Kagoun
Vous en avez l’habitude maintenant, c’est en gardant l’esprit ouvert et en s’obligeant à tester tout et n’importe quoi, surtout quand cela nous fait sortir de notre zone de confort, que les bonnes surprises arrivent. Alors quand Andry Razafimbola – qui a gentiment répondu à mes questions – m’a contacté pour me demander si je voulais tester Kagoun, un jeu de cartes simple mais compliqué en fait tu vas voir il est cool, mon détecteur s’est affolé et j’ai accepté.
Kagoun, comme son nom de l’indique pas, est un jeu de carte se déroulant au début du XXème siècle à Paris, dans lequel de deux à quatre chasseurs de Kagoun – des entités fantastiques a priori, concrètement des formes géométriques de couleurs différentes – vont s’affronter pour tous les attraper en attraper un certain nombre le plus rapidement possible.
Le jeu se joue de manière classique, chaque joueur disposant d’une main de 3 cartes et pouvant jouer une action par tour : capturer, voler, défausser (afin de refaire sa main) et consolider. Chaque joueur va annoncer son action, poser la carte choisie de sa main à côté de sa cible, selon ce qu’il veut faire, puis les actions sont résolues dans l’ordre. Il y a au milieu de la table une rivière avec autant de cartes que de joueurs et chacun va disposer devant lui ses Kagouns capturés.
Pour capturer une carte, que ce soit de la rivière ou chez un adversaire, un joueur doit poser une des cartes qu’il avait en main sur la carte ciblée de telle manière que cela ne laisse apparaître qu’un des deux rubans noirs situés aux extrémités qui, combiné à celui de la carte posée doit reproduire en nombre et couleur la suite de grands symboles présents sur la carte.

Cela semble compliqué mais regarder une des photos et vous comprendrez tout de suite. Si deux joueurs veulent la même carte, alors celui qui dispose du plus haut total avec les chiffres situés dans les bandeaux gagne. Même chose quand vous volez une carte à quelqu’un, qui aura l’obligation d’essayer de vous contrer.
Une fois une carte capturée, le joueur prend la paire formée et la met dans sa zone de jeu, ou elle pourra donc être volée par la suite. Une fois que deux paires ont été acquises, le joueur peut commencer à consolider sa ligne. Pour ce faire, il prend les cartes du haut de chaque paire concernée et les place de telle manière à ce que les grands symboles (les Kagouns) correspondent.
C’est cette ligne qui va permettre de marquer des points : 1 par Kagoun formé, 2 points par Kagoun s’il y en a au moins deux du même genre et enfin bonus de deux points si les 4 couleurs sont présentes dans la ligne. Le joueur qui a 10 points ou plus à la fin gagne, le dépassement servant à départager les égalités.
Vous allez me dire que c’est plutôt facile de gagner : vous montez votre ligne en pillant les autres de temps en temps et au dernier moment vous consolidez pour marquer. Facile et efficace, ni vu ni connu. Sauf que ça n’est pas aussi simple que ça, vous vous doutez bien. Il y a un petit twist : il faut annoncer, en début de tour, que vous allez finir à 10 points ou plus. En beuglant Kagoun. Oui, vous allez volontairement vous mettre une cible sur la tronche. Comble du bonheur ? Si à la fin du tour vous n’avez pas les 10 points, vous serez éliminé !

Le joueur ayant annoncé Kagoun va donc devoir se défendre des attaques des autres, qui peuvent attaquer la ligne consolidée sur ses extrémités. Le défenseur a donc intérêt à avoir des cartes capables de l’aider (toujours sur le principe expliqué précédemment), sinon il perdra un pan de sa ligne et donc d’éventuels points.
C’est un aspect très intéressant du jeu qui oblige à anticiper en se gardant des cartes compatibles et surtout à observer ce que font les autres. Un petit côté tactique et calculatoire qui éloigne définitivement Kagoun de la catégorie petit jeu à sortir quand les petits cousins débarquent.

