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Anachronox

Sorti en 2001 sur PC, Anachronox avait jusqu’ici fait partie des jeux que je n’avais jamais vraiment calculés, au point que je le confondais généralement avec Nox, l’action-RPG de Westwood sorti à la même époque. Ce n’est que récemment, en apprenant qu’il avait la réputation d’être « le Chrono Trigger du PC », que ça a piqué ma curiosité au point de le placer en haut de ma wishlist. On le dit très inspiré par les premiers JRPG arrivés aux USA, Chrono Trigger ou Final Fantasy, mais est-il vraiment à leur niveau ? Rappelons que cette création est l’œuvre de Tom « Doom » Hall, embarqué par John Romero chez Ion Storm Dallas pendant que ce dernier se perdait dans un certain Daikatana.

Un premier excellent point est que le jeu dans sa version commerciale Steam/Gog tourne parfaitement bien sur le PC le plus récent. Tout ce dont il a besoin est un petit widescreen fix, disponible ici  https://www.moddb.com/games/anachronox/downloads/anachronox-widescreen-fix, qui l’adaptera aux moniteurs modernes sans hoquet et, en prime, concourt à lutter contre le vieillissement des graphismes. En effet, le jeu tourne sous le moteur de Quake II, qui était particulièrement vieillissant en 2001, encore plus sur PC (Final Fantasy X sort au même moment). Les personnages sont modélisés le plus finement possible, les décors sont généralement agréables sauf les réseaux souterrains généralement très primaires et sans textures. Les décennies permettent de lisser un peu ce décalage dont le jeu, qui cumulait trois ans de retard à sa sortie, a beaucoup souffert.

De plus, la maniabilité au clavier-souris vieillit assez bien, le personnage se dirige en ZQSD, utilise un ou deux raccourcis clavier, et on dirige dans le même mouvement un curseur à l’écran à l’aide de la souris. C’est simple, fluide et assez efficace. Seuls les menus ne sont pas toujours très pratiques.

L’aventure se déroule dans un futur de science-fiction qui commence en mode polar cyberpunk avant de prendre d’autres détours. Notre héros, « Sly » Boots, réunit tous les clichés classiques du privé paumé et fauché. Après un bon passage à tabac dans son propre bureau – en fait le débarras d’un bar des bas-fonds – par le nervi du caïd du coin, le voilà en quête de boulot pour payer sa montagne de dettes, un boulot qui va évidemment le mener beaucoup plus loin qu’il ne le pensait.

Et effectivement, on retrouve un grand nombre d’éléments et de codes inspirés de Final Fantasy VII ou VIII : Anachronox est une aventure très linéaire, dont le monde s’ouvre petit à petit ; notre personnage principal, au départ seul, va être peu à peu rejoint par des compagnons (six au total dont deux à la fois accompagnent le héros) beaucoup moins premier degré que Boots, et souvent même franchement loufoques. Comme dans un JRPG, la feuille de stats est décidée automatiquement pour chaque perso, de même que la montée en niveau, et seul l’équipement permet de varier quelque peu les choses. Chaque personnage possède également un skill unique qu’il peut utiliser de manière contextuelle hors combat ; par exemple Boots peut crocheter certaines serrures ; ce skill s’utilise via un mini-jeu souvent assez délirant.

Comme dans un JRPG, des petites bestioles bizarres mi-mignonnes mi-moches servent de points de sauvegarde. Comme dans un JRPG, les personnages ne parlent que pendant les « grandes » scènes cinématiques ; le reste des interactions se fait avec des blocs bleus remplis de texte. Comme dans un JRPG, les scénaristes se sont attachés à mélanger de façon très ingénue le comique loufoque, l’action sérieuse et l’émotion parfois dramatique. La séquence d’introduction donne d’ailleurs le ton en se voulant très cinématographique et mise en scène, multipliant les angles de caméra et les points de vue. Dans un paysage du RPG PC dominé alors par la 3D « isométrique », un tel choix détonnait.

Et comme dans un Final Fantasy, le système de combat reprend dans les grandes lignes l’Active Time Battle. Inutile de le décrire en particulier, c’est la même chose. Disons simplement que chaque personnage dispose également de skills particuliers qu’il faudra apprendre au fil du jeu et qui ont leur jauge en combat ; il y a un système de « magie » qui apparaît au tiers du jeu ; et bien entendu tout l’inventaire classique de buffs et de protections contre les effets. Toujours dans cette volonté de faire Final Fantasy, les skills des personnages déclenchent des animations qui peuvent être extrêmement spectaculaires et impressionnantes.

Bien que moyennement profond, ce système serait très sympathique si malheureusement, à force de vouloir faire cinéma, il ne s’était doté d’une caméra adepte du cocktail amphets-coke. Virevoletante et inarrêtable, elle finit par donner la nausée, et, plus grave, elle rend parfois l’action illisible quand on ne voit plus la cible à sélectionner ou l’emplacement de combat que l’on veut rejoindre. Cette mise en scène rallonge aussi considérablement la durée des combats qui en deviennent interminables relativement à leur intérêt réel.

