Blood of Mehran
Dans le monde du jeu vidéo, il y a, d’un côté du ring, les gros bras, les AAA qui gonflent les biceps à coup de dizaines de millions de dollars et, de l’autre côté du ring, les challengers – comme Blood of Mehran – qui se contentent de budgets et de moyens nettement modestes quand ils ne sont pas simplement inexistants.
Ces derniers ne peuvent frimer à grands coups de ray tracing ou de graphismes photoréalistes et ne peuvent que compter sur l’ingéniosité de leur gameplay, le côté dépaysant de leurs décors ou encore la qualité d’écriture de leur intrigue pour espérer marquer l’esprit du public et atteindre le portefeuille des joueurs.
Certains de ces challengers sont parvenus à allier réussite artistiques et succès critique et commercial alors qu’ils ne pouvaient compter sur une grosse campagne de promotion. Ce fut le cas de jeux comme Braid, Hollow knight, Undertale ou encore un certain Minecraft. Des centaines de milliers d’autres, plus malchanceux ou, simplement, pas assez bons, sont aussi vite tombés dans les oubliettes du gestalt du jeu vidéo qu’ils étaient apparus sur les étals de Steam.
Cela dit, l’amélioration des outils mis entre les mains de développeurs, à l’image des célèbres moteurs Unity ou Unreal Engine, a un peu rééquilibré les forces en présence en donnant accès à des moteurs 3D et 2D performants aux équipes les moins fortunées. Certains développeurs, à l’image de Jonathan Blow ont su en tirer profit, passant d’un Braid en 2D, sorti en 2008, à un The Witness rutilant et en 3D en 2016 (depuis, pas grand-chose d’autre, malheureusement).

Et tous, ou presque, rêvent de rééditer le hold-up de Notch avec Minecraft, devenu le jeu le plus vendu de l’histoire et dont les ventes talonnent aujourd’hui les ventes cumulées de toute la série Super Mario Bros.
Et réussir là où tant d’autres se sont magistralement vautrés, c’est justement ce que tente de faire aujourd’hui ce Blood of Mehran, développé par le développeur indé Permanent Way Games qui nous vient d’Istanbul et qui tente de boxer dans la catégorie des God of War et des Souls likes. Oui, c’est un gros beat’em up en 3D qui tâche, pour le dire plus simplement.

Alors, comment se comporte notre nouveau poulain ? À première vue, pas trop mal. Certes, le visuel n’est clairement pas celui d’un AA et encore moins d’un AAA mais il est loin d’être désagréable pour autant. Les personnages sont correctement modélisés mais il ne faudra clairement pas s’attendre à la qualité d’un Assassin’s Creed Odissey ou d’un Horizon Zero. En revanche, vous allez vite constater que tous les personnages ont de sérieux problèmes capillaires. Un peu surprenant pour un jeu qui nous vient de Turquie.
Les décors sont plus basiques mais restent corrects, du moins tant que vos attentes restent plutôt modérées. L’ambiance est assez plaisante et inhabituelle puisque l’intrigue prend place dans une version légèrement revisitée de l’ancienne Mésopotamie.

Manette en main, notre personnage, lancé dans une quête de vengeance comme nous le comprendrons très rapidement, répond bien aux sollicitations, virevolte et cogne tout ce qui bouge. Cela dit, les premiers combats laissent apparaître quelques lacunes en termes de sonorisation et de placement. Mais on y reviendra.
L’histoire de Blood of Mehran est assez classique et rappellera les bons vieux films de vengeance des années 80 et 90 dans lequel un héros solitaire se lance dans une quête rédemptrice à grands renforts de baffes dans la tronche et de coups de shotgun dans les rotules. Bon, ici, les lames vont remplacer les fusils à pompe mais vous aurez compris l’idée générale.

Mehran, guerrier légendaire et ancien Général du royaume (dont on ne connaît pas le nom) découvre un peu trop tard qu’un Roi fourbe et jaloux (mais qui n’a pas de nom) peut s’avérer un tantinet problématique lorsque ce dernier décide subitement de le faire emprisonner. Dans l’enthousiasme du moment, il choisit de faire assassiner sa femme et son fils parce qu’il n’y a pas de petits plaisirs dans la vie quand on est un tyran sanguinaire (et anonyme).
Autant vous dire que le Mehran que nous retrouvons et qui vient de passer quelques mois plus tard dans les geôles du despote est bien remonté. Hagard, affaibli certes mais salement furax.

