Brandywine 1777: a Time for Heroes
Je vous le présentais il y a quelques semaines, ça y est, Brandywine 1777: a Time for Heroes est dans les starting blocks avec une campagne Gamefound débutant le 7 octobre prochain. Le précédent article ne faisant qu’un passage bref sur les règles, voyons d’un peu plus près ce que la bête a dans le ventre et les sensations qu’offrent une partie avant de laisser la parole à Yves Roig, le plus sudiste des 3 Zouaves.
Basé sur le système de Chancellorsville 1863 et approfondi dans Gettysburg a Time for Heroes, Brandywine 1777 est un jeu pour deux joueurs (mais jouable en solo grâce à un bot dédié) se jouant en 2 ou 3h pour les premières parties. Si à l’étude des règles on pourrait s’attendre à une simple attaque défense avec des Anglais très puissants roulant sur des Américains attentistes, on s’aperçoit très vite qu’il n’en est rien. Ou du moins tant que l’Américain ne regarde pas son adversaire jouer.

La carte, superbe, représente la zone des combats avec son relief et les différentes connexions entre les points d’intérêts. Les chemins menant à chaque emplacement comportent des flèches de différentes couleurs : vertes lorsqu’elles favorisent l’attaquant, rouge pour le défenseur et noire lorsqu’aucun des deux camps n’est avantagé.
Si le premier réflexe pour l’Américain est de considérer que tous les emplacements de son côté lui sont favorables, un coup approfondi lui révélera qu’il n’en est rien et que sa défense va devoir être mobile pour ne pas laisser le Britannique attaquer avec un avantage. C’est bien, cela oblige le défenseur à alterner entre attente patiente, coups de main et replacements.

Le jeu se déroule sur 6 tours, eux-mêmes découpés en 2, 3 ou 4 phases d’activation (pour un total de 18). Les deux premiers tours peuvent être zappés si le Britannique décide de ne pas lancer ses colonnes aux entrées Centre Nord et Centre Sud. Cela permet d’essayer de nouvelles stratégies, en prenant tout de même en compte que les conditions de victoire évoluent au fil du temps.
En effet, il y a deux manières de gagner à Brandywine 1777 : soit en détruisant 4 formations adverses – et là c’est une victoire immédiate – soit, pour le Britannique, en ayant des points de victoire via les gains territoriaux : 3PV aux tours 2 et 3 puis 4 aux tours 4 et 5 et enfin 5 au tour 6. Ces zones à posséder sont les emplacements avec un petit drapeau britannique dessus mais aussi le QG de Washington, placé par l’Américain en début de partie. Si certains emplacements sont loin dans les défenses américaines, d’autres sont très accessibles, à tel point que c’est à se demander si cela vaut la peine de les défendre…

Une fois les troupes américaines placées, les Anglais font jouer leur meilleure expérience tactique avec la création de colonnes. Il n’y en a qu’une par zone d’entrée mais, et c’est là la principale originalité de Brandywine 1777, seul l’Anglais connaît leur composition : de 2 à 10 unités, ou même 0 dans le cas d’un leurre. Oui, l’Américain va donc être dans le flou le plus total au début en voyant de petits drapeaux se promener devant ses troupes.
Pour dévoiler une colonne, il peut tout de même compter sur la reconnaissance (sauf au tour 1) qui lui permettra d’avoir (ou pas) des renseignements sur la force de celle-ci, attendre que l’Anglais décide de mettre ses troupes en ligne ou, tout simplement, il peut l’attaquer. Au risque de gaspiller une activation sur un leurre.

Je vous en avais parlé la dernière fois, il est temps de creuser le cœur du jeu : les activations. Chaque joueur démarre son activation avec de 2 à 4 cartes en main, selon le tour de jeu, et doit en jouer une à chaque fois. Soit face cachée pour l’Anglais qui veut faire progresser une colonne dissimulée, soit dans le deck temporaire pour l’Américain qui veut patienter, soit face visible. Dans ce cas-là, on récupère le nombre de cubes de momentum donné en bas de la carte, puis on active, dans l’ordre de son choix, les généraux mentionnés sur la carte.
Un nom apparaît en gros et en haut : cette formation bénéficiera d’une activation majeure et pourra avancer de deux emplacements ou avancer à nouveau après un combat. Les autres auront une activation mineure, c’est-à-dire une seule action. Chaque carte ayant une combinaison unique de noms (qui peuvent être remplacés par des drapeaux, indiquant que le joueur active la formation de son choix), il faut vraiment bien réfléchir avant de les jouer pour en tirer le bénéfice maximum.

