Jeux de sociétéJouer

Skull Tales : Toutes Voiles Dehors !

Sorti à l’origine en 2015, Skull Tales est revenu dès 2019 dans une version sous-titrée Full Sail! – toutes voiles dehors dans la langue de Robert Surcouf – et même une deuxième édition l’an passé, ce qui lui a valu une traduction chez Zacatrus. Comme vous êtes au fait de l’activité ludique, vous n’êtes pas sans savoir qu’une campagne de financement participatif vient de se terminer sur Gamefound et qu’elle proposait d’acquérir en anglais ou espagnol le jeu et ses quatre nouvelles extensions (O, Captain my Captain, Tortuga, Pirates et Curse of the Caribbean). Ces dernières ne sortant pas en version française avant la fin d’année, concentrons-nous pour le moment sur la grosse boîte bien remplie du jeu de base, disponible en VF sur le site de l’éditeur.

Skull Tales est un jeu pour un à cinq joueurs qui incarneront des pirates du XVIIIème siècle dans les Caraïbes. Au menu : du pillage, des abordages, de l’aventure et bien entendu du rhum (si vous pensez à en acheter avant de commencer la partie bien entendu). Le tout dans un mode semi-coopératif, car comme chacun le sait, c’est bien de jouer et gagner tous ensemble, mais si on peut gagner un peu plus que les autres, ça n’est pas plus mal.

Si Skull Tales peut être hâtivement classé dans la vaste catégorie des Dungeon Crawlers quand on observe les illustrations, ce serait une erreur tant le jeu de David Illescas est bien plus que cela. Car, très fortement inspiré des jeux de rôles, il est divisé en trois modules complémentaires : la phase de port, pendant laquelle les pirates vont se préparer pour leurs aventures, la phase de traversée, pendant laquelle ils vont rallier les îles dignes d’intérêt tout en évitant – ou pas – les vaisseaux ennemis et enfin la phase d’aventure, où vos pirates vont débarquer et explorer afin de remplir leur mission.

Le jeu propose une longue campagne divisée en une dizaine de chapitres, pour lesquels ces phases vont se répéter. Bien entendu, je ne vais pas vous parler de l’histoire, qui va évoluer selon votre capacité à remplir certains objectifs mais sachez que tous les ingrédients d’un bon film de pirates sont là : un trésor, des soldats britanniques, du surnaturel et des combats, beaucoup de combats.

A l’inverse des autres Dungeon Crawlers, Skull Tales ne vous balance pas à l’entrée du lieu à explorer et zou débrouillez-vous. Non il va falloir vous préparer pendant la phase de port. Pour ce faire, et parce que vous n’avez pas tant de temps que ça avant que les vents ne soient plus favorables, il va falloir choisir comment dépenser votre Prestige et votre argent de la manière la plus efficace possible. A votre disposition sur l’île de la Tortue : les Quais, où le Capitaine va acheter des marchandises et réparer/améliorer le navire ; une Chapelle, où se soigner et faire lever les malédictions ; un Boudoir où… jouer aux cartes et écouter des Rumeurs bien entendu ; un Marché où acheter un meilleur équipement et enfin une Taverne, où écouter recruter des alliés et tenter de gagner quelques pièces au jeu.

Cette phase de port étant limitée dans le temps et chaque Pirate ne pouvant accomplir qu’un nombre limité d’actions, il va falloir l’aborder en sachant ce que l’on veut. Si dans les premiers temps, manque de moyens et de Prestige oblige, on n’a que très peu de choix, au fur et à mesure que la campagne avance de nouvelles possibilités s’ouvrent alors : de nombreux personnages sont là pour vous enseigner de nouvelles compétences. Comme elles valent cher et que vous ne pourrez toutes les avoir, il va vite falloir décider de l’orientation de votre Pirate, déjà fortement déterminée par sa classe.

Ce qui me permet de réaliser que je n’ai pas encore parlé du principal : les Pirates. Dans Skull Tales, vous ne dirigez pas tous le même pirate générique. Non, vous allez être l’Assassin, le Sorcier Vaudou, la Vigie, le Cuisinier ou même la Fille du Capitaine. Chaque personnage aura des compétences propres, mais aussi des caractéristiques (force, combat au corps à corps ou à distance, agilité ou perception…) différentes. Certains seront parfaits pour les gros bourrins aimant le contact, d’autres seront plus orientés matière grise. Chaque Pirate aura son propre niveau de Prestige, son équipement et ses fonds propres. Et surtout chacun pourra être le Capitaine et ainsi avoir le dernier mot et se garder la dernière ration de rhum.

