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The Invisible Hand

Comme un trader abandonné

Qui n’a jamais rêvé de vivre la vie du financier Jordan Berlfort, le “Loup de Wall-Street”, rendu célèbre par le film éponyme ? Voyez plutôt : des millions qui pleuvent, de la coke à ne plus savoir par où en sniffer et Martin Scorsese qui fait un film sur vous ! Les gagne-petit apeurés par la réussite ne retiendront que les 22 mois en prison. Un bien faible prix à payer pour pouvoir être incarné par DiCaprio. 

The Invisible Hand entend nous faire goûter à l’euphorie du plus beau métier du monde : trader. Après un bref test éthico-judiciaire destiné à mesurer notre degré de compatibilité avec les valeurs de Ferios (dénonceriez-vous une société qui vous contacte pour dissimuler ses bénéfices ?), nous voilà prêt pour le fauteuil à roulette de trader junior. Un bureau gris à faire passer la Poste de Moissy-sur-Seine pour Disneyland, des collègues aux dégaines identiques et impersonnelles : il faut évidemment voir là un résultat des moyens modestes de production. Mais cette austérité participe aussi au comique du jeu. On saisit l’essence absurde du métier en voyant ces pauvres hères livides, aux visages figés, s’activer au milieu de graphiques qui montent et descendent. 

Le jeu est découpé en journées, qui contiennent chacune leur événement d’actualité : une demande exceptionnelle de café, une guerre, des rumeurs sur une entreprise… Une nouvelle principale rythme le gros gain du jour, mais d’autres opportunités de faire de l’argent se présentent, sous la forme d’un fil Twitter de rumeurs dont le nombre de likes indique la fiabilité. Et qui expirent assez vite, obligeant à être réactif. Un abonnement presse permet également d’acheter des tuyaux. Des mouvements sociaux dans un pays du sud font office de fil rouge scénaristique, jusqu’à notre inéluctable procès final.

Pendant une journée chronométrée, il s’agit d’investir son cash disponible sur les titres appelés à monter en valeur (long), ou de parier à la baisse sur ceux dont on anticipe l’effondrement (short). Un petit défi quotidien anime la journée (gagner 1 million en investissant sur un secteur particulier) et l’actualité changeante peut salement nuire au portefeuille. Par exemple si on rate cette dépêche signalant une révolte des ramasseurs de café, ces tire-au-flanc. La possibilité de boire du thé, pour ralentir le temps, est bienvenue.

Au moment où on commence à prendre ses marques, à aimer faire de l’argent, The Invisible Hand nous fait comprendre que le voyage aura une fin, qui va couper court à nos envies de spéculer tranquille et d’accumuler les bienes virtuels. N’y venez pas, donc, si vous voulez profiter d’une véritable simulation de trading sans limites. Hors des transactions principales scénarisées, la marge de manœuvre n’est pas énorme. Les créateurs tirent donc le rideau une fois toutes leurs idées de situations épuisées, ce qui n’est pas plus mal vu le potentiel répétitif. 

The Invisible Hand est une satire un peu fauchée, mais bien pensée. L’interface, simple, permet de toucher du doigt l’aspect addictif de la spéculation cynique, l’esprit critique en plus. Surtout, il sait rendre abordable les mécaniques, supposées complexes, du trading. À tel point qu’il ne paraît pas du tout absurde de le faire jouer à des étudiants en commerce qui envisagent ce métier. Pour les sauver tant qu’il est encore temps. 

The Invisible Hand

Développeur : Power Struggle (France)

Éditeur : Fellow Traveller

Sortie : 7 mai 2021

11€

Testé sur une version presse fournie par l’éditeur

Bofang

J'écris pour justifier le temps perdu à jouer pendant que d'autres montent des start-up.