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Wonder Boy Collection

Cette fois, j’en suis persuadé, il existe une justice cosmique. D’un coup, d’un seul, le sémillant quadragénaire Wonder Boy a terrassé l’écran de ma Switch en lui infligeant un sort de scintillement d’écran. Quoi de plus normal, en somme, que de voir le petit héros de SEGA pourfendre l’infâme rejeton de son plus ancien ennemi, Nintendo ? En plus, il fait d’une pierre deux coups en se vengeant des traîtres dans mon genre qui se sont résolus à acheter des bécanes Nintendo. Qui plus est, la rondouillarde mascotte de Sega et Westone Bit Entertainment Inc. (qu’on appellera dorénavant Westone) a eu le temps, avant de détruire mon écran, de me rappeler que (1) j’étais devenu nul et (2) que mes réflexes s’étaient fait la malle il y a au moins une décennie. Score à la mi-temps : Wonder Boy Collection 1 – Baalim 0.

Mais reprenons donc les choses au commencement. Wonder Boy kesako ? Quand le premier Wonder Boy, signé Westone et édité par SEGA, sort en arcade en 1986, le groupe américano-japonais est déjà un des mastodontes de l’arcade aux côtés des Capcom, Taito et autres Konami. Le principe, rudimentaire mais addictif, similaire à Chelnov the Atomic Runner qui sortira en 1988, laisse déjà entrevoir les hordes d’endless runners qui inonderont le marché des décennies plus tard : le rondouillard héro préhistorique Wonder Boy avance sans cesse, poussé aussi bien par un timer punitif que par le scrolling horizontal qui défile sans intervention du joueur. Au mieux, Wonder Boy peut ralentir et freiner très légèrement mais, rapidement, le timer, matérialisé par un décompte d’énergie, le rappelle à l’ordre.

Pour survivre, le joueur n’a donc d’autre choix que de récolter les bonus « Nourriture » qui apparaissent tout au long de son trajet tout en prenant grand soin d’éviter les trous dans le décor, les plateformes mouvantes et les obstacles qui, selon leur catégorie, font chuter son énergie (quelques rochers) ou le tuent en un coup (tout le reste).

Bref, on meurt souvent et rapidement, ce qui est généralement la marque d’une borne d’arcade rentable. Bien évidemment l’adaptation console et ses crédits infinis font quelque peu baisser la tension.

Tout au long de son parcours, traditionnellement découpé en séries de 4 « stages » à l’issue desquels l’attend le traditionnel boss (vous noterez que je n’aborde ni l’histoire -encore un kidnapping- ni la raison pour laquelle le boss vous veut parce que, franchement, c’est sans intérêt).

Wonder Boy ne pourra compter que sur quelques items (hache, skate, totem d’immunité) pour faire face aux hordes d’escargots, d’araignées, de chauve-souris, de serpents, de grenouilles et autres empêcheurs de piqueniquer en rond. Toute ressemblance avec l’antique série Adventure Island de Hudson (NES, PC Engine) est tout sauf fortuite.

En y rejouant pour les besoins du test, je dois bien avouer que j’ai passé les premières minutes à m’interroger sur la pertinence d’une telle ressortie et sur les chances pour un jeu aussi archaïque d’intéresser le public en 2022. Et puis je me suis rappelé le marché des smartphones… Les commentaires de mon fils qui regardait du coin de l’œil (« pourquoi tu joues à ce truc tout moche alors que tu as un super écran et des tonnes de jeux ? ») me laissent penser que c’est tout sauf gagné.

Pourtant après quelques minutes à pester sur ce gameplay poussiéreux qui incite presque à connaître le placement des ennemis et des obstacles par cœur, je me suis repris au jeu assez rapidement. Bref, aussi antique soit-il, je reste incertain quant à l’accueil qui pourrait lui être fait par un néophyte.

Quelques années après ce premier opus, SEGA et Westone remettent le couvert mais changent complètement la donne en propulsant Wonder Boy dans une sorte de Moyen-Âge mâtiné de fantasy. Désormais, c’est plutôt du côté de Zelda 2 qu’il conviendra de chercher l’inspiration.

Wonder Boy 2 in Monster land est désormais un side scroller action/aventure dans lequel notre brave héros, toujours aussi poupin, peut désormais s’équiper, moyennant finances, d’armures, de bottes et d’épées de qualités diverses qui améliorent progressivement ses capacités et lui permettent de fracasser tous les ennemis et boss rencontrés en chemin.

Là encore, le bestiaire a la sinistre habitude d’être plutôt mignon (champignons rondouillards, serpents aux formes très enfantines, souris, nuages etc. Bref, j’ai vomi des arcs-en-ciel et même le rédac’ chef ne risque pas de faire le moindre cauchemar). Le gameplay définitif de la série et son identité sont désormais pratiquement arrêtés.

Les futurs épisodes, à commencer par l’immense Wonder Boy 3 and the Dragon Curse, créé non plus pour l’arcade mais pour la Sega Master System puis adapté sur PC Engine, développeront et approfondiront le concept en donnant progressivement à la série des airs de metroidvania.

Ainsi, outre l’apparition de marchands et de NPC qui égaieront un peu le monde, Wonder Boy pourra résoudre certaines énigmes (niveau CP, faut pas pousser) et obtenir de nouvelles compétences et armes qui lui permettront d’atteindre certaines zones précédemment visitables mais inaccessibles.