Parce que derrière des règles simples, Kagoun demande quand même de la réflexion et une certaine gymnastique de l’esprit. Le fait de devoir envisager toutes les combinaisons pour la capture, en comptant sur les autres pour vous mettre des bâtons dans les roues, de devoir aller chercher les bonnes cartes pour consolider la ligne, capturer sans dépasser la limite de trois paires capturées… Et je ne vous ai pas parlé des symboles spécifiques qui s’activent à la capture, comme aller piquer une carte à quelqu’un ou rejouer immédiatement.
Il y a du travail derrière Kagoun, qui ressemble plus à un mille-feuilles qu’autre chose. Cette richesse ravira ceux qui aiment faire marcher leur cerveau mais rebutera ceux qui, attirés par le format compact et le prix tout doux, s’attendait à un jeu familial avec ses parties d’une demi-heure. Pour un premier jeu, auto-édité en plus, c’est une très bonne surprise. Charge maintenant à la promotion pour en faire un titre le plus connu possible. Parce que je pense qu’il y a moyen d’organiser des petits tournois sympas dessus.

Bonjour Andry, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Papa, franco-malgache, j’adore les maths et je suis un fan absolu de JJG (Jean-Jacques Goldman), passionné total de l’œuvre de Michel Serres et joueur de jeu de société qui perd tout le temps.
Quel genre de joueur es-tu ?
On va dire casual ++.
Quel genre de jeux détestes-tu ?
Le jeu « marketing », « homologué ».
Quand et pourquoi as-tu as fondé Geekoviz, ta maison d’édition ?
Geekoviz a été créée en 2023.
Quels sont les principaux obstacles que tu as rencontrés ?
La rédaction de la règle qui reste un exercice très compliqué (voir la vidjéo youtube avec Max de Philibert) et la distribution en boutique.
Est-il encore possible de percer sur un marché de plus en plus saturé ?
Marché saturé, assurément, sauf que Geekoviz ne cherche pas à percer quoi que ce soit. Mon objectif est de créer des jeux de société auxquels j’aime jouer et dans mon univers, égoïstement j avoue.
Peux-tu présenter Kagoun ?
Kagoun ressemble à un jeu de cartes (de pli), mais ce n’en est pas un. Il y a une pincée de puzzle, on s’attend à un jeu d’ambiance pas trop compliqué mais non, c’est de la collection de cartes sans salade de points combo. Kagoun ne se résume pas simplement, hop c’est classé ! c’est un plat ludique légèrement différent et il faut y revenir plusieurs fois pour en apprécier la saveur.
En résumé comment ça se joue : on met une carte sur une autre et après on assemble les cartes du dessus et on se débarrasse de la carte du dessous mais il faut avoir de bons yeux ou de bonnes lunettes, surveiller tout ce qu’il y a dans sa main et sur la table. Il faut savoir compter jusqu’à 12 et même daltonien(ne), ça passe, les formes géométriques aident.
Comment t’est venue l’idée ?
Cela a commencé il y a plus de 15 ans, mon dada à moi, ce sont les maths et j’étais fasciné par Harry Potter alors je me suis dis allez go !, tu inventes un truc, un bidule (pas aussi extraordinaire que l’univers de JK Rowling) mais un univers-fantasy sur les Maths (vs la Magie pour HP) à la Jules Verne (en toute humilité bien sûr). J’ai décliné cet univers en pensant français, une histoire qui se passe en France (vs la Grande-Bretagne pour Harry Potter), à Paris (vs Londres pour HP), à la Belle Époque.
En fait, je ne plaque pas un univers sur un jeu, non, je plaque mes jeux sur mon univers. Je fais un peu mon écrivain mais de façon ludique. J’écris un jeu. Je m’imagine en un apprenti cuistot qui cuisine ses petits plats pas trop chers, après, le public goûtera. On aime ou pas. Pour le nom du jeu, c’est une invention familiale improbable : que du bonheur ! Vous voyez de quoi je parle les papas.
Qui a fait les illustrations ?
Des amis.
Quel type de joueur vises-tu avec ce titre ?
