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Radio Commander

S’il y a un sujet qui s’est vu représenté sous toutes les coutures dans les jeux vidéo, c’est bien la guerre, qu’elle soit passée, contemporaine ou future. Entre les jeux de stratégie, les shooters, les jeux de gestion, en tour par tour ou en temps réel, il devient difficile de ne pas trouver un conflit qu’on ne peut s’amuser à rejouer. Ça doit d’ailleurs bien faire plaisir aux victimes que leurs souffrances soient aujourd’hui source de fun.

La guerre du Vietnam est un sujet déjà abordé à de nombreuses reprises, mais reste tout de même moins saturé de simulations que la seconde guerre mondiale. Le fait que ce soit une défaite pour l’armée des USA doit jouer. C’est pourtant ce conflit qui a marqué une génération de GIs et transformé le pays où il s’est déroulé (et dont les séquelles des exactions et autres armes chimiques utilisées sont encore visibles aujourd’hui) qui sert de décor à Radio Commander.

On va traverser une courte période de cette guerre qui (pour schématiser) opposa les communistes du Nord aux républicains du Sud durant près de 20 ans (et qui découle directement de la fin chaotique de la colonisation française dans cette région qu’on appelait l’Indochine) sous la forme de missions dans ce jeu de stratégie en temps réel.

Si nous sommes maintenant habitués à déplacer de petits pions sur une carte, nous donnant un recul rassurant sur la violence des affrontements, Radio Commander, comme son nom le divulgâche, nous pose sur les oreilles les écouteurs d’un coordinateur radio chargé de donner des ordres aux troufions qui laisseront leur vie, leur santé mentale et leur âme à crapahuter dans la jungle humide et hostile.

Tout passe donc par des dialogues entre notre personnage, à l’abri dans sa base retranchée, et les platoons envoyées débusquer du Vietcong. On va devoir, au gré des rapports et déplacements, pousser ses petits pions soi-même sur la carte, tracer des traits et essayer de suivre ce qu’il se passe sur le terrain sans aucune information visuelle.

Suivant un système simple, on demande aux unités leur statut ou leur position, on leur ordonne de se rendre à des coordonnées précises, d’engager l’ennemi ou de battre en retraite. Ensuite, elles feront de leur mieux pour s’exécuter ou nous informeront de l’impossibilité pour elles d’obéir.

On passera du temps à attendre qu’elles daignent bien nous donner des nouvelles, en espérant qu’elles soient toujours vivantes (mais vu que leur perte signifie l’échec de la mission, on est vite au courant si ce n’est pas le cas). On enverra aussi des hélicoptères faire du transport ou du soutien aérien, on déclenchera des tirs d’artillerie longue distance pour briser les lignes ennemies et on tracera des plans sur la carte pour mieux tout effacer au premier rapport paniqué de nos hommes.

L’idée est excellente ; tout étant axé autour de la communication, la précision relative des informations nous plonge dans une incertitude permanente et on s’adapte comme on peut aux nouvelles qui nous parviennent.

Mais Radio Commander souffre de deux principaux défauts, liés à sa nature de jeu vidéo : le premier, c’est que tout passe par des phrases prédéfinies qui deviennent vite répétitives, brisant l’immersion et ralentissant les opérations sans atteindre l’objectif de rendre les parties dynamiques et réalistes. On passe du coup pas mal de temps à mettre en avance rapide pour en réduire l’impact mais c’est tout de même un sacré coup de canif dans le contrat.

Tous ces dialogues sont doublés par des acteurs de très bonne facture, mais chaque phrase n’a été enregistrée qu’une fois et on a vite l’impression d’appeler l’horloge parlante (dédicace aux vieux croulants qui voient de quoi je parle) lorsque sont énumérées les coordonnées (ou les chiffres en règle générale).

