Comancheria, the Rise and Fall of the Comanche Empire
Sorti à l’origine en 2016, Comancheria, the Rise and Fall of the Comanche Empire a eu droit fin 2024 à un second tirage, avant son grand frère Navajo Wars, le premier jeu de Joel Toppen datant de 2013, que je n’ai pas eu le loisir de tester.
Les deux jeux sont des titres à jouer en solitaire uniquement, et tous les deux basés, comme les titres le laissent deviner sur les deux célèbres Nations de Natifs. L’investissement en temps comme en matière grise est conséquent pour les deux titres, avec semble-t-il des règles plus digestes pour Comancheria. Et quitte à vous spoiler la suite, ça me fait un peu peur d’imaginer ce que cela donne pour Navajo Wars.
Parce que mettons tout de suite les choses à plat : Comancheria n’est pas le petit jeu solo auquel vous allez jouer 3h après l’avoir déballé. Ce n’est pas non plus le jeu dont vous allez faire une partie vite fait sur un coin de table. Non, c’est un jeu à qui vous allez consacrer des journées entières. Est-ce une bonne chose ? Cela va dépendre de vos attentes.
Le premier contact avec Comancheria est rugueux : si le livret de règles d’une vingtaine de pages se lit facilement, tout comme le Playbook, force est de constater qu’une fois le livret posé, impossible de se faire un avis sur le jeu. Ou même d’avoir la moindre idée de comment il se joue. Oui c’est assez étonnant à dire mais il m’a fallu de très nombreux tours – et je ne suis pas le seul a priori – avant que les choses ne se mettent en place et que je commence à comprendre comment tout s’articule.

Comme expliqué, ça n’est pas la faute des règles, claires et bien écrites, ni même des aides de jeu qui sont extrêmement bien réalisés, avec ce qu’il faut de détails et de synthèse. Non, c’est tout simplement que Comancheria n’est pas un jeu simple à appréhender. Certaines actions ont une incidence sur le long terme que l’on ne devine pas tout de suite et le côté très procédural du jeu a tendance à faire croire que le joueur est sur des rails sans disposer d’une grande influence sur le jeu. Grossière erreur.
Penchons-nous sur ce cas des plus intéressants. Comancheria dispose de cinq scénarios, qui vous permettront de jouer soit sur une période, 1700 à 1749 par exemple pour le scénario d’introduction, soit sur plusieurs ou même la campagne complète, qui va de 1700 à 1875 et qui court sur les 4 périodes historiques. Autant vous dire que vous avez largement de quoi vous occuper, le scénario d’introduction m’ayant occupé plus de 3h la première fois…

Les conditions de victoire vont bien entendu évoluer selon les scénarios, allant de la domination d’une région à la création d’un nombre donné de campements, appelés ici Comancherias. Bien entendu, les autres Nations, qu’elles soient Indiennes ou d’origine occidentale, ne vont pas vous laisser agir à votre guise et vont établir elles aussi des campements et envoyer des War Columns, des armées qui vont parcourir la carte et tenter d’éradiquer vos Comancherias.
Chaque tour débute de la même manière : les Armées ennemies déployées sur la carte – qui est divisée en 6 grandes régions elles-mêmes divisées en 6 lieux – vont avancer d’un certain nombre de lieux et attaquer les Tribus Alliées ou vos campements. Les batailles se règlent très facilement avec un jet de dé auquel divers bonus et malus sont appliqués.

Une fois que la colonne ennemie a joué, c’est à vous de décider quoi faire. Vous avez 4 décisions possibles : Planifier, Passer, Gagner de la Culture et enfin Jouer des Actions. Passer vous permet de faire un « Passage of Time », c’est-à-dire de forcer l’avancée de la partie afin de provoquer la fin de celle-ci.
C’est une action à la fois risquée et indispensable quand on a rempli les conditions de victoire et qu’on désire au plus vite abréger avant que l’Ennemi ne vienne chambouler vos plans. Ce qui est bien entendu régulièrement le cas.

