Phantom Doctrine
Il s’est passé un truc cet été. Un alignement des planètes défavorable, le réchauffement climatique, un énième tweet malheureux de Trump… Je ne sais pas ce que c’était mais en tout cas, c’était l’été des espoirs piétinés. Après un Agony en deçà de tout, je me suis pris à espérer une cure rafraîchissante avec Phantom Doctrine. Après tout, les nombreuses previews du jeu étaient enthousiastes : en pleine guerre froide, vous gérez une cellule d’agents secrets devant déjouer complots et machinations dans le monde entier. Un jeu divisé, comme un certain X-Com (ah, je n’ai pas été long à le placer), en deux phases : une de gestion de base, une autre dédiée aux combats tactiques. Il n’en fallait pas plus pour appâter médias et joueurs ! Mais… mais… un doute subsistait : le studio aux commandes était l’auteur de Hard West, un jeu dédié aux combats tactiques faisant preuve de la plus grande liberté avec quelques lois de la physique. Entre autres…
CreativeForge Games était donc attendu au tournant et malheureusement pour nos Polonais (Mmm je crois que je tiens le point commun entre Agony et Phantom Doctrine), le joueur aura autant envie de leur payer un coup à boire que de les tabasser dans une ruelle sombre après avoir mis la main sur le jeu.
La gestion de votre base d’opérations est le gros point fort de Phantom Doctrine. A la tête d’une petite équipe de départ (vous démarrez travaillant soit pour le KGB, soit pour la CIA), vous allez devoir mener plusieurs missions de front : surveiller via un planisphère les actions des agents ennemis et éventuellement contrer leurs agissements en envoyant sur place vos propres agents, trouver des informateurs (toujours via le planisphère) qui vous livreront des secrets vous permettant de faire avancer vos enquêtes et surtout, déchiffrer, devant un tableau en liège « comme dans les films » des documents pour trouver certains mots clés qui, reliés entre eux, vous permettront de révéler des conspirations et identifier vos adversaires. Tout en développant votre base, en produisant de la fausse monnaie ou de nouvelles identités pour vos troupes ou en entraînant ces dernières. Il y a fort à faire et une bonne répartition de vos ressources, humaines comme matérielles, est primordiale. Vaut-il mieux ne pas envoyer enquêter un de vos agents afin de le laisser continuer à crafter des armes indispensables à votre prochaine mission sur le terrain ou au contraire, tout arrêter pour aller neutraliser cette cellule ennemie qui risque bien de trouver votre base ? Car évidemment (ce serait trop simple sinon), vos ennemis font exactement la même chose que vous : ils vous traquent. Envoyez en mission un agent à l’identité compromise et il sera à coup sûr intercepté (et bon courage pour le sortir d’affaire). Laisser une cellule ennemie s’installer et votre jauge de danger augmentera jusqu’à un certain seuil qui verra le déclenchement d’un assaut ennemi sur vos installations. Il faut donc juger au mieux la situation, savoir quand déménager pour gagner du temps, recruter judicieusement et surtout employer vos agents selon leurs spécialisations. Car, pour le plus grand bonheur des fans de poupée Barbie, vos troupes disposent de compétence et caractéristiques uniques. Spécialisation dans un type d’armement, pro de l’interrogation, chacun gagne de l’expérience au fil des missions et peut être entraîné et équipé comme bon vous semble. Sur la question de la gestion, Phantom Doctrine n’a donc rien à envier à X-Com, surtout qu’il dispose d’un avantage avec le système de recherche d’indice (et de son ambiance). Très prenantes, les phases où vous parcourez les fichiers à la recherche de mots clés avant de les réarranger et les relier sur le tableau (en plissant les yeux et en tirant sur votre pipe bien entendu) pour percer à jour les machinations ennemies font pour beaucoup dans le sourire qu’arbore le joueur durant les premières heures. Et j’aimerai vraiment pouvoir arrêter mon test là et vous dire de vous ruer sur le jeu…
Malheureusement, comme je vous l’ai annoncé, il y a en plus des phases de gestion une composante tactique. Avec des combats au tour par tour, gestion des compétences spéciales et de l’armement… bref, de quoi faire fantasmer et frissonner celui qui a déjà touché à Hard West. Je fais malheureusement partie de cette catégorie de joueurs, parce que j’aime me faire mal semble-t-il. La particularité de Hard West, outre son univers original mêlant western et surnaturel, était son incroyable gestion des lignes de vue et son intelligence artificielle. Lorsque j’écris « incroyable », c’est dans le sens « complètement pétée », avec des ennemis qui vous tiraient dessus à travers les murs à 50m ou qui faisaient le tour du pâté de maisons alors que vous n’étiez qu’à 3m d’eux. On pourrait croire que CreativeForge a appris de ses erreurs passées et a bien compris que ce genre de choses fait un peu tache dans des combats tactiques. Et bien que nenni ! Les missions de Phantom Doctrine sont un mélange de consternation et d’ennui profond. Pour commencer, chaque personnage a deux points de déplacement et un point de tir. Ces points peuvent être répartis comme bon vous semble pour exploiter au mieux vos compétences et votre armement. Certaines armes demandent par exemple un point de mouvement et un de tir pour être rechargées, alors que d’autres ne vous prendront qu’un point de mouvement. Cela oblige à bien connaître son équipement et ses agents, c’est une très bonne chose.