Et c’est le premier gros reproche que je ferai à Wonder Boy Collection. Alors, comme ça, il est impossible, en 2022, de sortir une compilation exhaustive ? Où sont donc passés ce Wonder Boy 3 (récemment brillamment relooké par les français de chez Lizardcube) et le shoot’em up arcade Wonder Boy 3 (oui, il ne faut jamais chercher la cohérence chez SEGA…) ? Était-ce vraiment si compliqué de proposer l’intégralité des titres de la série alors que SEGA en possède toujours tous les droits ?

De la même manière, pourquoi se contenter d’une compilation aussi basique alors que l’éditeur sortait 20 ans auparavant sur PS2 une compilation SEGA AGES 2500 autrement plus aboutie et qui proposait de rejouer aux anciens jeux de cette série dans leurs versions arcade ET consoles et qui, si mes souvenirs sont bons, proposait des bonus un peu plus conséquents ?

À vrai dire, Wonder Boy Collection millésime 2022 s’avère même plus austère dans sa présentation que celle sortie il y a une bonne dizaine d’années déjà sur Xbox Live Arcade. Bref, il y a comme un petit air de je m’en foutisme qui plane autour de cette sortie.

Wonder Boy Collection propose tout au mieux quelques illustrations sommaires répartis entre les quatre titres proposés, de brèves informations relatives à chacun des jeux et des fonctions de base qu’on retrouve sur à peu près tous les émulateurs du marché.

Il est ainsi possible d’opter pour différents ratios d’écran allant d’une reproduction fidèle de la résolution des bornes d’arcade d’origine à un écran élargi occupant toute la surface de vos téléviseurs 16/9 (oui, c’est moche et c’est à proscrire). Il va sans dire que le puriste préférera jouer dans la configuration qui se rapproche le plus de la version arcade.

Outre les traditionnelles sauvegardes rapides, pas inutile pour s’éviter quelques crises de rage (essentiellement sur le premier opus très axé Die & Retry), on trouve une option sympathique qui permet de simuler un ancien écran CRT avec ses bords arrondis et ses lignes désentrelacées, ainsi qu’une autre qui permet de rembobiner brièvement sa partie. Le rendu CRT me plait beaucoup mais je recommanderais néanmoins d’y aller avec prudence.

J’ignore si ça vient de ma version test ou si c’est un bug qui sera rapidement corrigé, mais ça m’a provoqué un magnifique scintillement sur le bord droit de l’écran qui n’a cessé ni en quittant le jeu, ni en éteignant et relançant la Switch et qui a touché aussi bien le menu d’accueil que les autres jeux. Il m’a fallu laisser passer une nuit pour retrouver ma console en pleine forme.

En dernier lieu, j’ajouterai que l’émulation des quatre jeux m’a semblé plutôt bonne et fidèle aux versions d’origine (pas de saccade, pas de problème de son et un rendu très propre). Cela dit, le challenge n’était guère insurmontable, même pour la Switch. Ne boudons pas notre plaisir et profitons-en pour rejouer au superbe Wonder Boy 5 in Monster World, initialement sorti sur Megadrive au japon et en Europe (mais en PAL 50 HTZ) et au fameux Wonder Boy 6 (mais en fait 4) qui troquait son héros pour une héroïne et qui a attendu des décennies avant de profiter enfin d’une traduction anglaise officielle. Des années plus tard, le visuel des deux jeux reste toujours aussi plaisant et fleure bon l’âge d’or du jeu vidéo japonais.

Mais, là encore, le gameplay de ces deux derniers opus pourra sembler vieillot au joueur de 2022 qui a vu ce type de jeu s’affiner au fur et à mesure des différentes sorties jusqu’à atteindre son pinacle vers la fin des années 90 / début des années 2000 (qui a dit Symphony of Night ?).

Bien entendu, le côté très old school des deux jeux pourra rebuter le joueur biberonné à la 3D, malgré une difficulté très raisonnable et progressive qui incite à partir à l’aventure. Je ne peux qu’inviter (fortement) les plus rétifs à se procurer la brillante et très jolie réinterprétation de la série qu’est Monster Boy and the Cursed Kingdom, sorti il y a quelques années déjà.

En définitive, je me demande un peu à qui s’adresse Wonder Boy Collection. Les plus anciens possèdent probablement la majeure partie des jeux via les compilations sorties sur Playstation 2, PC ou Xbox (SEGA AGES pour les plus chanceux, Sega Vintage collection ou SEGA Mega Drive Classics pour les autres) et l’austérité de cette nouvelle compilation ne les convaincra pas forcément de vider une nouvelle fois leurs bourses.

Quant aux plus jeunes, j’avoue réellement m’interroger sur l’attractivité que pourraient avoir ces jeux sur lesquels commence à sérieusement peser le poids des années. Le conseil le plus judicieux serait vraisemblablement d’attendre une promo avant de sauter le pas.

Développeur : United Games Entertainment

Editeur : ININ Games

Disponible sur Nintendo Switch, PlayStation 4

Date de sortie : 3 juin 2022

Testé sur une version presse fournie par l’éditeur

Baalim

Vieux joueur, atariste convaincu, collectionneur de trucs bizarres et hétéroclites, geek à ses heures perdues, pratiquement certain de n’avoir rien signé et de ne pas être payé, il se demande encore ce qu’il fait là.