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Nauticrawl – 20,000 Atmospheres

Vous connaissez l’histoire de la poule qui a trouvé un couteau ? Mon premier contact avec Nauticrawl lui ressemble un peu. Bienvenue dans « Vis ma vie de gallinacée », où je vais tenter de vous raconter mes premiers échecs de rampeur sous-marin. Oui, je suis aussi diplômé de Google Trad, mais je ne suis pas là pour me vanter et ça n’a rien à voir avec le sujet. Alors on arrête ce chahut sinon c’est mot dans le carnet. J’ai les noms.

Me voilà donc lâché dans un cockpit avec à peine deux lignes d’explication pour tout bagage. Mon écran affiche manettes, boutons et autres cadrans. Rien ne bouge alors que je tourne la tête autour de moi pour chercher des indices sur la marche à suivre. Je suis à bord d’un nauticrawl, ces véhicules à l’aspect steampunk dont le pilotage est tellement technique qu’il est parait-il réservé à l’aristocratie.

Apparemment j’ai fui, sans savoir qui, pourquoi, et encore moins pour aller où. Mais avant d’en savoir plus, il va me falloir le mettre en route. Abandonné, enveloppé de métal, avec pour seule compagnie les vibrations de l’eau qui troublent le silence de la cabine inerte : rarement un jeu ne m’avait fait me sentir aussi seul face à son interface.

Après quelques minutes à tirer tous les leviers et presser tous les boutons visibles, je relève la tête et je tente d’actionner cette manette que je n’avais pas encore vue. Soudain des voyants s’éclairent : j’ai visiblement allumé la batterie, ce qui va me permettre de mettre en marche l’ordinateur de bord. Les écrans scintillent faiblement et m’annoncent l’état de mon nauticrawl. Première priorité : démarrer le moteur, car sans alimentation la batterie va rapidement se retrouver à plat. Et on est reparti pour une séance de clics sur tout ce qui m’entoure pour trouver le bon bouton.

Cette phase de découverte est un plaisir, aucun popup disgracieux ou élément en surbrillance ne vient troubler l’ambiance lourde et inquiétante de l’habitacle. Mais maintenant que le moteur ronronne, je peux suivre la procédure de démarrage et activer le sonar. J’ai déjà passé vingt minutes à me creuser la tête pour comprendre quoi faire, il est grand temps de se mettre en mouvement.

Les déplacements sont particuliers et pas du tout intuitifs au premier abord. On avance par saut de puce ; on commence par régler la distance à parcourir avec un levier, on ouvre plus ou moins les gaz avec un autre (plus ils sont ouverts, plus le rechargement du saut sera rapide) et on tire une manette. Dans un fracas métallique peu rassurant, le véhicule s’ébranle et le sonar nous indique notre nouvelle position.

C’est votre seul moyen de vous repérer : pas de baie vitrée pour observer les poissons, à peine un périscope pour observer des objets captés par le sonar (sous forme d’un compte rendu sur l’ordinateur de bord). C’est une astuce élégant pour ne pas avoir à représenter graphiquement l’environnement. On peut aussi trouver ça paresseux, mais je pense que ça participe fortement à l’ambiance. Aurait-elle été transcendée par un moteur en 3D pour nous montrer l’extérieur ? Pas sûr.

Evidemment, j’ai allumé tout l’équipement que j’ai su activer, et parce que c’est pas Versailles ici, après quelques déplacements hasardeux, voilà qu’on m’informe que la batterie est bientôt à plat. Le temps de comprendre la gestion de l’énergie à bord entre les différents éléments, voilà que tout s’éteint. J’ai beau m’acharner sur les boutons, rien n’y fait : seule la commande d’éjection se déverrouille et voilà mon premier décès, pour cause de batterie vide.

Rassurez-vous, après cet échec, je suis reparti encore plus motivé, déterminé à ne pas perdre de la même façon. J’y suis parvenu : cette fois je n’ai pas dû quitter l’habitacle et périr noyé parce que j’ai laissé les antibrouillards avec l’autoradio à fond, mais pour cause de panne sèche. Le carburant brûle vite quand on pousse tous les potards à fond.

J’ai par la suite découvert bien d’autres moyens d’aller servir d’apéritif aux requins, tout en apprenant de plus en plus de choses sur cet univers rudement hostile. Des tourelles m’obligent à activer l’invisibilité pour leur échapper, ce qui suce la batterie à une vitesse folle. Des sortes de poulpes me pourchassent le long de couloirs étroits pour m’ouvrir comme une boite de conserve.