Malheureusement, cela veut dire qu’au niveau tactique, tout est remis en question et on se rend vite compte que quelque chose cloche. Vous aviez bien mis à couvert votre agent ? Par de souci, un ennemi va traverser la moitié de la carte pendant son tour pour le prendre à revers et lui tirer dessus à bout portant. Heureusement, les développeurs n’ont cette fois-ci pas oublié d’implémenter l’overwatch, ce qui minimise les risques. Ce qu’ils n’ont toujours pas compris, c’est que les joueurs ont… du bon sens et ne sont pas prêts à perdre leurs troupes parce qu’un simple policier leur colle un tir à la tête en tirant à travers 3 fenêtres avec un angle improbable. Alors messieurs, travaillez un peu vos lignes de vue !
Il apparaît donc très vite que rester en mode infiltration est la seule manière de jouer sans mourir d’ennui et que se faire repérer est la pire des choses. Le problème est que même durant cette phase, les bugs mettent à mal l’immersion. Sortez d’une zone interdite en cassant une fenêtre devant un garde et vous n’aurez pas de souci. Par contre, si ce même garde repère un de ses collègues inanimé 100m plus loin dans une pièce ne disposant que d’une lucarne, l’alarme est donnée est vous voilà parti pour vider la carte à un rythme d’une lenteur incroyable. Même en accélérant toutes les animations, le tour des ennemis prend des plombes et surtout, comme la caméra ne les accroche pas lorsqu’ils bougent, il faut continuellement la bouger pour tenter de voir par quel côté ils approchent. Pénible…
Les choses s’améliorent tout de même un peu passées les premières heures et le déblocage d’un armement plus adapté, avec en tête de liste les silencieux. Ils permettent de donner un grand bol d’air frais aux joueurs en leur offrant plus de choix tactiques, alors qu’en début de partie ils n’ont d’autre recours que d’assommer leurs cibles, si et seulement si ils ont plus de points de vie que leur victime… Une règle idiote qui découragera les moins patients et entraînera la désinstallation du jeu chez beaucoup de gens. Il faut donc savoir que si vous vous lancez dans cette sympathique aventure, il vous faudra transpirer, et pester, pendant de longues heures avant de commencer à vous amuser. Et de vous rendre compte que les missions ne sont pas si variées que ça et surtout que les cartes tournent en boucle. Un peu plus de variété, dans les architectures comme dans les modèles d’ennemis, n’aurait pas fait de mal.
Phantom Doctrine est donc frustrant par bien des aspects : la phase de gestion est quasiment parfaite et prenante, vous mettant parfaitement dans l’ambiance et vous impliquant énormément, alors que la phase tactique, même si elle permet de récupérer des documents classifiés faisant avancer vos investigations, mettra vos nerfs à rude épreuve. Les choix du studio sont étonnants car en se débarrassant des pourcentages de chance de toucher et en implémentant un système bancal de dégâts et de couverture, toute notion de tactique et de planification tombe à l’eau. Reste la solution de rester en infiltration le plus longtemps possible, en cachant les corps et désactivant les caméras de sécurité. C’est sûrement la longue et laborieuse voie voulue par les développeurs, mais le souci est que le comportement erratique des ennemis rend la chose très ardue, voire quasiment impossible sur une mission entière. Il est difficile d’éviter tous les gardes et si vous en assommez trop, leurs camarades partiront à leur recherche et vous découvriront. Il faut alors abuser de la sauvegarde et changer de tactique d’approche, encore et toujours. C’est laid comme technique mais c’est le seul moyen d’apprécier un minimum le jeu, même si cela transforme la moindre mission en une séance de plus d’une heure.
Déception estivale, quand tu nous tiens… Je ne vais pas vous dire de supprimer Phantom Doctrine de votre liste de souhaits. La gestion de vos troupes et la résolution des conspirations est un trop bon moment pour passer à côté. Mais je vais par contre vous dire d’attendre et de surveiller patiemment les notes de mises à jour. Peut-être que le studio va sortir un patch pour les combats et les phases d’infiltration. Ou même, soyons fou, implémenter un bouton pour les résoudre automatiquement. Dans tous les cas, ne prenez ce jeu qu’en connaissance de cause : oui, il dispose d’immenses qualités mais non, ce n’est pas un X-Com like au plaisir immédiat et à la courbe d’apprentissage douce comme les fesses d’Archer. C’est un jeu brut de décoffrage, à l’ambiance fabuleuse qui vous demandera de manger votre pain noir pendant de (trop ?) nombreuses heures avant d’en profiter pleinement. Et encore, même là, le manque de finition vous fera grincer des dents. Phantom Doctrine aurait pu faire l’unanimité et enterrer la concurrence, mais CreativeForge Games n’a pas su se débarrasser de ses travers. Peut-être que leur troisième bébé sera le bon ?
Genre : Tactique, stratégie
Développeur : CreativeForge Games
Éditeur : Good Shepherd Entertainment
Date de parution : 14 août 2018
Version presse fournie par l’éditeur.