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Joker ou la tragédie devenant une comédie

« Ce matin, vous êtes notre premier et sûrement notre dernier client ». Voilà comment j’ai été accueilli au cinéma lorsque je suis allé voir Joker. Il faut dire qu’un mardi matin pour voir un film en VOST, ce n’était pas gagné pour avoir du monde. Heureusement ou malheureusement, il y a eu quelques spectateurs pour participer à cette projection.

Même si cela peut sembler évident, la critique va être remplie des éléments d’intrigue, de révélations et de réflexions sur le film. La lecture peut s’arrêter dès maintenant pour ceux et celles qui ne veulent pas en savoir plus sans l’avoir vu et aller à la conclusion pour un avis sans révélations.

Une tragicomédie en mode vintage ?

Arthur, tu as une vie de merde. Compris ?

Le pitch du film : on suit la vie pas si rose d’Arthur Fleck qui a un léger handicap consistant à rire quand il est dans une situation de stress. Pas facile de s’intégrer socialement avec ce genre de particularité. Il vit avec sa mère malade et bosse en tant que Clown pour une entreprise de, je vous le donne en mille, de clowns incluant animations et spectacles pour enfant. Il vit dans un immeuble miteux et rêve de devenir comique. Son petit rituel du soir est de regarder l’émission de Murray Franklin avec sa mère.

Le film se déroule dans les années 80 au moment de la grève des éboueurs à Gotham City. Thomas Wayne brigue la mairie et la ville ressemble fortement au New York de Taxi Driver. Tout est mis en place pour dépeindre un monde grisâtre et morose, ce que le film ne dément jamais au fil de son déroulé. Tout se drape dans la tragédie et même les blagues sur les nains ne font pas sourire, encore moins la dernière.

Mais pourquoi parler de tragicomédie alors ? Vous ne comprendriez pas.

Joker : mensonge ou vérité ?

Qui est qui ?

Ayant lu pas mal de critiques interprétant le film en long, en large et en travers pour y trouver le moindre sens caché, je ne me suis retrouvé dans aucune d’elle parce qu’à mon sens, elles ont cherché des réponses où il n’y en a pas besoin. Le film est suffisamment limpide et explicite (voire trop, mais j’y reviendrai plus bas) pour ne pas avoir besoin de ce travail de décorticage de la moindre image, de la petite phrase qui va faire dire que ceci est vrai ou faux.

C’est avant tout l’histoire d’un homme malade sur le plan mental, qui va voir sa vie se déconstruire petit à petit et ses rêves se briser totalement à force de révélations et de vérités, cachées ou non. Arthur est un loser et finalement, il le restera jusqu’à la fin. Sa transformation en Joker est une libération pour lui puisqu’il n’est plus « Happy », il dévient ce personnage qui ne cherche plus à faire rire les autres puisqu’ils ne le comprennent pas. Il embrasse totalement sa folie et devient le symbole d’une lutte qu’il ne comprend pas. Il s’en fout totalement, mais prend la lumière que ses actions lui offrent.

La narration du Joker oscille en permanence entre les mensonges d’Arthur et la vérité du monde. C’est l’une des grandes forces du film, ne pas donner toutes les clés.

Le meilleur choix : Joaquin ou Phoenix ?

Je crois que je l’ai …….. le sourire.

Petite aparté : certains ne s’en souviennent peut être pas, mais chez les Phoenix, ce n’est pas Joaquin qui était promis à une très grande carrière d’acteur, ni sa sœur Summer, mais son frère River. Décédé tragiquement à l’âge de 23 ans, on ne sera jamais si ses débuts plus que prometteurs lui auraient permis de construire la carrière promise (je conseille de voir l’excellent My Own Private Idaho). Tout ça pour dire que Joaquin Phoenix a remercié son frère de l’avoir poussé à devenir acteur et il a eu raison. Joaquin Phoenix s’est construit une carrière éclectique et loin des films de super héros alors le voir incarner Joker aurait pu sembler étonnant, si le film s’était contenté de n’être qu’une énième film de DC cherchant à faire mieux que Marvel.

Concernant les différents acteurs qui ont campé le joker, je ne considère pas que Jack Nicholson (qui en fait des tonnes dans le film de Burton) et Heath Ledger (qui en fait moins dans le pas si génial The Dark Knight) soient des Joker indéboulonnables donc une nouvelle version me convenait parfaitement. J’ai volontairement omis la version de l’infâme Suicide Squad campé par Jared Leto tant elle ressemble à rien et celle Mark Hamill parce qu’il n’est que la voix et un rire (pardon Mark, mais tu resteras toujours Luke pour moi).

Dire que Joaquin Phoenix campe un Joker parfait, c’est oublier qu’il campe aussi et surtout un Arthur Fleck impeccable. Pour l’avoir vu en VOST (je conseille très fortement de le faire), il arrive à tenir son personnage sans en faire des tonnes. Il est toujours dans le ton, même dans les occasions où le surjeu serait la facilité, notamment quand le Joker prend la place ou de tomber dans une forme de pathos avec les déboires d’Arthur. Il est le personnage et impressionne par sa présence.

