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Call of the Sea

Lovecraft, sea and sun

En 2020, même quelqu’un qui n’a jamais lu une seule des nouvelles du prénommé Howard Phillips sait à quoi s’attendre quand on lui parle d’un univers “Lovecraftien”. On y évolue au mieux sous le ciel vicié du Rhodes Island des années 30, au pire dans des dédales pierreux. On y croise des créatures dont 5 pages de description ne suffisent pas à dire à quel point elles sont… indescriptibles, justement. Et surtout, le protagoniste peut s’estimer heureux de s’en tirer avec des terreurs nocturnes à vie. Car, le plus souvent, il perd tout bonnement la boule. Est-ce le cas dans Call of the Sea ?

Call of the Sea nous plonge en 1930, dans ce qui pourrait être le début d’une adaptation de King-Kong. Voyez plutôt : vêtue d’un trench-coat beige, gantée de cuir, Norah s’apprête à débarquer sur une île supposée maudite au large de Tahiti. Elle part à la recherche de son cher et tendre, disparu lors d’une expédition dont le joueur découvrira petit à petit le but. Des palmiers, du sable fin, des oiseaux colorés, des plantes tropicales… Pour leur premier jeu, les membres du studio Out of the Blue ont collé le mot “Lovecraftien” sur un décor bien inhabituel. Si ce contraste visuel peut choquer, Tatiana Delgado, réalisatrice et cofondatrice du studio, explique la démarche dans une note de blog

« Si la plupart des nouvelles de Lovecraft sont une descente vers la folie, Call of the Sea est l’aboutissement d’une quête de soi. Celle d’une femme témoin d’une histoire lovecraftienne, par le biais de lettres et actrice d’une autre, la sienne. »

Tatiana Delgado, Game Director et cofondatrice du studio Out of the Blue

Call of the Sea, ce sont deux histoires en une. D’abord celle de Norah, que l’on va vivre à travers des puzzles. Puis celle de l’expédition de son mari, qu’on découvre par le biais des nombreuses lettres et éléments matériels. L’héroïne est incarnée par Cissy Jones, voix remarquée de Delilah dans Firewatch, aussi convaincante en garde forestière pince sans rire qu’en bourgeoise éduquée des années 30. Ses monologues sont nombreux, comme ses entrées de carnet de bord à chaque découverte. Sa voix qui résonne, souvent emprunte de nostalgie envers son “vieil ami”, donne une bonne impression de solitude.

On admire le courage de cette femme imperturbable, qui commente et ri même parfois, tout en remontant une piste qui va s’avérer semée de cadavre. Ce décalage de ton, avec la capacité de Norah à passer à autre chose face au retournement scénaristique central, sont les deux défauts narratifs du jeu. Les auteurs et autrices ont eu beau nous donner plein de contexte, dans les écrits in game notamment, la courte durée du jeu rend expéditive la tournure des événements et des sentiments de l’héroïne. 

Les environnements de Call of the Sea sont très beaux, détaillés, mais ramassés. Mieux vaut être prévenu : on est dans l’esprit d’un jeu de pur puzzle, pas celui d’un walking sim. De grosses déconvenues attendent celui qui viendrait pour profiter d’un Firewatch version Polynésienne. Les casse-têtes sont très rapprochés et la place de l’exploration réduite d’autant. On arrive dans un endroit clos, on tourne quelques statues/leviers, avant de traverser un tunnel narratif jusqu’au prochain diorama de jungle ou de ruines.

Petit confort : le jeu anticipe le besoin de noter des éléments visuels, via la calepin de Norah. Il va s’agir le plus souvent de schémas ou de suites logiques à composer, avec un twist logique à assimiler en visionnant longuement des fresques murales ou des croquis. Pas de tarabiscotage ou de phases de recherche : tous les éléments sont sous nos yeux. Le temps de réponse dépendra des capacités du joueur à briller aux tests psychotechniques.

Les amateurs de puzzles (j’insiste, ne venez pas pour le tourisme) et qui apprécient un bel enrobage visuel ne pourront qu’apprécier les 5 à 10h de casse-tête sans chichis. La démarche sincère à l’origine du mélange Lovecraft/cartoon donne un résultat très rafraîchissant. Sur la forme, Call of the Sea reste très classique sous tous les angles, sans folie, mais quasiment exempt de défauts pour son niveau d’ambitions. “Un projet taillé pour le Gamepass”. C’est le nom que les vrais journalistes donneront bientôt à ces projets réussis mais pas transcendants qu’on boucle en moins de 10h. Je vous le donne en exclusivité pour Dystopeek.

Site officiel

Développeur : Out of the Blue (Espagne/Grèce)

Éditeur : Raw Fury

PC, Xbox (Gamepass)

Testé sur une version presse fournie par l’éditeur

Bofang

J'écris pour justifier le temps perdu à jouer pendant que d'autres montent des start-up.