Les actions possibles pour chaque activation sont donc : construire une redoute (la seule action gratuite), ne rien faire (gratuit si l’unité est dans un emplacement où il y a déjà une redoute) ou se déplacer. Si elle se déplace sur un emplacement occupé par l’ennemi, il y a combat. Chaque action coûte un point de cohésion à la formation activée, ce qui simule son usure et oblige à soigneusement planifier ses mouvements pour ne pas se fatiguer pour rien.
En cas de combat, l’attaquant prend le nombre de dés indiqué sur la fiche de son général et va en rajouter deux s’il attaque à travers une flèche verte ou en enlever un si elle est rouge. C’est une manière élégante de simuler le terrain et cela oblige les joueurs à toujours observer par où ils sont les plus vulnérables et par où ils peuvent planifier une attaque.
L’attaquant jette ensuite les dés et se réfère à la table de combat : 2 dés infligent deux pertes et obligent le défenseur à reculer, deux 4 ou deux 5 infligent une perte, un 3 permet de récupérer un cube de momentum et une paire de 1 ou de 2 inflige une perte à l’attaquant. Je vous entends déjà chouiner que seule la chance entre en compte. Ce à quoi je répondrais que… oui un peu, mais heureusement il y a des moyens de minimiser son impact : le sacrifice d’un point de cohésion ou de 3 cubes de momemtum.

Cela permet de relancer le nombre voulu de dés pour essayer d’avoir le résultat le plus favorable possible mais affaiblit considérablement l’attaquant, surtout s’il a la gigue aux dés. Cela oblige aussi à ne pas partir à l’assaut la fleur au fusil car il n’est pas rare que la formation attaquante, même si elle semble plus puissante, retraite en ayant subi plus de dégâts que le défenseur.
Si le défenseur retraite, suite à un double 6 de l’attaquant, ce dernier prend l’emplacement et le joueur peut continuer ses activations, Une fois celles-ci finies, il peut acheter une carte tactique de la rivière et passe la main à son adversaire. Si pendant le combat une des deux formations tombe à 5 points de cohésion ou moins, elle doit alors immédiatement faire un jet de cohésion et avec un dé obtenir un résultat inférieur ou égal à son niveau de cohésion. En cas d’échec, elle est détruite et retirée du jeu, elle comptera pour la victoire aux pertes.
Tout ceci est déjà très bien et dynamique car ne nécessitant que quelques jets de dés et suivant des règles très simples. Mais c’est sans compter sur les cartes tactiques qui permettent de retourner la situation à son avantage en ruinant les plans de son adversaire. Je pourrais vous parler de celle qui empêche tout mouvement à une unité ennemie, mais en la laissant payer le coup de l’activation, celle qui permet d’ignorer toutes les pertes de cohésion mais oblige à retraiter d’un emplacement de plus, celle qui permet de relancer les 1 et 2 gratuitement…

Il y en a une cinquantaine, toutes aussi utiles les unes que les autres, toutes à acheter avec deux cubes de momemtum (qui sont décidément le nerf de la guerre). Ces cartes tactiques amènent le petit côté chaotique qui règne toujours sur le champ de bataille, laissant chaque joueur méfiant par rapport à ce que son adversaire peut lui réserver.
Les parties de Brandywine 1777 ne sont donc scriptées avec les mêmes approches et tactiques. Chaque emplacement étant plus ou moins vulnérable selon l’axe d’approche, il n’y a guère de chemin tout tracé vers la victoire. Le Britannique devra être attentif à toute brèche susceptible de se créer dans la ligne de défense américaine (je le rappelle, un double 6 sur un assaut provoque la retraite du défenseur, même si celui-ci a une cohésion élevée) pour l’exploiter immédiatement et son adversaire devra quant à lui constamment replacer ses troupes (en gardant à l’esprit de ne pas les user pour rien) et ne pas hésiter à attaquer lorsque les troupes anglaises se seront aventurées sur un terrain défavorable.

