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The English Game

Sport en série, épisode 1. Les derniers mois m’ont permis de visionner des séries très intéressantes, dont une poignée ont pour cadre le sport.

C’est physique.

La mini-série The English Game (diffusée sur Netflix) a pour sujet le football en Angleterre au 19ème siècle. Plus précisément, elle décrit le moment où le football a basculé dans le professionnalisme.

Oui, le professionnalisme, à la fin des années 1870 !

A cette époque se déroule en Angleterre une compétition, la FA Cup, qui existe d’ailleurs toujours aujourd’hui. Elle met alors aux prises des équipes membres de la Football Association, issues de cercles divers, Clubs d’aristocrates, étudiants, ouvriers d’usines. Certains des clubs évoqués dans la série existent toujours et ont eu leurs heures de gloire, de Notts County jusqu’à Blackburn. C’est un des attraits de la série : illustrer la grande antiquité du football anglais.

The Pogues ? Non, l’équipe de Darwen.

Même si le récit prend des libertés conséquentes par rapport à la réalité historique, il est tout de même étonnant voir dans un passé si reculé autant de modernisme dans les problématiques.

Fergus Suter et Jimmy Love ont réellement existé. Ils furent parmi les premiers joueurs écossais à être recrutés et payés (secrètement) par des clubs anglais, ici Darwen, pour jouer au football, ce qui était interdit à cette époque.

Fergus à l’usine, quasi un emploi fictif.

Ils fréquentent leurs coéquipiers et collègues de travail à l’usine de filature (superbe reconstitution… d’après les photos de l’époque, non, je n’y étais pas !), au pub, et améliorent le niveau de l’équipe, suscitant la ferveur dans la petite ville qui les voit franchir les tours de qualifications

Prolo Football Club

Ironiquement, les favoris de l’épreuve sont les Old Etonians, dont le gardien de but est le président de la Football Association, et dont les membres financent… l’industrie textile.

Les Old Etonians à l’entraînement, c’est du cache-ballon.

Leur décision de baisser les salaires dans toutes les usines pour maintenir la rentabilité déclenche un conflit social aigu. Ce conflit amène celui qui est décrit comme le meilleur footballeur du pays, Arthur Kinnaird, vedette des Old Etonians, à aller à la rencontre des ouvriers des filatures… dont ses rivaux de Darwen.

Kinnaird. Lord Kinnaird.

Il deviendra rapidement l’antagoniste de Fergus Suter dans cette lutte des classes qui se prolonge sur le rectangle vert. En effet, le président de Darwen rêve qu’une équipe d’ouvriers remporte le trophée…

Le récit de The English Game est nourri de l’évolution intellectuelle et morale de ces deux joueurs brillants et ambitieux qui appartiennent à des milieux complètement étrangers.

So foot!

Cette série de 6 épisodes met en scène l’apparition de phénomènes qui existent toujours dans le football actuel, 140 ans plus tard : l’importance croissante de l’argent, les réflexions sur la tactique et l’entraînement, les luttes d’influences auprès des institutions, les enjeux politiques, le lobbying, les premières tribunes, la violence potentielle des spectateurs, les transferts, la starisation, la surenchère et la marchandisation des hommes, l’évolution du matériel…

Un conseil, ne pas tirer au milieu du but.

Sous nos yeux, le football passe d’un jeu pratiqué dans les écoles ou après un pique-nique à un sport organisé avec des règles de moins en moins mouvantes.

A quel point est-ce fidèle aux usages et à la réalité de cette époque ? Encore une fois difficile à évaluer.

Mais il est possible d’y lire la signification de l’importance qu’à pu prendre ce sport auprès de populations qui se sont à un moment donné identifiées à une équipe. Des exemples d’antagonismes entre « club des riches » et « club du peuple » existent dans de nombreux pays (Réal/Athlético en Espagne). Le foot déchaîne les passions depuis ses origines…

Jimmy Love et Fergus Suter, seum-time.

Fergus et Arthur, sans l’avoir prémédité, joueront un rôle important dans le basculement vers un sport légalement professionnel. A noter que Kinnaird a lui aussi réellement existé, et qu’il devint président de la FA après une carrière riche en trophées : 9 finales de Coupe, dont une en tant que gardien de but.

Les prolongations

Alors oui, les scènes de matchs sont récurrente et assez épiques. En effet les réalisateurs et les acteurs de la série ont réussi à nous montrer des matchs d’un sport qui ressemble au football mais sans l’être vraiment, même si sur la fin des phases de jeu se rapprochent parfois de ce que l’on pourrait voir actuellement. Les premiers matchs voient les joueurs utiliser franchement les coudes, les genoux, pratiquer une sorte de mêlée ou de rush attaque à la Olive et Tom assez amusante à observer. C’est franchement une réussite à regarder, quand on sait depuis longtemps que le football est difficile à filmer dans les fictions.

Suter-Kinnaird, duel au sommet…

Mais ces rencontres sont espacées d’autres rituels : les réunions des banquiers, les repas d’équipe des Old Etonians, les beuveries au pub des pauvres, les entraînements, l’usine…

Le repas d’après-match des Old Etonians. C’est Feutré.

The English Game, en dehors de ce parti pris presque documentaire, livre donc la peinture sociale un peu superficielle mais touchante d’une époque difficile. Les pauvres sont pauvres, les riches très riches, mais ils se rencontreront et se parleront à cause des enjeux du football qui les dépassent tous. Julian Fellowes, scénariste de Downton Abbey, figure parmi les créateurs. C’est un indice positif.

Jimmy Love et Fergus Suter, dans la hype.

Faut-il s’opposer ou accepter ses différences ? Tout ça passera par un peu de méchanceté, un peu d’angélisme aussi et même de l’amour. Les personnages sont touchants, parfois naïfs, souvent courageux et humbles, et profitent de leurs erreurs pour grandir humainement.

Le dress-code a changé chez les footballeurs.

Les scènes sont toutes extrêmement soignées, la reconstitution est impressionnante au niveau des costumes, des décors, des objets : la rue, le train, le « vestiaire », le pub, l’usine, le parc respirent l’authenticité. La VO vous délivre des accents écossais impeccables. Des pantacourts avant l’heure, des polos rayés, des moustaches : c’est regardable avec quelqu’un qui n’aime pas le football.

Et des matchs comme vous n’en n’avez jamais vus. L’amateur de ballon rond que je suis a pris plaisir à regarder les matches de Darwen ou des Old Etonians… surtout dans cette période qui a vu le sport en général disparaître de nos stades et de nos écrans.

Good game.

Titre original : The English Game

Création : Julian Fellowes

Genre : Drame Historique

Acteurs principaux : Edward Holcroft, Kevin Guthrie, Charlotte Hope

1 saison de 6 épisodes

Durée : 55 minutes