Les joueurs et joueuses curieux, initiés, experts ou pas, qui n’ont pas peur de bousculer leurs habitudes. Après, je suis moi-même plutôt sciences que lettres – humanités comme on dit, du coup Kagoun est un jeu simple, épuré, plutôt abstrait mais chafouin et façonné tel que moi j’aimerais jouer.
Quel est l’accueil du public pour le moment ?
Hyper positif, allez voir le nombre de vues Youtube du Ludochrono. Pour ce qui est du retour des pros aussi : lisez l’article du dernier magazine Ravage en Novembre 2024. Ecoutez le podcast proxi-jeux FLIP 2024 (extrait sur la chaîne youtube de Geekoviz). Au debut, ma crainte était que Kagoun n’intéresse personne et que le projet tombe à l’eau. En 2022, au festival Paris Est Ludique, j’étais terrifié à l’idée qu’un joueur assis à ma table ne s’amuse pas dès les premiers instants et que couic, ma crédibilité chute à zéro ! Ouf ! J’ai réussi cet examen-là !
Et anecdote : au festival de jeu 2024 Alchimie de Toulouse (où tout le stock au Passe temps est parti), une petite de 8 ans a battu le record d’âge des vainqueurs aficionados de Kagoun après une seule explication et 2 parties dans la foulée, car elle était très attentive à l’explication contrairement à son papa et leur ami qu’elle a littéralement écrasés (elle leur a dit qu’ils n’étaient pas attentifs à l’explication et passaient leur temps à me couper la parole au lieu d’écouter).
Tu participes à beaucoup d’événements, que ce soit en tant que bénévole ou auteur. Quel est l’état du marché français du jeu de société d’après toi ?
Alors, par rapport au marché du jeu, je savais qu’un univers sur les maths tel que je l’ai en tête intéresse les profs de maths mais que c’est mission impossible d’arriver avec ça en pré requis avec les professionnels du jeu. Le risque éditorial est trop important (et c’est vrai). Alors je me suis motivé pour apprendre tout seul à éditer mon jeu. Il faut provoquer sa chance ! Et donc, vu mon parcours, pour moi, le marché français est top ! hyper-concurrentiel et dynamique, créatif si on joue le jeu et donc des fois on gagne mais on peut aussi perdre.
Quel est le futur pour Geekoviz ?
Un moment il va falloir que je raconte enfin l’histoire de ces K.G.N à Paris en 1900, non pas façon puzzle mais plutôt euclidienne pour les connaisseurs. Et donc, promis, il y aura d’autres jeux dont un qui sera plus accessible, enfin peut-être. Les trois personnages sur la couverture de Kagoun, grâce à leurs lunettes, continueront à chasser les petits Kagouns à Paname en 1900. J’essaierai toujours de plaquer correctement le gameplay sur mon univers et l’Histoire. Pas simple !
Vas-tu éditer les jeux d’autres auteurs ?
Non, parce que pour moi, un jeu c’est ludique certes mais aussi des responsabilités vis à vis de son public et ça il faut l’assumer. Il faut porter soi-même son projet. Tu l’as cherché comme on dit et bien tu dois mouiller ta chemise. Critiquer et blablater c’est bien mais faire c’est mieux.
As-tu déjà des idées pour le successeur de Kagoun ?
Yes !
Si tu avais des moyens illimités et une équipe à ta disposition, le jeu que tu créerais serait… ?
Joker ! Non, allez je dirais… un truc avec des cartes mais façon LLM qui se joue sans dés et du vrai Mistral gagnant façon catégorie à la Alexander G.
Je te laisse le mot de la fin !
La devise de Geekoviz (allez voir l’Ulule) restera : « engagez vous qu’il disait et jouez ! », alors allez y ! Pour moins de 15€ vous allez jouer façon kagoun mais pas façon Raoul et même si le copain joueur d’échecs avec qui je teste mes jeux me bat tout le temps, il paraît qu’en stratégie, je suis nul, je continuerai à créer de bons jeux, nananère !
Ha ben voilà, j’ai perdu 14€ !!!
Excellente décision !