Jeux vidéoJouer

Nobody Saves The World

The Binding of Zelda

« Je suis le fils de personne » chantait ce poète underground du XXe siècle. Et bien moi, je ne suis personne tout court, depuis que j’arpente les donjons de Nobody Saves The World. Ou plutôt, je suis tout le monde à la fois : le chevalier, l’archère, le cheval, le nécromancien, la limace. Et l’on repense à cette maxime qui ornait les skyblogs en l’an 2003 : « A V0ùloiìR €tRə T0ou$ l€ Mo0oNdə 0N D3vìƎnT PəRs0ИИe ». Le jeu des canadiens de DrinkBox Studios (Guacamelee) serait-il empreint de philosophie ?

Nobody Saves The World se présente comme un Zelda 2D, dans lequel on pourrait jouer à la volée Link, un garde, une poule, un bandit et un poisson. Là est l’originalité du titre : on y change de personnage comme on changerait d’arme. On débute avec le pauvre Nobody, silhouette blafarde tout juste capable d’infliger des pichenettes de moyenne-section. On débloque très vite (au bout de 30 secondes) de nouvelles formes, en complétant des checklists qui impliquent plus ou moins toujours de “tuer un nombre X d’ennemis d’une façon Y”. Chaque palier d’expérience débloque une amélioration, jusqu’ à ouvrir l’accès à une nouvelle forme. Il y en a une quinzaine au total.

Attends, mais c’est le bordel, non ? Chaque personnage ou bestiole compte plusieurs grades, de F a A. Chaque grade donne accès à de nouvelles attaques ou compétences passives, quatre emplacements de chaque étant assignables à la fois. En plus, il est possible d’équiper tous les personnages de n’importe quelle attaque. On approche donc un nombre de combinaisons digne d’un Décathlon et d’un sex-shop réunis. Rien ne vous empêche d’assigner à la jument la très pratique transparence d’invincibilité de fantôme, à la sirène les dégâts de poison du rat, à la limace les haltères ravageurs du bodybuilder. Si vous avez déjà envie de crier au kamoulox, alors attendez qu’on évoque l’histoire, à la fin de cet article. Ce teasing est une nouvelle directive de notre bien-aimé rédacteur en chef Harvester, pour “contenir l’audience”. Il est un brin tendu, depuis que Dysto mine sa propre crypto.

Oui, mais on s’amuse. Le système d’un héro “à la carte” est pensé pour que le joueur bidouille à la recherche du meilleur moyen de nettoyer les donjons le plus efficacement possible. Car les ennemis sont versatiles, rendant parfois obsolète un build d’une zone à l’autre. Leurs protections aux différents types d’attaques (contondante, ténèbre, lumière) obligent à faire preuve de polyvalence. Selon les circonstances (si on croule sous le nombre notamment) on préférera soit changer de personnage à la volée, soit préparer en amont des attaques mixtes pour parer à toute éventualité. Mais d’une manière générale, Nobody Saves The World est permissif, réglé sur “dopamine maximum”, avec des sauvegardes devant chaque porte de donjon. Si on bloque devant une difficulté soudaine, c’est qu’il faut soit réfléchir un peu devant notre catalogue d’armes, soit aller se promener ailleurs. Jusqu’à débloquer un nouveau larron à jouer, une nouveau coup dévastateur qui fera pleuvoir les pièces d’or et les rubis des cadavres moissonnés.

Il a du coffre. Mais Nobody Saves The World est plus qu’un jeu où l’on farm à la vitesse d’une gerbille caféinée pour faire pleuvoir du loot réconfortant après une journée de travail. Car pour draguer notre instinct primitif de videur de coffre, les développeurs n’avaient pas besoin d’un monde si grand, si varié, foisonnant de détails. Cerise sur le gâteau : les blagounettes sont courtes et les dialogues expéditifs. Les quêtes-farces que l’on accomplit pour différents groupes (les voleurs, chevaliers, aliens…) n’ont rien d’obligatoire. Entre les donjons, l’exploration libre ne nous laisse jamais 10 minutes sans un nouvel environnement, une nouvelle bestiole à trucider, un nouveau projectile à tester, une nouvelle jauge qui monte. De quoi faire oublier les quelques boss qui sentent le remplissage.

Ne m’raconte pas d’histoire. Le rédacteur, habile, place en fin d’article ce paragraphe sur l’histoire du jeu, pour illustrer son caractère anecdotique. Nobody est un héros qui doit sauver le monde de la “calamité”, une aura maléfique, voire même méchante. Le monde en question est un univers fantasy cartoon (où les sorcières pratiquent la vente pyramidale), saupoudré de post-apo, de far-west, de dracula et d’extraterrestres. Drinkbox a fait le choix du pot-pourri ultime, du grand ragoût de restes pop (rep à cette expression, Télérama). En bref du grand coffre à jouet, dans lequel on aurait mélangé les Playmobils de toutes les boîtes : les cow-boys, les pirates, les policiers, les dragons, les gilets jaunes, etc. L’ensemble donne un grand zapping des clichés plutôt réussi, de quoi faire résonner dans le silence de mort de votre domicile un discret rire nasal.

Jouer à Nobody Saves The World, c’est profiter du plaisir simple du nettoyage de donjon, sans barrière de skills notable. Mais avec assez de challenge et de plaisir un brin bourrin pour garder l’envie de voir le fond du coffre à jouets. Après une quinzaine d’heures, j’aimerais jouer à autre chose. Mais il y a fort à parier que mon cerveau, lui, succombera encore quelques heures devant ce bonbon doux et bien emballé.

nobody saves the worldSite Officiel

Genre  : dungeon crawler / Zelda-like bordélique

Développeur : Drinkbox Studios (Canada)

Sortie : 18 janvier 2022

PC, Xbox

21€ / Xbox Game Pass

Bofang

J'écris pour justifier le temps perdu à jouer pendant que d'autres montent des start-up.