Gagner de la Culture vous permet, selon l’étendue de votre Empire, de gagner un certain nombre de points de cultures vous permettant d’acheter plus tard de nouvelles cartes améliorant certaines actions. Oui, comme un arbre de recherche dans un jeu de gestion.
Planifier et Jouer des Actions sont les gros morceaux, le cœur du jeu. Jouer des actions consiste à activer une Comancheria et à jouer toutes les Bandes (c’est-à-dire les détachements de guerriers) qui la composent. Chaque Bande a une force et un potentiel de mouvement et va pouvoir : se déplacer, chasser le bison, commercer ou faire un raid.

Ces derniers permettent de récupérer des chevaux et des prisonniers, qui servent au marchandage et aux déplacements. Le nombre d’actions dépend du potentiel de mouvement et le nombre de Bandes que vous pouvez activer dépend non seulement du nombre disponible dans la Comancheria (logique) mais aussi du potentiel (les points de Medecine) de votre Chef, le Paraibo.
Lors d’un raid, vous allez tirer autant de jetons que de points de force de la Bande, avec un éventuel bonus si un chef de guerre – Mahimiana – l’accompagne. Les jetons en question sont dans un contenant dans lequel sont présents des jetons de succès et d’autres offrant des points d’action à l’Ennemi (nous y reviendrons).

Il faut au moins un succès pour que le camp visé soit ravagé et que l’on ait du butin. Donc plus vous faites de raids, plus vous avez une chance de vous enrichir mais aussi de renforcer l’Ennemi, dont vous attirer l’attention, ce qui semble logique.
Une fois tous les points de mouvement de la Bande activée épuisés, on passe à la suivante, jusqu’à soit décider de ne plus envoyer personne soit d’avoir utilisé toutes nos bandes. Léger détail : les ressources restent avec la Bande, sauf si celle-ci est revenue au campement. Dans tous les cas, le pion est retourné sur sa face utilisée.

La Planification est quant à elle la partie du jeu à laquelle il faut accorder une grande attention. Si le déroulé est assez simple, les conséquences sont bien plus complexes. Tout d’abord, on va améliorer le chef de guerre (Mahimiana) et le chef de tribu (Paraibo) en faisant ruisseler de l’un vers l’autre les succès récoltés lors des raids. Ensuite, chaque Paraibo va pouvoir entreprendre des actions spéciales.
Soit une soit un nombre déterminé par un jet de dé, sachant que le jet doit être inférieur à la valeur du chef (qui a donc été augmentée à l’étape précédente). Ces actions vont de renvoyer des succès dans le pool à acheter des cartes spéciales (permettant de s’allier à certaines tribus, d’enlever un campement de la carte…) en passant par l’acquisition de points d’Action, qui permettent de refaire jouer une Bande.

Il faut donc le meilleur Paraibo possible dans chaque Comancheria afin d’avoir le plus d’actions spéciales possibles. Ensuite, chaque Bande qui est sur sa face utilisée voit sa force diminuée de 1, pouvant de fait disparaître. On peut ensuite déplacer les Comancherias sur la carte afin d’avancer dans son expansion et enfin l’Ennemi a droit a une action gratuite.
Une fois le tour du joueur fini, c’est-à-dire quand il a choisi une des 4 actions et qu’il l’a menée à bien, il y a une phase de nettoyage qui voit l’Ennemi agir. C’est à ce moment-là que l’on détermine qui agit (l’ennemi venant du Nord, de l’Est, Ouest ou du Sud) et ce qu’il fait via le tableau que vous apercevez en bas à droite du plateau de jeu. Chaque action qu’il peut entreprendre à un coût, qui va devoir être payé avec les jetons tirés lors des raids. Dans cette phase l’Ennemi va mettre des nouveaux campements, chasser, vous déclarer la guerre ou au contraire s’allier avec vous.

