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Patria, l’approche par la fiction du conflit basque

A l’occasion de son arrivée sur Canal +, j’ai décidé de vous parler aujourd’hui de mon gros coup de cœur du mois de Novembre : Patria. Cette série est l’adaptation du best-seller de Fernando Aramburu par HBO Espagne. Cette fiction offre une fenêtre sur l’impact du conflit basque au travers de l’histoire de deux familles.

Le Conte de Deux Familles

D’un côté, on a Bittori, son mari Txato et leurs deux enfants, Xabier et Nerea. De l’autre, Miren, son mari Joxian et leurs trois enfants, Arantxa, Joxe Mari et Gorka. Les deux femmes, amies de toujours, les deux maris, meilleurs amis eux aussi et les enfants qui ont tous grandi ensemble. Mais ça c’était avant. Avant que Joxe Mari, adolescent rebelle et passionné, ne rejoigne l’ETA. Avant que Txato, parce qu’il a trop tardé à s’acquitter de l’impôt révolutionnaire, devienne la cible de l’organisation armée. Mais surtout avant que ce dernier soit abattu en pleine rue, par une après-midi pluvieuse, peut-être bien par Joxe Mari lui-même.

Le récit s’étale du début des années 90 jusqu’aux mois suivants l’annonce par ETA de la fin de son action armée, en octobre 2011. Il ne suit pas l’ordre chronologique des évènements. La série s’ouvre sur l’assassinat de Txato, immédiatement suivi par Bittori visitant sa tombe, une vingtaine d’années plus tard. Elle a deux nouvelles pour lui : l’annonce de l’ETA, d’une part, mais surtout sa décision de retourner au village. Le village, quelque part près de San Sebastian, dans le pays basque espagnol. Là où elle est née et où ils ont toujours vécu, jusqu’à ce jour où ils ont assassiné Txato. Le village surtout, où les rumeurs vont bon train, mais où la chape du silence est plus forte que tout. Son retour va remuer un passé dont personne là-bas ne veut parler, surtout pas Miren.

Bittori tient dans ses bras Txato, qui vient d'être abattu
Une vision du conflit à l’échelle humaine

Patria n’est pas une rétrospective sur le conflit basque et les actions de l’ETA. Si c’est cela que vous cherchez, je vous recommande de jeter un œil à la série documentaire ETA : Le Challenge. Produite par Amazon, elle est intéressante et plutôt bien réalisée. A la place, Patria offre une vision plus intime de cette période et surtout de l’impact sur les habitants, des deux côtés du conflit. Au delà des pertes humaines, la série se penche sur les conséquences pour ceux qui restent et la fracture que ce conflit a créé au sein de la société basque elle-même.

Le point fort de la série pour moi, outre le récit lui-même, est l’ensemble des personnages. Ils sont tous nuancés et différents, chacun d’entre eux ayant eu sa propre manière de réagir aux évènements et de vivre avec. Bittori, Xabier et Nerea ont fait leur deuil de Txato de trois manières distinctes. De l’autre côté, Miren défend toujours Joxe Mari. Ce dernier purge à présent sa peine dans une prison d’Andalousie pour les actes terroristes auxquels il a pris part. Joxian, comme à son habitude, ne dit pas grand chose. Gorka a préféré partir faire sa vie à Bilbao, loin de tout ça, et ne donne que rarement des nouvelles. Et puis il y a Arantxa, qui avait pu s’éloigner un temps, mais que les épreuves de la vie ont contrainte à revenir vivre au village, chez ses parents.

Miren, Joxian et Arantxa
Le dialogue pour panser les blessures

Ce que veut Bittori, ce n’est pas de punir la famille de Joxe Mari en remuant le passé. Elle veut simplement obtenir des réponses : que s’est-il vraiment passé le jour où ils ont assassiné Txato ? Qui a réellement appuyé sur la détente ? Ces réponses, seul Joxe Mari, du fond de sa cellule, peut y répondre, car lui seul sait. En échange, elle est prête à lui accorder son pardon, s’il en fait la demande. Mais pour Miren, il est hors de question que la folle, comme elle l’appelle maintenant, se voit présenter quelque excuse que ce soit. Car sa peine à elle, qui s’en préoccupe ? Et qui demande pardon pour les tortures que Joxe Mari a subit, lorsqu’on l’a arrêté ?

Hors s’il y a bien une personne à qui Miren ne fait pas peur, c’est Arantxa. Arantxa, qui a gardé toute l’affection qu’elle avait pour la famille de Txato, avec qui elle a partagé tant de souvenirs. Malgré les actions de sa famille, elle pourrait bien être la clé pour ouvrir le dialogue entre son frère et Bittori. Mais arrivera-t-elle à aider à obtenir les réponses que la vieille dame cherche ?

Joxe Mari le poing levé devant un bus en feu
Le livre ou la série ?

Enthousiasmée que j’étais par la série, au milieu de sa diffusion, j’ai lu le livre de Fernando Aramburu, curieuse de voir les différences et la qualité de l’adaptation. Le livre a eu, il y a quelques années, un énorme succès, autant en Espagne qu’en France et dans les autres pays où il a été traduit. Malgré ses 625 pages, il se lit plutôt vite et facilement, les chapitres étant très nombreux mais assez courts. Je l’ai beaucoup aimé, même si je n’ai pas été très fan du style littéraire par moments.

Comparée au livre donc, l’adaptation en série est excellente. La quasi totalité des chapitres se voient retranscrits à l’écran dans une scène ou une autre, pas systématiquement dans le même ordre, mais toujours de manière cohérente. Les quelques scènes laissées de côté n’enlèvent pas grand chose au récit. Les dialogues sont eux aussi très fidèles à l’œuvre d’Aramburu, parfois à la lettre près.

Ajouté à ça, la série bénéficie d’un très bon casting. Le trio d’actrices Elena Irureta, Ane Gabarain et Loreto Mauleón, qui jouent respectivement Bittori, Miren et Arantxa, apportent aux personnages une profondeur supplémentaire par rapport au roman. Les autres acteurs ne sont pas en reste, leur jeu est excellent, tout du moins dans la version originale, que je ne saurais que trop recommander si elle est disponible lors de sa diffusion sur Canal +. Je ne me prononcerai pas sur le doublage français que je n’ai pas eu l’occasion d’entendre.

Bittori et Arantxa
Conclusion

Si j’ai vu pas mal de bonnes voire excellentes séries cette année, Patria restera sûrement celle qui m’aura le plus marqué. Elle arrive à traiter un sujet encore un peu délicat, même de nos jours, sans jamais tomber dans les extrêmes ou excuser les actes terroristes. Patria se focalise sur l’impact que le conflit basque a pu avoir à l’échelle de la population. Loin d’une vision manichéenne, elle propose le dialogue comme une amorce de solution aux blessures jamais refermées. Si vous êtes arrivés jusqu’ici, vous aurez compris que je recommande chaudement la série. Les deux premiers épisodes seront diffusés sur Canal + ce soir.

Miren visite Joxe Mari au parloir
« Etait-ce toi ? »

Titre original : Patria

Création : Aitor Gabilondo

Genre : Drame Historique

Acteurs principaux : Elena Irureta, Ane Gabarain, Loreto Mauleón, José Ramón Soroiz

1 saison, 8 épisodes de 60 minutes

Adapté de Patria de Fernando Aramburu (Disponible en VF chez Actes Sud, ISBN 978-2-330-13572-0)

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