le choix qui a été fait ici est de tout montrer jusqu’à l’absurde.

Dans les 10 premières minutes de jeu, j’ai déjà croisé des rats mutants, des poulpes géants, des types mi-hommes mi-profonds et des « malbêtes », des petites saloperies sur pattes qui vous sautent dessus à la moindre occasion. Niveau immersion dans une terreur rampante et sourde, on va pudiquement dire que c’est foiré. Le stoïcisme total de notre héros face à ce qui arrive n’arrange rien, et notre fameuse suspension d’incrédulité explose en vol. Rajoutez à ça des contrôles aléatoires, des dialogues abscons (« on aime pas trop les étrangers chez nous autres, étranger »), des situations ubuesques, un monde ouvert totalement inutile, et vous comprendrez ma réticence à poursuivre l’aventure.

Des rues riantes

Tropes, hic. Ô compte heures !

Et pourtant ce jeu aurait pu, aurait dû, être bien. Les décors sont beaux, les jeux de lumière sont superbes, on se prend à vouloir aller fouiller ici ou explorer par là bas. La proposition de base n’est pas très originale mais fait le job. Même le système d’enquête et le palais mental, héritage de la longue expérience de Frogware avec sa série sur Sherlock Holmes, est une manière pas désagréable de se sentir dans la peau d’un enquêteur.

Chaque élément du jeu, pris séparément, est valable en tant que tel. De l’exploration dans des bâtiments délabrés, ok. Du fight avec des monstruosités chelous, pourquoi pas. Des enquêtes sous forme de puzzles à reconstituer, d’accord. Et pourtant tout mis bout à bout rend l’ensemble indigeste, poussif et répétitif.

Le pot au rose révélé

L’amende ouverte

Le principal défaut de ce jeu est sa proposition de base : Cthulhu en monde ouvert. À ces mots l’imagination s’enflamme, enfin nous pourrons aller partout, tout voir, tout faire, on s’imagine gravir une colline à Dunwich, courir dans les rues d’Arkham ou s’infiltrer dans la terrifiante Innsmouth. Mais les limites techniques et temporelles nous ramènent bien vite à la triste réalité : un monde ouvert vidéoludique c’est souvent des patterns un peu nuls qui se répètent entre deux points d’intérêt vaguement scénarisés.

Je suis dejà passé par ici…

Jeudi M

The Sinking City n’est pas un échec total : certaines de ses enquêtes sont intéressantes, la trame générale est prévisible mais prenante et, encore une fois, les décors sont agréables à l’oeil. C’est un jeu qui vous donne envie de prendre des notes pour vos prochaines parties de L’Appel de Cthulhu, tant il y a des amorces de scénarios un peu partout. Mais c’est ce « un peu partout » justement qui, ici, pose problème. Tout est étiré, dilué, noyé. Seul un sentiment d’immense gâchis surnage, comme l’unique survivant de cette cité qui a fini de couler.

Genre : Open World

Développement : Frogwares

Éditeur : Frogwares

Date de Parution: 24 juin 2019

CekterDown

Fasciné par Sherlock Holmes et le mythe de Cthulhu, j'aime également la science-fiction et tout ce qui s'y rapporte, je ne réponds qu'aux superlatifs et ne désespère pas qu'on me voue un culte un jour. J'aime surtout m'entourer de gens plus talentueux que moi.