Et enfin, le Passage of Time a lieu au bout d’un nombre aléatoire de tours et permet de recruter de nouvelles Bandes via la nourriture gagnée en chassant ou en commerçant, mais oblige aussi à vérifier si les Chefs passent de vie à trépas ou pas. Les conséquences sont assez importantes car comme nous l’avons vu du niveau de ceux-ci dépend votre efficacité. On fait ensuite un peu de nettoyage, on remet des bisons ici et là et enfin le joueur peut acheter une carte de Culture. Il y a bien d’autres choses qui sont faites durant ce Passage of Time mais il n’est guère utile de le détailler.
Comme vous le voyez, Comancheria est un jeu très procédural. Le Passage of Time par exemple a 15 étapes. La gestion des colonnes ennemies en début de tour en a une demi-douzaine. Heureusement pour le joueur, tout cela est très bien décrit dans les règles et surtout l’aide de jeu. Les débuts sont donc très lents, avec des aller-retours constants dans les livrets avant qu’on prenne enfin un peu d’assurance et qu’on s’en passe une grande partie du temps. Mais même à ce moment-là, j’avoue que j’avais le livret sur les cuisses, prêt à l’emploi.

Je vous parlais au début du fait que Comancheria a mis du temps à cliquer dans mon esprit. C’est surtout parce que l’Ennemi agit très souvent, ce qui fait qu’on a l’impression que nos actions n’ont pas vraiment de lien. Alors que… par exemple, vous pourriez vous dire qu’il suffit de faire un maximum de raids, qui rapportent succès et ressources. Seulement ils font aussi piocher des points d’action pour l’Ennemi. Et quand une Bande est utilisée, elle va perdre un pas lors de la Planification.
Petit mot sur le thème, que je trouve particulièrement bien exploité, avec une véritable sensation de devoir d’un côté étendre son Empire tout en le défendant de l’autre face à divers ennemis. Joel Toppen a de plus agrémenté les livrets de très nombreuses anecdotes et précisions qui permettent de mieux comprendre la civilisation Comanche. Un jeu dont le côté pédagogique n’est pas à négliger et dont le thème n’est pas simplement plaqué.
Mais celle-ci permet de faire des actions spéciales et de justement dépenser les ressources acquises durant les raids ! Ce qui vous rend plus fort d’un côté vous affaiblit donc de l’autre. Laisser des Bandes isolées permet de fonder de nouvelles Comancherias, mais il y a une chance qu’elles soient attaquées.

Actions, réactions, tel est le mot d’ordre dans ce jeu, qui vous envoie toujours quelque chose à mâchonner. Cela peut être positif ou négatif, cela peut être possible à anticiper, ou pas. Il y a beaucoup à regarder, beaucoup à planifier. Mais tout est toujours thématique, tout est toujours logique.
Ce que je reprocherai (sans trop être véhément pour autant), c’est qu’on se retrouve parfois à attendre vainement la fin de partie. On peut tenter de la provoquer c’est sûr mais il y a quand même un moment où on a réussi ses objectifs et où pourtant le jeu nous oblige à continuer. Et chamboule bien évidemment le plateau. Bien entendu je ne demande pas à arrêter la partie dès que l’objectif est atteint, après tout le jeu repose sur ce mouvement de va-et-vient entre l’Ennemi et le joueur, mais le curseur de l’aléatoire est poussé un poil trop loin pour moi.

Comancheria est un bon jeu solo. Un très bon jeu solo même, qui grâce à ses scénarios de difficulté et longueur variables offre au joueur un grand panel de possibilité. Cependant, ce n’est pas un jeu que je recommande aveuglément tant il est particulier. Encore une fois j’insiste sur le côté procédural du titre, un aspect qui déplaît bien souvent, et sur sa relative complexité. Il m’a fallu d’innombrables tours avant que je ne comprenne comment tout se goupille et que surtout je n’arrive à vraiment dérouler une stratégie viable.
Ces caractéristiques excluent donc ceux qui veulent un jeu léger et rapide à jouer ou ceux qui veulent des mécanismes simples (même si encore une fois ceux de Comancheria ne sont pas spécialement compliqués). Par contre, si le thème vous parle et que vous aimez les jeux qui vont vous happer pendant des heures, sachez que Joel Toppen a vraiment bien fait ses devoirs et que vous apprendrez énormément de choses sur cette Nation. La pente est raide pour apprendre à l’apprivoiser, mais Comancheria ne vous laissera pas indifférent !
Auteur : Joel Toppen
Artiste : Donal Hegarty, Rodger B. MacGowan
Editeur : GMT Games
1 joueur
de 60 à 360 minutes
Testé sur une version presse fournie par l’éditeur