La phase de port pourrait être monotone au fil des aventures si chaque lieu n’avait pas son propre deck d’événements. Vous allez donc devoir prendre des décisions qui vous permettrons de gagner (ou perdre !) du temps, de l’argent ou du prestige, rajoutant un peu de chaos à une phase qui pourrait n’être qu’une simple check-list.

Une fois tout le monde prêt, la phase de traversée débute. Les joueurs sont regroupés avec les autres membres d’équipage sur le bateau et vont devoir explorer les différentes îles sur lesquelles sont aléatoirement positionnés les différents objectifs du chapitre. Le but sera bien évidemment de trouver quelle île atteindre pour attaquer la phase de découverte. Le voyage est divisé en jours, pendant lesquels le Capitaine va affecter les groupes de marins et les joueurs aux différents postes disponibles. Ces tâches vont bien entendu fatiguer et démoraliser l’équipage qui pourra se mutiner !

Vous allez donc, comme dans un placement d’ouvriers, effectuer diverses actions : guetter, soigner les blessés, accoster sur une île pour en récupérer les esclaves (et ainsi les libérer en revenant au port de départ), nettoyer le pont et surtout faire se déplacer le bateau. Le groupe pourra aussi remplir une mission que le Capitaine aura sélectionnée lors de la phase de port. Beaucoup de choses à faire donc pendant cette phase et il faudra gérer les vivres et le moral de l’équipage pour ne pas que les choses dérapent. Tout en essayant bien entendu d’explorer au maximum les îles voisines pour récupérer du butin…

Un deck d’événements est aussi entendu là pour vous mettre de nombreux bâtons dans les voiles et vous obligera à combattre monstres marins et navires ennemis. Ces rencontres vont d’ailleurs vous permettre ce dont chaque Pirate en herbe rêve : monter à l’abordage. Ces derniers permettent une foule d’actions, avec une phase de canonnade préalable : aborder, arroser l’ennemi depuis le nid-de-pie… Des moments assez épiques bien qu’un peu longs à dérouler les premières fois.

Une fois la bonne île découverte, place à l’aventure et à l’exploration proprement dite. Chaque joueur va diriger son Pirate et son éventuel allié et tenter de survivre à l’aventure en essayant de s’en mettre au passage plein les poches. Cette phase de Dungeon Crawling est bien entendu la plus intéressante du jeu et permet d’élaborer une multitude de scénarios grâce au placement aléatoire des tuiles. Sur le livret de campagne, pour chaque aventure existe un listing des tuiles et ennemis que rencontreront les pirates. Certains événements se produiront lorsque certaines conditions seront remplies, avec à chaque fois un petit paragraphe narratif dans lequel les joueurs en apprendront plus sur l’histoire.

Le gameplay de cette phase est assez simple : les joueurs agissent en utilisant leurs points d’action, puis c’est au tour des ennemis, puis de la phase d’événement. Le temps est compté et avancera selon certains critères, ce qui obligera toujours les joueurs à progresser et ne pas procrastiner pendant des heures sur la même tuile. Les actions possibles sont classiques : fouiller une tuile, avancer, combattre au corps à corps, à distance, ouvrir une porte, insulter un ennemi (pour gagner en défense), réanimer un allié, escalader… du très classique même qui ne posera guère de difficultés aux habitués du genre. Seule la gestion des coins peut faire froncer quelques sourcils les premiers temps, mais on s’habitue vite à cette manière différente de gérer lignes de vue et déplacements.

Les combats sont nombreux pendant cette phase et les ennemis constamment en surnombre. Leur comportement est dicté par un petit tableau présent sur leur fiche et s’ils ont chacun des caractéristiques propres, il faudra vite apprendre à savoir comment reprendre l’avantage. Bien entendu, les ennemis de base sont simples à défaire mais ne rapporteront que très peu de Prestige, alors qu’accomplir certains objectifs permettra au Pirate en question. Et c’est là que l’amitié et la camaraderie vont montrer leurs limites, tout comme lorsqu’il faudra looter les corps… A noter, pour rester dans l’esprit, qu’il est tout à fait possible de faire les poches d’un Pirate inanimé – chaque personnage ayant perdu ses points de vie s’évanouit et peut être réanimé par ses camarades. Une saine ambiance de camaraderie !

Ce semi-coopératif où chacun essaie d’œuvrer pour le bien du groupe tout en essayant de se mettre en avant trouve son aboutissement dans le rôle du Capitaine, qui décide de l’ordre de jeu, tranche les désaccords et bien entendu s’occupe du bateau. C’est le rôle prestigieux que les Pirates se battront pour acquérir ! Notons qu’en solo, vous incarnerez un seul Pirate pouvant recruter des Alliés qu’il dirigera, mais qu’il devra payer.

