Sylve
Le premier contact avec un jeu est extrêmement important. Qu’il soit forcé par un de vos partenaires de jeu parce que c’était à lui de choisir à quoi jouer ce vendredi soir ou fortuit lors, au hasard, des pérégrinations pendant un salon, la première fois que vous jetez un œil sur le matériel, vous savez. Si oui ou non il est fait pour vous. Ça c’est pour des gens doués d’un certain sens du discernement. Parce que pour ma part et spécialement dans le cas de Sylve, j’ai poliment décliné la proposition de partie du démonstrateur du Château en Jeu, ne me sentant pas plus attiré que ça.
Sauf que me connaissant, et après un petit tour dans le reste du château (oui ok, aussi pour résister à l’attrait des Gardiens de Havresac qui semble aussi choupinou que sympa à jouer), j’ai donné sa chance au produit, comme on dit. Nous étions donc deux, un animateur des Luds et des Plums et moi, à nous faire présenter le jeu.
Et c’est là que j’ai réalisé que oui, ça plairait sûrement à Madame Harvester. Que l’interaction un peu punitive entraperçue lors de la partie de trois autres visiteurs quelques minutes auparavant pouvait être minimisée pour ne pas la faire fuir. Sauf que… pas vraiment (avouez que vous aimez bien quand je me trompe).
Sylve est un jeu de pose d’ouvriers (représentés par des dés) et de majorité, le tout saupoudré d’animaux et de potions. Jetons un voile pudique sur le scénario qui nous propose de remettre de l’ordre dans les saisons en s’appropriant des Sylves (sur lesquelles jusqu’à deux saisons sont représentées) et en apprivoisant des animaux…
Il fallait trouver un thème et heureusement pour le jeu, la direction artistique est très bonne et on a beaucoup de plaisir à manipuler et admirer les différents éléments. Un sans-faute donc au niveau du matériel, c’est propre et très pro. Même la boîte a une taille et un rangement adéquats, un détail qui n’en est pas un pour ceux manquant de place.
Au niveau de la complexité, Sylve se situe à un niveau intermédiaire : facile à expliquer, le concept est vite saisi et les parties étant courtes, il n’est pas rare de les enchaîner. C’est plus au niveau du choix des joueurs qu’il faudra faire attention. Je vous explique pourquoi un peu plus loin.
Dans Sylve, chaque joueur doit amasser le plus de points de victoire (PV) possible en quatre tours de jeu (représentant sûrement les saisons). Ils sont gagnés grâce aux Sylves justement, aux animaux apprivoisés, aux potions collectées (utilisées ou non) et à divers autres petits bonus.
Même si l’apport en PV des potions et animaux est à ne pas négliger, c’est sur les Sylves que l’attention des joueurs va se porter et donc là que la compétition sera la plus féroce.
En début de tour, chaque joueur lance 6 dés : 4 de Forage et deux d’Eléments. Ces derniers ont 3 faces différentes : le Vent, l’Eau et le Feu, chacun ayant bien entendu un effet différent. Les 4 dés de Forage quant à eux sont vos principaux ouvriers et sont utiles à plusieurs niveaux. Posés sur une case de Sylve comportant le même symbole, ils vous permettent de récolter une ressource du type imprimé à côté de la case ou d’apprivoiser un Animal (on peut en avoir 3 simultanément).
Chaque joueur va donc placer ses dés les uns après les autres, dans l’ordre qu’il désire et ainsi récolter des ingrédients qu’il utilisera pour concocter des potions. En parlant d’elles, chaque joueur peut, lorsque c’est à lui de jouer, concocter ou boire une et une seule potion.
On peut donc boire une potion qu’on vient juste de concocter mais pas boire plusieurs potions à la fois, ce qui donnerait des enchaînements trop dévastateurs. Elles peuvent en effet vous permettre de condamner un emplacement sur une Sylve, relancer ou même déplacer un dé… Cela peut sembler innocent au premier abord mais c’est loin d’être le cas.
