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L’Escadron Romantique

Une chose m’a toujours fasciné chez les chercheurs et universitaires : leur capacité à trouver des sujets d’ouvrage, thèse ou mémoire pour le moins… originaux. Que ce soit l’héraldique des chevaliers lituaniens au XIIIème siècle ou la recherche d’une énergie propre basée sur les déjections canines, on peut dire qu’en grattant un peu on trouve un ouvrage sur absolument tout. Donc quand Alexis Rousselot, aka Ajcrou sur les forums de Canard PC, m’a parlé de son premier travail majeur, L’Escadron Romantique, qui est la traduction annotée des carnets de Corrado Ricci, un pilote de chasse italien ayant servi pendant la campagne d’Afrique Orientale entre 1940 et 1941, je n’ai pas été spécialement surpris. Pensez-vous, le bougre écrit régulièrement pour Aéro Journal et tient le très sérieux aviationaoi.com.

Si les opérations en Afrique du Nord mettant aux prises les Allemands et leurs alliés Italiens aux Britanniques épaulés par leur Empire et l’Afrique du Sud ne me sont pas inconnues, loin de là, j’avoue humblement que la guerre qu’a livrée Corrado Ricci m’est totalement étrangère. Très peu d’ouvrages ont été mis en avant pour cette période et honnêtement, les enjeux stratégiques sont bien loin de ceux auxquels nous sommes habitués avec le Front de l’Est et celui de l’Ouest. Théâtre d’opérations mineur s’il en est, mémoires d’un officier d’une nation qui n’a guère brillé pendant la deuxième guerre mondiale, notre jeune auteur s’aventurait sur un terrain très sablonneux avec L’Escadron Romantique. Et heureusement pour lui, et nous par la même occasion, il s’en sort admirablement bien et nous propose une tranche de vie d’un homme qui s’est battu avec passion pour son pays.

Si traduire les carnets de Ricci a dû représenter un travail conséquent, Alexis ne s’est pas pour autant contenté de cela. L’Escadron Romantique débute en effet par une longue introduction permettant d’une part de présenter ce théâtre d’opérations quasi-inconnu, tant géographiquement que géopolitiquement, et surtout d’expliquer ses enjeux. Pourquoi les Italiens ont-ils accordé une quelconque attention à ce désert hostile ? Et quel était l’intérêt des Britanniques, et des Sud-Africains, d’aller les en déloger ? Autant de questions, parmi d’autres, qui trouvent une réponse convaincante dans le travail de recherche d’Alexis qui n’hésite pas à mettre à mal de vieilles théories en appuyant ses propos sur de profondes recherches dans les archives. Le lecteur sent que la plume est passionnée mais objective et découvre avec intérêt les forces en présence ainsi que leurs maigres moyens. Il est évident que la campagne s’est jouée à un tout autre niveau que ce à quoi nous sommes habitués, mais cela n’enlève bien entendu rien quant à l’intérêt de ces tranches de vie. Car une fois la présentation historique bouclée, nous sommes lancés dans le bain avec les carnets de cet officier au style si direct.

Pas de tournures de style imbuvables, pas de blabla inutile, Corrado Ricci tenait un journal personnel et y couchait donc des pensées personnelles. Il analyse, tout au long du récit, les enjeux de cette campagne et donne de nombreux détails sur l’état du front et des troupes italiennes en particulier, pointant sans ménagement la faiblesse du commandement et de l’équipement. Ses pensées vont des indigènes à ses hommes, il décrit son quotidien comme les spécificités de la vie en Afrique, brossant un tableau vivant et facile à se représenter. Mais tout ceci mis à part (et étant tout de même d’une grande importance), ce qui nous intéresse le plus dans ses mémoires ce sont bien entendu les récits de combats. Que ce soit les patrouilles, les interceptions de nuit ou encore le bombardement de positions britanniques, tous les événements auxquels participe Ricci sont soigneusement décrits. Le style direct de l’auteur renforce l’impression d’être dans le cockpit avec lui et les pages défilent à toute allure. On rage avec lui quand il peste contre la vétusté de ses appareils, on salue la bravoure et la chevalerie dont font preuve ces combattants du ciel et on découvre avec plaisir ses petites anecdotes. En un mot comme en cent, on est happé par le récit et lorsque le pilote retrouve enfin son pays natal après de nombreuses péripéties, on ne peut qu’être soulagé.

Là où le lecteur se rend compte de l’investissement d’Alexis Rousselot, c’est que ce dernier a, pour chaque affrontement mentionné par Ricci, été fouiller les archives, tant italiennes que britanniques, pour retrouver les dates exactes et les informations notées dans les journaux des unités. Cela permet, malgré un côté parfois un peu aride, d’une part de s’assurer de la véracité des dires du pilote italien, et d’autre part d’avoir plus de renseignements que la vue forcément fragmentaire de Ricci.

Cette chronique sur un ouvrage aussi surprenant que captivant ne serait pas complète sans des remarques d’ordre technique. S’il n’y a rien à redire sur le style de l’auteur, fluide et concis, c’est au point de vue technique qu’il y a quelques points à améliorer. Tout d’abord sur la mise en page, avec une pagination parfois étrange, des annotations de bas de page prenant toute la page, du texte se promenant en bout de ligne et de nombreuses coquilles. Ensuite, je pense qu’il y a un manque certain de photographies (même si je me doute qu’elles ne sont pas faciles à obtenir), ne serait-ce que pour savoir à quoi ressemblent les avions décrits sans avoir à chercher sur Internet. Quelques cartes de plus, insérées lorsque Ricci change d’aérodrome, permettraient aussi de mieux se représenter l’évolution du front. Rien de bien grave cependant, on voit que l’auteur s’est débrouillé par lui-même et n’a pas bénéficié des services d’un éditeur, ce qu’on lui espère pour le prochain !

Soyons honnête, le sujet n’intéressera pas grand monde à part quelques passionnés d’aviation ou des curieux. C’est dommage car l’Escadron Romantique est un ouvrage accessible et rythmé, qui présente des événements quasiment inconnus qui ont coûté la vie à de nombreux soldats, avec un point de vue italien sous-représenté dans cette littérature. Malgré quelques petits défauts de jeunesse, je vous recommande donc cet ouvrage, peut-être éveillera-t-il en vous l’envie d’en savoir plus sur ces mémoires des guerres oubliées, auxquels l’auteur semble porter un grand amour.

ISBN : 9782491312022

Copyright : Alexis Rousselot

Édition : Première édition

Éditeur : Mémoires des Guerres Oubliées

Publié le 10 septembre 2019

340 pages

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Collectionneur compulsif et un peu trop passionné, accumule jeux et livres en essayant d'entraîner un maximum de gens dans ses vices...