Profitant de l’inattention de son geôlier qui ne tardera pas à le regretter, Mehran parvient à s’enfuir de sa geôle après une longue succession de combats, qui servent en réalité de tutoriel, et une rencontre fortuite avec un marchand qui a manifestement confondu la prison avec le souk.
C’est également au cours de cette échappée belle que notre héros va rencontrer Scheherazade, princesse badass et rebelle, qui ne tient pas plus que ça à demeurer en captivité. A eux deux, ils vont pouvoir défier et vaincre l’ensemble de la garnison de la prison. Ce qui démontre, à l’évidence, certaines carences administratives. À ce stade, le testeur implacable que je suis découvre deux choses : primo, le jeu n’est clairement pas désagréable à jouer mais il dégage une très sérieuse impression de déjà-vu, déjà joué et déjà fini.

Secundo, les combats sont corrects mais loin de ce que proposent les ténors du genre. Le sound design pêche très clairement par un manque de patate lors des affrontements et l’enchaînement des combats devient légèrement soporifique au bout d’un moment.
D’autant qu’on devine assez vite la boucle de gameplay : couloir puis affrontement puis arrivée dans une arène et combat contre un boss puis affrontement puis couloir puis affrontement puis arrivée dans une arène et… Arrêtez-moi tout de suite si vous sentez poindre une certaine répétitivité.

Autre sujet de préoccupation, les premiers affrontements contre les boss vont rapidement laisser apparaître un sentiment de flottement ainsi que de bordel ambiant. Si les attaques qui, très classiquement, alternent entre les attaques rapides mais peu puissantes et les attaques plus balaises mais, forcément, plus lentes ne surprendront personne, le fouillis qui règne parfois à l’écran risque en revanche de déstabiliser certains joueurs.
En effet, les ennemis attaquent souvent en groupe et il n’est pas rare de se trouver submergé par l’adversaire parce que la caméra et le système de visée sont un peu dépassé. On se retrouve vite à taper comme un bourrin sur un des combattants ennemis sans voir ceux qui déboulent dans son dos.
La solution ? Faire des roulades dans tous les sens en s’arrêtant brièvement pour donner quelques coups avant de repartir en roulade aussi sec. Autant pour la dignité du combattant !
Bien évidemment, le jeu propose, comme la grande majorité de ses concurrents, un arbre de compétences qui permettra d’accéder à tout un arsenal de techniques et de combos plus ou moins dévastateurs. Et c’est à ce moment précis du test que vous (roupillez) commencez à vous poser la question qui fâche : pourquoi voudrais-je jouer à Blood of Mehran alors qu’il me reste des tonnes de jeux en backlog et que je n’ai toujours pas terminé ma dixième partie d’Elden Ring ?

Et c’est effectivement le problème auquel doit se confronter Permanent Ways. Si le jeu n’est pas mauvais, aucune de ses composantes (graphisme, gameplay, intrigue) ne lui permet de ressortir du lot et d’attiser l’intérêt du joueur lambda qui est noyé sous les sorties de jeux.
Et s’il est possible de faire la différence sur le segment des jeux indépendants 2D en inventant un gameplay ou un gimmick malin, c’est bien moins simple en ce qui concerne les beat’em all 3D où règnent en maîtres absolus les AAA comme Elden Ring (encore et toujours), Dark Souls (bis repetita), Assassin’s Creed ou encore Horizon Forbidden West.

Ce n’est pas de gaieté de cœur que je vais vous déconseiller ce Blood of Mehran car je sens que les développeurs avaient à cœur de proposer un jeu à la hauteur des attentes des joueurs. Le problème, c’est que sur ce type de jeux, tout comme sur les open worlds, les attentes des joueurs, gavés par des productions aux budgets pharaoniques, sont littéralement devenues hors de portée des développeurs les plus modestes.
Et je crains, par voie de conséquence, que, bien que sa relecture de la Mésopotamie antique soit assez dépaysante, Blood of Mehran soit hélas condamné à n’intéresser que les stakhanovistes du genre et les amateurs de bundles.
Genre : Hack & Slash / beat’em all
Développeur : Permanent Way game co
Editeur : Blowfish Studios
Date de sortie : 7 octobre 2025
Testé sur une version presse fournie par l’éditeur

Genre : Hack & Slash / beat’em all