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Preview: Operation Overlord

Je vous en parlais très brièvement il y a quelques semaines dans mon compte-rendu de la Convention du Roi de Rome de Rambouillet et ça y est, à l’occasion d’un déplacement à l’étranger (oui bon, en Bretagne, mais ma femme lit par-dessus mon épaule et je tiens à mes oreilles) j’ai eu l’opportunité de passer un gros après-midi en compagnie d’Operation Overlord et de son auteur, Clem Seurat, qui a eu la gentillesse de me recevoir et de répondre à la classique interview de fin d’article.

Alors qu’à Rambouillet j’avais joué le scénario Juin 1944 dans les rangers des Alliés contre Yves Roig, le fondateur des 3 Zouaves, ce coup-ci le scénario débute au mois de Juillet et je joue les Allemands. L’occasion de comprendre la détresse qu’a ressenti mon adversaire précédent en voyant toutes les forces alliées déferler sur les plages. Là les Anglais et Américains ont débarqué, ils sont partout, nombreux et en pleine forme pour la plupart. J’aimerais en dire autant de mes troupes…

Operation Overlord est un block wargame, le premier édité par Vuca Simulations, dans lequel vous allez pouvoir jouer trois scénarios, de Juin à Août 1944, qui peuvent être regroupés en une grande campagne simulant l’entièreté de l’opération. Si chaque scénario est jouable en un gros après-midi, il faudra peut-être prévoir le duvet et les marshmallows pour voir le bout de la campagne.

Un block wargame donc, qui a une première originalité : les QG de corps d’armée sont physiquement présents aux côté des divisions et peuvent englober un nombre prédéterminé de ces dernières. Ce qui veut dire qu’au fil des tours, avec les divisions qui vont et viennent le long de la ligne de front au fil des offensives et des retraites, vous vous retrouvez face à des QG qui n’auront plus rien à voir avec ceux du départ.

Attention toutefois, chaque QG ne peut commander qu’un nombre limité de divisions d’infanterie ou blindées. Il est donc impossible – sauf cas particulier bien entendu – de se créer une force entièrement mécanisée qui roulerait sur ses adversaires. Ce qui, comme nous allons le voir, aurait très peu de chances de se produire.

Des blocs symbolisant des Corps d’armée commandant des divisions donc, se déplaçant de point à point et non via des zones. Ce choix est pertinent car il permet de découper les villes et villages en trois types : secteur majeur avec objectif (en orange sur les photos), secteur majeur (avec un cercle) et les secteurs simples, qui sont interdits aux corps d’armée. Cela peut sembler être un détail mais il faut garder à l’esprit que les limites de stacking s’appliquent à tout moment et peuvent de fait empêcher de belles offensives où l’on tenterait de submerger l’ennemi sous le nombre.

Un secteur simple ne peut accueillir que deux divisions (et pas de QG donc) tandis que les secteurs majeurs peuvent accueillir un QG et toutes les divisions qu’il commande. Je vois que vous commencez à saisir : la dynamique du jeu vous force à créer des vagues d’attaques pour faire craquer la défense non pas en une seule et belle offensive mais au contraire en lançant une série d’assauts qui étoufferait l’adversaire et l’empêcherait de renouveler ses forces. Ce qui pourrait sembler très dirigiste au premier abord, sachant que les Alliés ont l’avantage du nombre et de la qualité. Les Alliés attaquent comme des bourrins, les Allemands défendent en pleurant.

C’est pour éviter cela qu’il y a de très nombreux critères qui viennent altérer les combats. Tout d’abord, les forces impliquées : vous lancez une offensive avec une force principale (QG ou division) qui peut voir deux autres divisions l’appuyer, du moment qu’elles sont à deux espaces ou moins. Le défenseur, quant à lui, doit se contenter de forces adjacentes.

L’axe d’approche de vos forces est primordial et croisera divers éléments : bocage, pont, croisement et fortifications qui favoriseront le défenseur en lui apportant un bonus. Ensuite il faudra, selon le lieu attaqué, retrancher la défense de ce dernier à la force de l’attaquant.

L’attaquant calcule ensuite la force de ses divisions et peut ajouter des soutiens (aviation, artillerie, détachement cycliste…), disponibles en nombre très limité, à son offensive. Il tire pour finir une carte de son deck (qui remplace les dés) et la place face cachée devant lui. Le défenseur a la possibilité à ce moment-là d’effectuer un repli en subissant une perte. Sachant que tout ce que l’attaquant a engagé est dépensé et activé.