Chacune des Sylves utilisées à chaque round comporte un nombre limité d’emplacements sur lesquels placer ses dés, ce qui oblige à une première course de vitesse entre les joueurs désireux d’acquérir certains ingrédients. Mais le plus important est qu’à la fin du round, le joueur ayant le plus de dés à sa couleur sur la carte la remporte. Et comme on l’a vu, ce sont les Sylves qui rapportent le plus de PV (entre 3 et 8). Il faut donc faire des choix en plaçant ses dés afin de ne pas trop se disperser mais de quand même avoir la récolte que l’on veut.
Rajoutons par-dessus les dés d’Eléments qui comme indiqué sont le Vent, qui permet de faire revenir un dé joué dans sa réserve (et donc de jouer un tour de plus), l’Eau, qui permet d’avoir deux ressources de plus qu’une récolte normale et le Feu, qui permet de brûler un dé, qui ne comptera plus pour le calcul de la majorité, et vous aurez une idée du joyeux bordel quand il vous faudra prendre tout ça en compte, en essayant en plus d’anticiper les actions des autres. Oh, j’oubliais ! Il y a un village avec deux faces, une Matin une Soir disposant chacune d’emplacements aux pouvoirs différents, qui permet d’autres actions avec les dés de Forage ou d’Eléments.
Ce qui s’annonçait comme un charmant petit jeu de placement d’ouvriers se transforme donc bien vite en bataille rangée autour des Sylves. Rien n’est jamais acquis sur ces dernières car avoir la majorité ne tient qu’à un fil. Les joueurs peuvent en effet brûler des emplacements pour empêcher les autres de poser leurs dés, déplacer n’importe quel dé avec la potion adéquate, placer des dés Eléments, qui sont aussi à prendre en compte dans le calcul, j’en passe et des meilleurs. C’est vite la foire d’empoigne !
Sur une partie avec Mme Harvester, allergique à tout coup fourré, je m’amusais même à lui montrer comment elle pouvait mettre à mal ma stratégie en quelques coups et s’accaparer les cartes les plus profitables. En sans surprise, en prenant les bonnes potions et animaux (qui ont eux aussi des pouvoirs) et surtout en les jouant au bon moment, car on ne peut en jouer qu’une à chaque tour, on peut tout chambouler et faire perdre le sourire à son adversaire.
Dernier détail sympathique, qui raccroche un peu le thème : si un animal sauvé ne rapporte seul qu’un point de victoire à la fin de la partie, s’il est associé à une Sylve de la même couleur (saison), alors il en rapportera 3. Mais chaque Sylve ne peut accueillir qu’un seul animal… Il faut donc se concentrer sur quelques Sylves et animaux afin de gagner un maximum de points plutôt que d’essayer de partir dans tous les sens. Et forcément, vous ne serez pas le seul à avoir cette idée autour de la table…
L’alternance du plateau village et le nombre confortable de cartes Sylves différentes offre une durée de vie très correcte avant d’en faire le tour même si, soyons honnête, le jeu n’est clairement pas pour tous du fait de cette forte propension à encourager les attaques. Et encore, je dis ça mais les joueurs n’ont en fait pas d’autre choix que de se taper dessus…
C’est donc ceci qui place Sylve dans une position originale : son prix tout doux, son thème choupinou, ses composants mignons tout plein et ses règles simples en font un jeu qu’on a envie de sortir en famille. Mais une fois le concept vraiment compris, le jeu devient extrêmement calculateur avec énormément d’interactions à base de « pousse toi que j’m’y mette ».
Ça ne devrait pas gêner une immense majorité de gens mais sait-on jamais, mieux vaut être prévenu ! Les parties étant courtes il sera rare de ne pas les enchaîner, ce qui permettra peut-être d’équilibrer les débats, ou de froisser encore plus les susceptibilités… Dans tous les cas, Sylve confirme que mon premier jugement est bien souvent à côté de la plaque !
Auteur : Stevo Torres
Artiste : Jake Morrison, Andrew Thompson
Editeur : Catch up Games
Distribution : Black Rock Games
De 2 à 4 joueurs
De 45 à 90 minutes