DystosealJeux vidéoJouer

Not For Broadcast

Réaliser une émission de télévision, voilà une activité qui semble appartenir au passé, à l’heure de Youtube et Twitch. C’est pourtant ce que nous propose Not For Broadcast, et pas n’importe quelle émission puisqu’on parle de la grand messe qui accompagne le repas de nombreuses familles : les actualités du soir.

En régie, notre travail est d’envoyer le flux de la bonne caméra aux téléspectateurs ; on apprend vite à mettre à l’image le présentateur ou l’invité qui s’exprime, à censurer les gros mots et à envoyer les reportages au bon moment, bien aidé par les signaux visuels et sonores qui nous guident.

Les choix à faire se limitent d’abord au sujet des publicités, mais on se retrouve parfois à prendre des décisions éditoriales : diffuser une réaction positive ou négative à un micro-trottoir, une image qui dessert ou met en valeur une personnalité… Si les news sont entrecoupées de sujets légers et que l’émission tend vers l’infotainment, la politique occupe une place centrale du scénario de Not For Broadcast.

Les premiers jours sont très amusants, on rigole bien avec les publicités surréalistes, le tournoi de machinball, les invités hypocrites et lunaires, et puis… Le vernis de sourires convenus et de sujets légers se craquelle progressivement.

L’arrivée au pouvoir d’un parti populiste va transformer en profondeur la société britannique des années 80 qui sert de décor au jeu. Leurs décisions radicales vont polariser les opinions : celle du public, des présentateurs, d’Alex (le personnage que l’on incarne) et surtout la vôtre, en tant que joueur.

Entre chaque journée de travail, des phases narratives vous situent dans l’environnement familial du protagoniste. Entre sa femme, ses enfants, sa famille au sens large, on sentira l’impact concret de l’évolution de la société.

Si ces moments narratifs sont beaucoup moins agréables à jouer, se rapprochant trop du visual novel à mon goût, et s’ils sont parfois trop longs, ils conditionneront la suite du scénario tout autant que nos choix derrière les manettes de la régie.

C’est la grande qualité de Not For Broadcast de nous impliquer émotionnellement dans le destin d’un pays à travers des situations de plus en plus dramatiques. Même les sketches et autres interviews que l’on diffuse, farcies d’hypocrisie et d’un humour décalé et qui fait très souvent mouche, sont chargés d’implications politiques.

A la fin de chaque journée de diffusion, on peut revoir le flux auquel on eut droit les téléspectateurs, ce qui nous permet de remarquer des détails ou des dialogues qui nous sont passés au-dessus de la tête, concentré que l’on était sur le fait d’appuyer sur les boutons au bon moment.

Mais on peut surtout voir ce qui n’est pas passé à l’antenne : les réactions des présentateurs aux reportages, leurs engueulades en off, les publicités… J’ai sans doute passé autant de temps à regarder après coup ces images cachées qu’à faire mon travail de réalisateur, preuve du soin apporté à ces séquences pourtant non destinées au public.

La dystopie dans laquelle nous plonge Not For Broadcast fait réfléchir aux notions de propagande, de collaboration des médias, de responsabilité individuelle, et finalement au type de société à laquelle on aspire. L’opposition politique, le terrorisme intérieur, la corruption, la pauvreté, l’intégrité journalistique, les relations internationales jusqu’à la guerre, aucun de ces sujets graves ne vous sera épargné.

En ces temps de pandémie, de campagne électorale, de guerre en Ukraine et de diffusion continuelle de fake news dans les médias et sur les réseaux sociaux, certaines situations, malgré leur intention humoristique, font écho à notre actualité avec pertinence et tapent là où ça fait mal, sans distinction de bord politique.

Mais toute la crédibilité de ces situations repose sur un élément primordial : le jeu d’acteur. Intégralement en FMV (Full Motion Video), Not For Broadcast a frappé très fort avec un casting de comédiens talentueux sur des dizaines d’heures de vidéo.

Les deux présentateurs principaux sont évidemment les vedettes du show, mais que ce soient les ministres, les citoyens interviewés, les autres journalistes, tous jouent subtilement avec les limites du cabotinage, tout en donnant une véritable personnalité à l’ensemble.

Si j’avais un reproche à faire à ce jeu, en plus des phases textuelles moins passionnantes, ce serait surtout ces tentatives de « gamification » de la régie en mode de difficulté normal, avec différents éléments qui viennent nous distraire.

Contrôles à manipuler pour éviter les parasites, diverses intrusions et autres sautes de courant qui sonnent trop artificielles (bien que justifiées par le scénario) et nous gâchent souvent le plaisir de la diffusion. Heureusement, les mesures anti-parasites serviront des fins plus scénaristiques par la suite.

Enfin, parce que c’est primordial dans un jeu intégralement en VO non doublée, la traduction française oscille entre l’excellent et le correct ; bien qu’elle s’égare parfois dans des interprétations ou lâche quelques fautes par-ci par-là, elle reste globalement de bonne qualité, notamment dans la traduction de jeux de mots et permet de profiter confortablement du scénario.

De nombreuses heures de jeu d’acteur, de l’humour, des sujets profonds, bien plus sérieux que ce que peuvent vous laisser penser les images qui agrémentent ce texte, un gameplay simple mais original, innovant et la plupart du temps efficace, Not For Broadcast est un Dystoseal incontestable et un candidat très sérieux pour mon GOTY 2022.

Genre : Aventure narrative en FMV

Site officiel

Développeur : NotGames

Editeur : TinyBuild

Plateforme : SteamGoGEGS

Prix : 20,99€

Date de sortie : 25 janvier 2022

Testé sur une version presse fournie par l’éditeur

Ruvon

Chaologue pas encore retraité, traître renommé, survivant accompli. Mon domaine, c'est le jeu vidéo, du FPS hardcore au point&click niais, et depuis toujours amoureux du tour-par-tour.