Je pourrais parler de la performance physique puisqu’il a perdu beaucoup de poids et ça se voit dans le film puisqu’il est régulièrement torse nu, mais est ce vraiment le plus important ? Je ne le pense pas et le fait de le voir torse nu participe, selon moi, plus à montrer le personnage ne se cachant plus derrière un costume que de voir les côtes de l’acteur.

Un réalisateur qui passe de la gueule de bois à chauffeur de Taxi.

Moi voyant le nom de Todd Phillips à la réalisation.

Very Bad Trip est, pour moi, une sombre bouse et je n’ai jamais vu ses suites. Alors quand j’apprends que le réalisateur de cette trilogie veut réaliser un film sur le Joker, je prends carrément peur même si Joaquin Phoenix est affilié au projet et que l’univers se veut sombre…

Todd Phillips s’est grandement inspiré du travail de Martin Scorsese et le voir parler cinéma avant le début du film m’a fait sourire, mais ce n’est pas le propos. Gotham City est une New York revisitée et elle en appelle souvent à Taxi Driver (que j’ai trouvé un peu vain, mais c’est culte alors chut). Le choix de Robert de Niro en animateur de Talk Show n’est pas anodin puisqu’il convoque King of Comedy ou la Valse des pantins en français où le personnage de Robert de Niro convoite la place qui est désormais la sienne. Je ne pourrais pas en dire plus vu que je n’ai pas vu le film précédemment cité.

Todd Phillips réussit son pari et montre qu’il sait raconter une histoire, tenir son film de bout en bout sans tomber dans la comédie graveleuse et bas du front. J’espère le revoir à l’oeuvre dans un film du même genre.

Joker : grandes qualités, menus défauts

Joker est un film marquant et marqué par la performance de Joaquin Phoenix (il mérite l’Oscar), mais c’est aussi un film bien construit avec une réalisation solide. Et pourtant, il a, pour moi, deux défauts non rédhibitoires, mais importants, à savoir sa musique et quelques plans inutiles.

En premier lieu, la musique est réussie dans l’ensemble tant elle appuie le propos et fait bien passer le message. Il n’y a pas de défaut alors ? Pour moi, elle est beaucoup trop appuyée et trop souvent alors que la scène suffit à rendre l’ensemble explicite. J’ai été dérangé par cette musique forte qui me dit : regarde c’est important, regarde bien. Merci, je l’avais deviné.

En second lieu, les plans inutiles qui expliquent au spectateur que je suis, ce que j’avais déjà compris. Je pense notamment au moment où Arthur se trompe d’appartement. La réaction de la voisine suffit à comprendre qu’une bonne partie de ce que l’on a vu avant est dans l’imagination d’Arthur, mais le réalisateur se sent obligé de nous le montrer. Pas besoin et c’est même encore plus fort parce qu’en tant que spectateur, je n’ai pas besoin que tu me le montres, ma mémoire a fait le boulot avant toi.

Une charge politique ?

Je vais aller à contre courant de la plupart des critiques qui veulent y voir une charge politique incarnée par le Joker. Dire qu’elle n’est pas présente serait mentir, mais dans ce cas, il faut ne la voir qu’en filigrane dans le film pas comme au premier plan sinon c’est quand même très manichéen : les méchants riches contre les gentils pauvres.

Pour ceux et celles qui pensent que Joker (le personnage) la personnifie, je ne peux aller dans ce sens puisque le personnage lui-même dit qu’il s’en fout et n’est pas politisé. Il ne s’en sert que pour profiter de la lumière portée sur lui et induite par son action dans le métro. En aucun cas, il ne se sent porte-parole de quelque chose et même si son monologue de fin peut induire le contraire, il est plus à voir comme une justification de ses actes aux yeux du public et des caméras qu’autre chose. Il n’est pas encore tout à fait le Joker dans son entièreté.

Les clins d’oeil à Batman

Il a l’air accueillant cet hôpital.

Difficile de parler du Joker sans parler de son alter ego et le film fait plusieurs fois références à la famille Wayne. Elle est intégrée de façon intéressante dans l’histoire et je ne trouve pas que Thomas Wayne soit décrit comme un salaud. L’asile d’Arkham est présenté rapidement avec une belle fin. Rien ne m’a semblé forcé pour faire plaisir aux fans du chevalier noir.

Conclusion

J’ai réussi à tous les éclipser.

Projet casse gueule avec un réalisateur pas forcément légitime pour le ton du film, une volonté de film tragique et expliquer l’ascension du plus grand méchant de Batman sans le rendre antipathique ou au contraire sympathique relevait de la gageure. Le pari est réussi avec un réalisateur solide, une interprétation exceptionnelle de Joaquin Phoenix et un travail d’équilibriste remarquable pour ne pas tomber dans le travers de l’anti-héros d’un côté ou le méchant très méchant de l’autre. Arthur Fleck devenu Joker est un personnage qui suit sa propre logique et j’espère qu’il n’y aura jamais de suite tant le film se suffit à lui-même.

Machiavel

Toujours à l'affût de ce qui peut piquer ma curiosité, peu importe le domaine avec une légère préférence pour les jeux vidéo, le cinéma, la littérature, les séries TV, les jeux de société, la musique, la gastronomie, les boissons alcoolisées et quelques autres petites choses . Ma curiosité est telle le tonneau des danaïdes, sans fond.