C’est un ballet incessant, avec des brèches qui s’ouvrent et qui se referment, des unités qui percent mais se retrouvent instantanément encerclées ou assaillies de toute part. La pression monte très vite à chaque lancer de dés et la roue tourne constamment, au gré des doubles 6 et des cartes tactiques jouées avec un sourire sadique. La gestion de la main – avec les activations majeures et mineures – ainsi que l’utilisation judicieuse des cartes tactiques – qui influent non seulement sur les combats mais aussi les mouvements – prennent rapidement une importance capitale, une fois les colonnes dévoilées et les formations britanniques déployées. Les esprits se doivent de rester affûtés et d’adapter les plans à chaque activation tellement la situation fluctue.
Il faudra de nombreuses parties avant de faire le tour de Brandywine 1777, qui est bien plus profond que ses règles simples et directes ne le laissent présager. Avec une mise en place très rapide – le plus long étant de laisser à l’Anglais le temps de former ses colonnes – et un temps de jeu contenu, ce second volume dans la série A Time for Heroes devrait plaire à un large public, qui est d’ailleurs la cible de nos Trois Zouaves. Mission accomplie donc, surtout avec un prix tout doux comme ça.

Bonjour Yves, peux-tu te présenter à nos lecteurs s’il-te-plaît ?
Avec plaisir ! Yves Roig (ça se prononce Roag en français et Rotch en catalan). Passionné d’astronomie… et de la petite histoire qui fait la grande. Tu t’en es rendu compte pendant nos parties. En vérité, je m’intéresse à beaucoup de choses.
Quel type de joueur es-tu ?
Grande question… J’aime les jeux historiques qui se jouent en moins de trois heures (mon côté boardgame qui parle). Des jeux réalistes, où on ne contrôle pas tout. Avec des sensations fortes aussi — c’est capital.
Ce que je cherche avant tout ? L’atmosphère. Si l’ambiance est là, je suis heureux. Et puis partager un bon moment avec les autres joueurs, tout simplement.
Comment as-tu rencontré Andy et Valentin ?
Valentin, c’est une vieille connaissance, malgré son jeune âge. Avec sa famille, il faisait partie des piliers d’une asso ludique dans la grande ville d’à côté. Avec Rémi, un autre membre, on a bossé une version solo et 4 joueurs de Race to the Rhine pour y jouer à l’asso. Phalanx a aimé et l’a éditée.
Andy, c’est l’inverse : on ne se connaît que depuis 2021. Tout est parti de l’achat d’un jeu sur BGG et de frais de port entre la France et le Royaume-Uni. Gentleman, il me propose de me l’envoyer depuis la France, car il y passait quelques jours plus tard. Et là, on se rend compte qu’il vit à moins de 30 km de chez moi ! Le destin ? Peut-être… En tout cas, Gettysburg est né de cette rencontre.
Qu’est-ce qui vous a poussés à créer les 3 Zouaves ?
Gettysburg. Il y avait des zouaves des deux côtés de la bataille, et nous étions trois… Le nom s’est imposé tout seul. Mais surtout, l’envie de passer de l’autre côté du miroir, de créer les jeux auxquels j’ai envie de jouer et de les faire découvrir au plus grand nombre.
Pourquoi ne pas avoir continué le partenariat avec Worthington Games et privilégié le financement participatif ?
On a adoré travailler avec WG, et on le refera peut-être. Mais je veux des jeux historiques en français (et en anglais), avec plus de liberté sur les règles et le graphisme. Le financement participatif, c’est pour lancer Les 3 Zouaves tout en rassemblant une communauté autour de nos futurs jeux.
Qu’est-ce qui vous a attirés dans le système de jeu de Chancellorsville 1863 ?
Tout. D’abord, la sensation de vivre une vraie bataille, comme je me l’imagine (chaotique et nécessitant une adaptation permanente des plans) : les joueurs ne sont pas des dieux. Ils subissent souvent, mais parfois, en se préparant bien, on peut imposer son rythme… et là, c’est souvent fatal à l’adversaire.
Et puis : règles faciles, parties en deux heures, immersion totale. Sensations garanties.
Comment Maurice Suckling a-t-il accueilli Gettysburg ?
Il adore voir sa mécanique adaptée à d’autres jeux. Il a apprécié nos ajouts. Son système est vivant, et ça lui plaît. On bosse ensemble sur Cabinet Noir, un jeu géopolitique napoléonien… un petit bijou, à condition de ne pas craindre les amitiés qui volent en éclats !
Vous passez d’une bataille extrêmement populaire à une qui l’est beaucoup moins. Pourquoi ne pas avoir continué sur la Guerre de Sécession ?