Le second, c’est que les missions sont lourdement scriptées. Certaines conditions doivent être remplies pour que se déclenchent des dialogues faisant progresser le scénario vers de nouveaux objectifs ou débloquant de nouvelles unités. Le jeu restant volontairement vague dans ses briefings, on peut rater l’endroit à atteindre ou l’action à effectuer. Se retrouver à tourner en rond pendant qu’il patiente sagement, se contentant de faire tourner l’horloge sans nous indiquer ce qu’il attend de nous n’est pas des plus immersif.

Ces situations sont rares, mais à nouveau elles viennent nous rappeler qu’on est dans un jeu vidéo, alors que tout le reste (direction artistique, interface, scénario…) tente de nous faire ressentir le délicat travail de coordination qu’impliquait la guerre du Vietnam et les moyens technologiques de l’époque.

Les cinématiques d’introduction de chaque mission sont très réussies, rappelant la situation de l’époque aux USA, entre manifestations, émancipations et lutte pour les droits individuels. Le racisme latent de certains personnages transparait dans les dialogues de mission, l’éloignement familial des proches restés à la maison et l’horreur du napalm sur les populations civiles n’est pas occulté.

J’irais jusqu’à dire que le message de Radio Commander est anti-guerre comme le sont Apocalypse Now ou Full Metal Jacket. En se plaçant au niveau de ceux qui tenaient le fusil entre leurs mains et qui tentaient de tenir le coup psychologiquement en trouvant réconfort dans les bras de la population locale et la drogue, le jeu s’intéresse aussi à l’impact de la guerre au quotidien.

Les graphismes se contentent du minimum pour rester crédibles, mais puisqu’on ne voit que ce qui entoure notre chaise et notre bureau, cela suffit largement à servir le propos du jeu. L’ambiance sonore se fait discrète (au delà des voix qui comme dit plus haut sont très bonnes bien que mal intégrées au gameplay) et aurait gagné à être plus marquante.

Un mot sur la traduction française, disponible dès la sortie : pas grand chose à lui reprocher, à part d’être un peu basique, littérale et finalement pas intégrée au jeu. Je suis rapidement repassé en version anglaise afin que les abréviations correspondent à celles énoncées vocalement (car chacun sait que les militaires abusent des abréviations et acronymes, à croire qu’utiliser trop de mots soit au-delà de leurs capacités) et pour être sûr de ne pas rater un objectif par la faute d’une traduction bâclée (étant quasi-sûr que c’est ce qui m’est arrivé lors d’une mission).

Radio Commander est développé par Serious Sim, studio polonais au nom particulièrement bien trouvé et composé de quatre férus d’histoire et de stratégie (aidés par divers développeurs / artistes indépendants sur ce projet). Il semble que cela soit leur premier jeu et ça rend le résultat d’autant plus intéressant et prometteur au sujet de leurs productions futures.

J’ai envie d’encourager ce genre de projet, tentant de nouvelles approches d’un genre dont on a déjà fait plusieurs milliers de fois le tour. Des corrections sortent régulièrement depuis la sortie, les développeurs sont demandeurs et réactifs sur les forums Steam et on sent qu’il ne leur aura manqué qu’un peu de moyens pour approfondir le réalisme de la simulation et gommer ses redondances pénibles.

L’unique campagne disponible est pour l’heure le seul intérêt du jeu, le mode escarmouche proposé n’apporte pas grand chose et ne tire pas vraiment parti du concept. Vendu à un tarif raisonnable au vu de sa durée de vie correcte, il mérite l’attention des amateurs de stratégie qui devront rester conscients de ses limites encore bien présentes.

Genre : Stratégie Temps Réel

Site officiel

Développeur : Serious Sim

Éditeur : Game Operators

Plateforme : Steam

Prix : environ 17€

Date de sortie : 10 octobre 2019

Ruvon

Chaologue pas encore retraité, traître renommé, survivant accompli. Mon domaine, c'est le jeu vidéo, du FPS hardcore au point&click niais, et depuis toujours amoureux du tour-par-tour.