L’argent étant le nerf de la guerre, il ne faudra jamais en tomber à court. D’une part parce qu’il est indispensable pour l’achat d’équipement mais aussi parce qu’il sert à payer les Alliés et à dédommager les Pirates ayant subi de graves blessures ou prenant leur retraite. Oui, Skull Tales lorgne énormément du côté des jeux de rôle et sa campagne, très longue, verra sûrement chaque groupe évoluer différemment. Blessures pénalisantes, Pirates endettés, bateaux à changer ou faire évoluer, nul doute qu’il n’y aura pas deux groupes qui vivront la même aventure. Et pour ceux qui, comme les rédacteurs de Dystopeek, n’ont pas d’amis, pas de panique le jeu tourne très bien en solo avec des Alliés (ou même en jouant deux Pirates à la fois).

Skull Tales est donc un bon gros gâteau formé de trois couches distinctes : il y a le glaçage avec la phase de port, la sauce barbecue avec la traversée et la farce avec la phase d’aventure (non, vous ne voulez pas être invités à manger quand je cuisine). Ce sont des phases vraiment distinctes avec chacune leurs spécificités et règles. Elles peuvent être zappées – sauf la phase d’aventure bien entendu – pour offrir à chaque groupe l’expérience la plus agréable qui soit car, comme vous pouvez vous douter, le jeu a les défauts de ses qualités.

En effet, qui dit trois modules différents dit trois livrets de règle différents. Ces règles ne sont pas bien compliquées – surtout qu’avec la deuxième édition les différentes coquilles et autres imperfections ont été corrigées – mais il faut quand même que quelqu’un les ait en tête afin d’éviter les allers-retours chronophages dans les livrets, surtout pour la phase de traversée. Il n’y a par contre qu’une aide de jeu par phase, ce qui est un peu dommage. Mais au moins elles sont claires et complètes, ce qui n’est pas toujours le cas.

Ensuite, qui dit modules différents dit énormément de mise en place et de rangement, chaque phase se jouant avec du matériel différent. Il faut donc bien préparer tout ce qui sera utile à la séance en amont et prendre l’habitude de bien ranger. A moins bien entendu d’avoir un espace de jeu pour pouvoir tout installer d’un coup et ainsi basculer d’aire de jeu. Mais j’ai comme un léger doute sur la faisabilité de la chose…

Et enfin, toujours dans ce thème de richesse de jeu : le temps de jeu pour boucler un chapitre. Entre les setups, les explications, les différentes phases, comptez un très gros après-midi, voire plus. La solution pour résoudre ces soucis serait de traiter chaque chapitre en deux sessions : une avec la phase de port et de traversée et l’autre avec la phase d’aventure, qui prendra bien entendu le plus de temps. Cela permet ainsi de ne pas soûler les moins résistants et ne gênera pas tant que ça l’immersion, les phases étant bien distinctes et le narratif n’ayant lieu que pendant la phase d’aventure.

Skull Tales est donc un très gros morceau, comme sa boîte le laisse présager. Le matériel est de qualité, avec des figurines de bonne facture et de superbes illustrations, le tout donnant envie de se plonger dans de belles aventures. Les règles ne sont pas compliquées et même si les livrets sont assez conséquents (et disponibles sur le site de l’éditeur) ils sont très détaillés et agréables à lire. Certes il faudra un maître de jeu les maîtrisant mais pour qui a déjà pratiqué ce genre de jeu, la phase d’apprentissage sera courte, sauf pour la phase de traversée, qui ne sera sûrement pas la phase préférée des joueurs.

Restera à trouver un groupe motivé et prêt à s’embarquer pour une campagne durant de très nombreuses heures et riches en situations variées. Comme en plus il est très facile de créer des scénarios, avec la variété de matériel et ennemis à disposition, il y a largement de quoi s’occuper avant l’arrivée des extensions officielles. Skull Tales est donc un jeu au thème très fort et parfaitement retranscrit, une expérience ludique intense et complète grâce à ses différentes phases et si vous avez un groupe motivé adepte de Dungeon Crawlers, n’hésitez pas !

Auteur : David Illescas

Artiste : Paco Arenas & Jaime González García

Editeur : Zacatrus, Draco Ideas

1 à 5 joueurs

de 60 à 150 minutes par chapitre

Testé sur une version presse fournie par l’éditeur

Harvester

Collectionneur compulsif et un peu trop passionné, accumule jeux et livres en essayant d'entraîner un maximum de gens dans ses vices...