En revanche, et c’est une différence majeure avec les jeux japonais, nous n’aurons pas dans Anachronox les milliards de combats aléatoires qui sont la tare du JRPG depuis toujours. Les combats sont même relativement peu nombreux ; il sera fréquent de n’en pas avoir plus de 5 ou 6 dans un donjon, et même d’avoir des séquences entières tenant plus du point & click que du RPG. Ces combats sont toujours disposés sur des points fixes ; simplement, les ennemis respawnent à chaque rechargement de donjon, ce qui rend un peu plus fastidieux les allers-retours pour aller y chercher les divers secrets. En bonus, ils sont codés avec un level scaling qui inclut les points de vie et les dégâts, mais pas les récompenses: oubliez le grinding.

De toute façon, en difficulté moyenne, Anachronox est stupéfiant de facilité. On roule sur absolument tout de la première à la dernière minute, sans forcer, sans une seule mort, en consommant à peine les items. J’ai même renoncé à comprendre le fonctionnement de l’arme customisable du jeu, appelée Elementor, dont l’emploi est laissé délibérément vague, à la japonaise. Un seul combat a été… plus pénible et fastidieux que difficile, à dire vrai : le tout dernier. Jouez directement en difficile.

Dans l’ensemble, le scénario se laisse bien suivre en explorant un univers plutôt vaste et riche pour l’époque. Les spécialistes du FPS savent que Tom Hall avait signé pour Doom une énorme bible de plusieurs centaines de pages, que Carmack et Romero ont jetée à la poubelle au profit d’une expérience très arcade. Eh bien Hall a récidivé, écrivant plusieurs centaines de pages pour décrire son monde d’Anachronox, dont seule une portion apparaît vraisemblablement en jeu. Dans son inspiration nippone, Ion Storm a fait preuve d’une certaine liberté créative. Certaines situations sont convenues, mais les petites surprises, les idées originales, dont certaines très barrées, vont se succéder tout au long du jeu, renouvelant l’attention et contribuant à faire d’Anachronox une aventure unique.

C’est le moment de répondre à la question du début : non, Anachronox est loin d’avoir la densité et la complexité narrative de Chrono Trigger. En revanche, il peut sans peine passer pour un clone occidentalisé allégé d’un Final Fantasy. Oui, occidentalisé car bien sûr, le jeu ne peut cacher malgré tout ses origines américaines. Boots par exemple emploie le langage imagé typique d’un fils d’Oncle Sam, et les autres personnages ont également de la réplique plaisante. On ne retrouve pas non plus la naïveté shônen qui permettra à nos héros de triompher grâce au Pouvoir de l’Amitié(tm), le ton est beaucoup plus adulte, nos persos ont parfois de sacrés griefs les uns envers les autres, mais le tout est malgré tout traité sans cynisme et c’est un vrai esprit de groupe qui les soudera.

Mais surtout, le jeu souffre de deux énormes défauts.

Le premier, c’est que l’histoire peine horriblement à décoller, échoue à poser rapidement et clairement ses enjeux, au point que lorsqu’elle atteint sa vitesse de croisière, on ne s’en est pas rendu compte et on croit encore être au début. Ce n’est qu’au milieu de l’aventure qu’on se sentira réellement investi de sa mission. Pire encore, le rythme est heurté par quelques séquences de pure digression.

Le second et peut-être à mes yeux le pire, c’est que pour un jeu qui se veut très cinématographique et mis en scène, la musique est désespérément PLATE. Quand elle n’est pas parfois absente alors qu’on aurait bien besoin d’elle. Ce n’est vraiment pas anodin – on sous-estime énormément l’impact de la musique dans le jeu vidéo. Que seraient Chrono Trigger et Final Fantasy sans les symphonies fabuleuses et les thèmes hyper marquants de Uematsu ? Or de Uematsu il n’y a point dans Anachronox. Cette bande sonore insipide tue dans l’oeuf toute dimension épique, toute sensation de grande aventure, toute émotion, toute ambiance.

Ajoutons à cela certains bugs et une grande quantité de contenu coupé : il semble que 40% de ce qui était prévu a dû être supprimé… et qu’Anachronox aurait dû être une trilogie, évidemment abandonnée après l’échec du premier jeu. (L’aventure se boucle en 35 heures.) Sérieusement, designers : arrêtez de vouloir sérialiser vos jeux, l’industrie n’est absolument pas adaptée à ça, faire un jeu, en 2001 ou en 2022, est une usine à gaz horriblement complexe et beaucoup trop dépendante de l’aléa commercial. En conclusion, Anachronox n’est pas un jeu de rôles désagréable, mais il n’est pas non plus un titre que je recommanderais aujourd’hui, on est loin d’un indispensable ou d’un classique à redécouvrir. Son principal intérêt est historique, celui d’être un pastiche presque réussi mais à qui il a manqué un poil de moyens pour être à la hauteur de ses ambitions.

Genre : Jeu de rôles

Développeur : Ion Storm Dallas

Editeur : Eidos

Plate-formes : Steam, GOG