Si le défenseur décide de se battre, il calcule la force des divisions attaquées – en rajoutant les points octroyés par les éléments traversés par l’attaquant comme expliqué précédemment, ajoute d’éventuels soutiens et pioche lui aussi une carte. Les deux sont dévoilées et leur valeur (de 0 à 5) ajoutée au total des forces de chaque camp.

Et ensuite, chaque joueur peut décider d’utiliser des cartes Evénement de sa main, en payant si besoin est leur coût. Oui je ne vous en ai pas parlé avant mais chaque joueur pioche 5 cartes en début de partie, et une après chaque combat. Les cartes doivent être utilisées au moment adéquat (au déploiement, à la phase de renfort, en début de semaine…) et apportent différents bonus et malus.

Une fois que tout le monde a fait ses comptes, ce qui est bien plus rapide qu’il ne semble en lisant mes explications, on se reporte à table des combats – en fait une échelle divisée en paliers – permettant de connaître les pertes infligées. Et c’est à ce moment qu’il faut bien réfléchir, surtout quand on joue l’Allemand. Le sacrifice de deux soutiens joués peut absorber une perte.

Tout comme la retraite d’une unité, en gardant à l’esprit qu’elle ne peut se replier dans un lieu adjacent à l’ennemi. Sachant qu’une division peut se voir infliger 3 pertes avant de disparaître (elle passe par les stades Eprouvée (-1 à sa valeur) et Epuisée (-2 à sa valeur)), vaut-il mieux retraiter ou diminuer sa valeur mais rester en place ? Car si le défenseur recule pour épargner ses forces, l’attaquant prend le terrain et a l’opportunité de faire une percée.

C’est là que tout se joue : savoir quand reculer et quand se battre en serrant les dents. Se replier avant un combat va certes permettre à l’adversaire de prendre le terrain mais au prix des soutiens engagés – qui ne seront pas disponibles avant la semaine suivante – et de l’activation des forces engagées. Rester et combattre va permettre de gagner du temps et d’éventuellement faire reculer l’attaquant, qui préfèrera bien entendu faire retraiter ses troupes plutôt que de les voir diminuées.

L’Allemand peut même se permettre quelques contre-attaques locales et n’est absolument pas confiné au rôle de punching ball : il y a des opportunités à saisir et il faut être audacieux mais prudent… Ce qui est bien entendu plus facile à dire qu’à faire. Tout est histoire de moyens engagés et de temps gagné.

Parce que je ne vous en ai pas parlé (car pourquoi présenter un jeu de manière logique quand on peut faire n’importe quoi) mais un mois dans Operation Overlord est divisé en semaines (oui je sais, moi aussi j’étais surpris au début) qui correspondent aux tours de jeu. Au début de chaque semaine, les renforts arrivent – par la mer pour les Alliés, par les différentes gares pour les Allemands – et doivent être acheminés jusqu’à la ligne de front, ce qui prend du temps, qui joue en la faveur du défenseur. Les troupes peuvent être remises sur pied moyennant des points de ravitaillement, mais d’un seul état à la fois (épuisée à éprouvée, éprouvée à fraîche).

Autre étape avant les activations, la phase d’espionnage de l’Allemand. Lors du setup, l’Allié a choisi une série de missions et d’opérations pour chaque semaine du scénario. Chaque mission, si elle est remplie à la fin de la semaine, rapporte des points de victoire à l’Allié. Si elle ne l’est pas, ou si l’Allemand parvient à la découvrir lors de la phase d’espionnage, ce sont des points perdus… Il faut donc ne pas être trop gourmand dans ses objectifs (ne pas penser pouvoir prendre Caen à la fin de la première semaine par exemple) et compter sur la chance pour ne pas être démasqué.

Quitte à finir sur les phases de jeu – on n’est pas à ça près dans cet article construit n’importe comment – sachez que les activations sont, de manière très classique, alternées et que le tour s’arrête lorsque tous les joueurs ont passé, ou quand il n’y a plus d’unités à activer. 

Operation Overlord, sous un abord classique, regorge en fait d’idées originales. La gestion des QGs, avec leurs soutiens et leur capacité de commandement. La gestion de la main des joueurs, avec des cartes qui peuvent réellement faire basculer une bataille ou même handicaper l’adversaire sur une semaine entière. Et surtout la gestion du terrain et des axes routiers qui se retrouvent bien vite engorgés, tout cela contribuant à obliger les joueurs à planifier soigneusement leurs offensives et leur défense, anticipant les exploitations ou les replis, tentant de couper les retraites tout en évitant de se laisser enfermer.