Chickamauga est en cours, et peut-être Manassas ensuite. Mais on va aussi explorer le napoléonien : Leipzig, Friedland, Belgique 1815. Ce qui m’attire ? Des batailles singulières, avec un vrai défi de simulation. Toutes les époques me conviennent, Gettysburg semblait sur le moment le choix logique après Chancellorsville.
Pourquoi Brandywine et pas une autre bataille de la Guerre d’Indépendance, d’ailleurs ? Qu’est-ce qui la rend spéciale ?
Des colonnes britanniques cachées, un train de bagages à gérer, des reconnaissances à faire… Mais surtout, un tempo fascinant.
Washington : bouger tout de suite sur une info douteuse, ou attendre la confirmation… au risque de réagir trop tard ?
Howe : avancer au plus près pour économiser la cohésion, mais risquer une embuscade qui met tout sens dessus dessous ?
N’avez-vous pas peur que le public européen soit moins réceptif à ces batailles ?
Non et pour plusieurs raisons : historiquement, plusieurs nations européennes sont impliquées dans la guerre d’Indépendance américaine. Et puis… Lafayette ! Les joueurs aiment la nouveauté, qu’elle porte sur une bataille connue ou pas. Gettysburg est plus connue que Brandywine, pour le moment.
Même dans un festival comme Cannes, pas du tout orienté wargames, le public familial a adoré Gettysburg et on a même été en rupture sur place. Avec ses règles accessibles et ses parties de 90 min à 2 h, il attire des joueurs qui ne viendraient pas au wargame autrement.
Quelle sont les principales différences entre Gettysburg et Brandywine, en termes de mécanismes ?
On garde un socle commun : c’est la série A Time for Heroes. Mais on ajoute ou modifie selon la bataille. Dans Brandywine, pas de renforts, mais deux nouveautés : reconnaissance et colonnes cachées (sans double aveugle, ni paravent).
Petit spoiler : Leipzig comptera la cohésion au niveau des armées et se jouera à quatre. Belgique 1815 aura des limites d’empilement différentes selon les zones. Dans tous les cas : le tempo reste clé.
Quelles sont les forces de ce système d’après toi ? Allez-vous le faire évoluer à chaque titre ?
Facile à prendre en main : on ne passe pas son temps dans les règles. Le plateau contient peu mais de bonnes aides de jeu. Simple, pas simpliste. Rejouabilité énorme avec les cartes. Jouable en solo (même le bot peut s’affronter lui-même). Adaptable à toutes les époques et échelles. Et surtout, on garde toujours la gestion de la cohésion, les cartes tactiques, les cartes activation et le système de combat.
Peux-tu nous parler de votre collaboration avec Sound of Drums ?
Une rencontre entre passionnés. Ensemble, on pourra sortir deux à trois jeux par an. On va concevoir et produire de manière coordonnée pour réduire coûts et délais, et proposer des prix plus doux. Le planning est visible sur notre site et sur les réseaux sociaux.
Quelle sera la suite pour les 3 Zouaves, après Brandywine ?
Austerlitz : jeu rapide jouable en 20 minutes. C’est un jeu très nerveux. L’Envol de l’Aigle pour 2026. Toujours historique… mais pas forcément militaire. Ici, jusqu’à 3 joueurs complotent pour faire évader Napoléon de Ste Hélène, mais le quatrième – le Gouverneur – veille au grain.
Doit-on maintenant s’attendre à un stand des 3 Zouaves dans les conventions ?
Oui. D’abord dans le sud-ouest et en région parisienne. Et si tout va bien… Cannes 2026.
Vu qu’on est entre nous, j’aimerais aborder le sujet Reindeer Races stp…
Découvert de l’autre côté de l’Atlantique, imprimé en P&P, et toute la famille avait accroché. En revenant en France, je tombe par hasard sur un éditeur local : on sort Course de Rennes et Chunky Fighters. Bon accueil, assez pour en faire d’autres. Mais… tout a une fin.
Je te remercie et le laisse le mot de la fin.
Merci pour cet échange et pour l’intérêt que vous portez à nos jeux. Si je devais retenir une chose, c’est que l’histoire, qu’elle soit très connue ou oubliée, peut devenir un terrain de jeu passionnant, pour peu qu’on lui donne vie avec les bonnes sensations autour de la table.
Mon plaisir, c’est de voir des joueurs, débutants ou chevronnés, sourire, rouspéter, vibrer ensemble. Alors on va continuer à vous surprendre, à explorer des époques variées et à inventer des mécaniques qui servent l’immersion. Et qui sait… peut-être qu’un jour, on se retrouvera autour d’un jeu des 3 Zouaves, à défendre un pont, charger une colline ou… courir après un renne !