Il y a aussi une bonne part d’intox, avec un Allié qui va devoir forcer son adversaire à reculer pour pouvoir prendre le terrain sans tarder. Il va pour cela devoir mettre le paquet et monter des séries d’offensives très localisées – parfois en envoyant de faibles unités attendrir la défense, parfois en tentant le gros coup de main – pour faire craquer le front en quelques points précis, qu’il exploitera par la suite. Impossible en effet de courir tous les lièvres à la fois, l’Allemand étant tout à fait capable de résister en s’appuyant sur le terrain.

Ce dernier peut quant à lui faire croire qu’il sera jusqu’au-boutiste pour obliger l’Allié à cramer ses soutiens et meilleures divisions dans de belles attaques… dans le vide en reculant au bon moment, ou au contraire en décidant de résister et en opérant une rotation des unités éprouvées pour que l’attaquant se retrouve à toujours attaquer une défense fraiche. Bien entendu, tout ceci n’est possible qu’avec des résultats favorables lors des combats et une fine gestion du ravitaillement et une bonne gestion de l’espace.

Operation Overlord, en proposant trois scénarios et une grosse campagne, satisfera les joueurs qui cherchent un titre accessible et jouable sur une durée raisonnable, mais qui veulent aussi pouvoir jouer l’ensemble de la campagne et ainsi se comparer aux résultats historiques.

Si mes parties ont été réalisées sur un prototype, il reste à déterminer de quelle production il disposera. Mais connaissant Vuca Simulations et la qualité finale de leurs produits, je ne me fais guère de souci et espère que l’on se retrouvera avec un beau produit (Clem m’annonce une carte montée) à un prix abordable qui trouvera son public. En attendant sa sortie l’an prochain, je laisse la parole à Clem qui a bien voulu répondre à mes questions.

Salut Clem, cela fait un bail depuis Battle for Caen ! A quoi as-tu occupé ces trois années ?

J’ai occupé ces trois années à me faire licencier dans des conditions qui relève du pénal, dixit la liquidatrice judiciaire, et à me relever de cette mésaventure. Mais j’ai aussi profité de ce temps pour me remettre à travailler sur d’anciens projets et à en pondre de nouveaux.

Tu es très productif ces temps-ci avec deux wargames en cours de création, un jeu de société et des participations en tant que graphiste à plusieurs projets. Peux-tu nous détailler tout cela stp ?

Bien sûr. J’avais développé un block wargame sur la compagne de Normandie que j’avais décliné sur l’Opération Epsom en changeant d’échelle. J’ai donc contacté Vuca pour le leur proposer et ils ont dit oui pour Overlord. J’espère qu’on fera Epsom si le premier opus marche correctement.

Puis Yves et Hervé m’ont proposé de leur filer un coup de main sur la partie graphique de leur propre jeu, Brandywine pour Yves et Marches et Batailles, sur la campagne de Belgique de 1815, pour Hervé. Enfin Jules, avec qui on travaillait sur Heroes of Normandie, m’a dit qu’il voulait développer un Hex’n Counter tactique. On s’y est attelé et on a créé La Bataille de Saint Lô que tu as aussi testé.

Qu’est-ce qui est le plus difficile dans la conception d’un jeu ?


Comme tout métier, une fois que tu as intégré une gymnastique intellectuelle, les réflexes prennent le relais et ton cerveau entre dans un processus créatif qui met en œuvre ce que tes années d’expérience t’ont apporté. Et en relisant cette phrase, je me rend compte qu’elle ne veut pas dire grand chose…

Mais l’idée est là, je ne peux pas te dire ce qui est le plus difficile quand tu crées un jeu parce que ça fait partie de mon mode opératoire instinctif. En revanche, je peux te dire ce qui prend le plus de temps, ce sont les playtests. Tester, re-tester, re-re-tester, re-re-re-tester…

A la convention du Roi de Rome de Rambouillet, tu nous faisais découvrir Operation Overlord. Peux-tu nous le présenter plus en détail ?

C’est un block wargame à l’échelle de la division et du corps d’armée. C’est un jeu un peu asymétrique où les deux camps ont des objectifs différents. Les Alliés doivent conquérir le plus de secteurs possible en respectant le calendrier qu’ils se sont imposés. Le joueur Allemand, lui, ne pouvant pas repousser les armées alliées à la mer, doit gérer la déferlante en retardant au maximum l’avancée des alliés. Pour lui c’est surtout une question de choix tactiques sur le long terme.

Quels secteurs abandonner au profit de quels autres ? S’accrocher au terrain ou se désengager pour consolider d’autres positions ? De plus, il a aussi une petite mécanique d’espionnage pour révéler le calendrier des Alliés et leur dénier les bénéfices que leur apporte la réalisation de leurs objectifs aux dates qu’ils se sont fixés.

Operation Overlord sortira en début d’année prochaine chez Vuca Simulations. Comment t’es-tu retrouvé à travailler avec eux ?

C’est Nicolas Michon, un copain qui bosse avec eux sur des traductions et des relectures, qui nous a mis en contact. Je le remercie chaleureusement pour ça !

Quel a été le retour du public dans les différentes conventions ?

Jusqu’à présent plutôt très bonnes, mais je n’allais pas te dire le contraire 😉

Penses-tu adapter ses règles à d’autres opérations, ou est-ce uniquement un one-shot ?

Comme je l’ai dit plus tôt, j’ai déjà développé une version sur l’Opération Epsom, opération dont on a déjà parlé lors de la campagnes de financement participatif de Battle for Caen. Comme je faisais les recherches pour cette extension de Heroes of Normandie, j’en ai profité pour travailler sur cet autre projet. L’échelle est différente d’Overlord puisqu’on gère des bataillons et des QG de régiment et de division. On retrouve le concept qui permet au joueur attaquant, l’Anglais, de définir lui-même ses objectifs mais dans une forme différente.

Là où dans Overlord le joueur Allié choisit des cartes objectif qu’il va planifier semaine par semaine, dans Epsom, le joueur Anglais choisit un plan parmi 6 qui va définir ses axes d’attaque et donc ses cibles prioritaires. Chaque plan intègre aussi une jauge qui, en se remplissant au fur et à mesure de l’avancée du joueur Anglais, va débloquer des renforts allemands détournés d’une contre-attaque prévue sur Bayeux et qui devait couper les Américains des Anglais. Historiquement, le succès d’Epsom a effectivement mis un terme à ce plan allemand. Sinon, j’aimerais beaucoup le décliner sur d’autre batailles, comme Stalingrad.

Tes jeux font toujours la part belle au chaos, que ce soit via les dés, les événements aléatoires ou les capacités spéciales (de héros, généraux…). Est-ce une composante essentielle de la guerre selon toi ?

Je n’ai jamais fait la guerre, je n’ai donc pas d’expertise sur le sujet. Mais en lisant des bouquins et en parlant avec des gens qui, eux, ont cette expérience, je trouve que oui, le chaos est une composante de la guerre. Les progrès technologiques viennent le limiter sans toutefois le faire disparaître.

Avec l’apparition du téléphone, puis de la radio, les ordres arrivaient de façon bien plus efficace que quand on agitait des fanions sur le champ de bataille. Mais les interférences, les lignes coupées, tout ça, tout ça, laissent une belle place au chaos.

Operation Overlord et Saint-Lô partagent un certain ADN mais sont réellement différents. Cela n’a pas été difficile de garder pour chacun une personnalité propre en les développant en parallèle ?

Pas tant que ça. Les deux points communs entre ces deux jeux sont les QG qui servent de containers à unités combattantes, permettant de concentrer plus de troupes au même endroit et la gestion des combats où c’est le joueur qui décide pour ses troupes quels type de dégâts elles vont subir. C’est la même philosophie, je m’accroche à ma position et je subis des pertes ou je décroche et j’épargne mes soldats ?

Je veux placer le joueur devant des choix. Mais comme l’échelle entre les deux jeux est très différente et que les plateaux de jeu ne sont pas du tout construits sur la même base, l’un étant découpé en hexagones et l’autre en positions, il était facile de créer deux systèmes très différents.

Le jeu partant bientôt en production, comment va se passer ta fin d’année ?

Je vais partager mon temps entre les tests pour Saint Lô et la promo d’un autre jeu dont je n’ai pas encore parlé mais qui est comme un rêve de gosse qui se réalise. Le 14 Novembre, Goldorak XperienZ sort chez Moon Edition et diffusé par MAD. C’est un petit jeu très sympa qu’on a développé avec Yann, mon pote de toujours. Une sorte de Space Invaders mais avec des Golgoths !!!

A-t-on une chance d’entendre à nouveau parler d’Heroes of Normandie ?

J’espère bien que oui !!! On ne lâche rien, on a des projets et on essaye toujours de trouver une solution pour le fiasco de Heroes of the Pacific, que les magouilles de ce triste personnage (pour rester poli) n’empêchent pas ceux qui nous ont soutenus de recevoir leur jeu. Mais c’est pas simple et c’est long.

Je te remercie pour ton accueil et ton temps ! Je te laisse le mot de la fin.

Si je n’ai droit qu’à un seul mot, ce sera « Prout ! »

Harvester

Collectionneur compulsif et un peu trop passionné, accumule jeux et livres en essayant d'entraîner un maximum de gens dans ses vices...

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