Je trouve des armoiries falsifiées qui sont censées me donner quelques secondes de répit en cas de scan par des sentinelles. Et d’autres nauticrawls vides gisent au fond de l’eau, témoins de tentatives similaires à la mienne, avortées dans la douleur. Ils recèlent toutefois de l’équipement indispensable pour continuer son chemin, comme ces batteries neuves ou ces réserves de carburant.

C’est donc ainsi, en esquivant les dangers et en fouillant les différents vestiges et engins sur lesquels je peux me connecter, que je progresse dans ces flots labyrinthiques. Je trouve des bribes de discussions, des indices m’apprenant l’existence de divers lieux ou encore des conseils sous la forme de notes. Tout reste cryptique, mystérieux, à aucun moment le jeu ne vous prend par la main (sauf pour vous montrer la sortie, lorsqu’il est trop tard).

Je gambadais donc au fond de l’eau, jusqu’à trouver un cristal auquel je n’ai pas prêté beaucoup d’attention de prime abord. C’est pourtant vers lui que je me suis tourné lorsque, lassé d’avoir fait trois fois le tour de l’endroit et à court de ressources, j’ai utilisé tous l’équipement ramassé dans l’espoir de débloquer la suite de l’aventure. Quelques textes trouvés ici et là laissaient entendre qu’il existait un moyen de s’élever au dessus de l’eau et sans trop en dire, attendez-vous à changer d’altitude.

Une grande partie du plaisir lors de la découverte du jeu tient donc dans cette interface. Elle est pourtant inutilement compliquée, contre-intuitive et parfois pénible. Une fois celle du véhicule sous-marin assimilée, il va falloir en apprendre une autre (quoique plus simple), avant de reprendre nos explorations maritimes.

Mais c’est aussi cette interface qui donne du cachet voire du style à Nauticrawl. Plus qu’une ambiance, elle offre une atmosphère. Le sous-titre du jeu en annonce 20 000 dans un hommage à Jules Verne, j’avoue n’en avoir compté qu’une seule et ce n’est déjà pas donné à tout le monde d’en avoir une aussi réussie.

Se battre contre sa machine, chercher les bons réglages avec une précision aléatoire, le tout en panique sous la menace d’un poulpe qu’on essaie de fuir en faisant un demi-tour chaotique parce que cette saloperie de machine ne peut qu’aller vers l’avant, est étonnamment plaisant et même gratifiant lorsqu’on parvient à peu près à la maîtriser.

Comme je l’ai laissé entendre à plusieurs reprises, Nauticrawl est un jeu sans pitié. La moindre erreur se paye cash, et même lorsqu’on en sait plus sur le fonctionnement du jeu, on n’est pas toujours capable de s’en sortir vu la lourdeur du bestiau qu’on pilote. Je n’ai personnellement pas été rebuté par cette difficulté, mais il faut avoir conscience qu’on est en présence d’un rogue-like : on repart de zéro à chaque mort. Les éléments de background déjà découverts et les mystères déjoués sont à réapprendre, aucune progression n’est conservée.

Je garde un maximum d’informations sur l’univers et votre mission parce que tout le sel de l’aventure est dans la découverte. De toute façon je ne peux pas tout spoiler : je n’ai pas encore réussi à en venir à bout. Le gameplay est simple mais l’interface sait rendre difficile la moindre action.

Les graphismes sont propres mais se limitent à l’affichage du cockpit et des quelques écrans cathodiques qui le composent. Par contre l’ambiance sonore est très réussie, avec ces bruits étouffés et ces leviers qui grincent. L’aventure est sensorielle et c’est le casque sur les oreilles qu’on en prend toute la mesure.

Nauticrawl est pétri de bonnes idées, c’est quoi qu’il arrive une expérience originale et je considère son travail sur l’interface remarquable de créativité. Survivre au fond de l’eau se mérite et progresser de lieu en lieu apporte son lot de stress car le moindre mouvement est une prise de risque qui peut vous ramener à l’écran principal (par ailleurs très réussi lui aussi).

Proposer autant d’intensité en affichant aussi peu à l’écran est une belle prouesse d’Andrea Interguglielmi (ancien de Dreamworks ou encore Lionhead). C’est sans doute ce qui vaut à Nauticrawl d’être nommé à l’IndieCade 2019. Pour en savoir plus sur cet auteur italien et son travail, je vous invite à écouter le podcast de Dark Station ci-dessous :

La traduction française est d’une qualité à signaler, rien n’est perdu dans le processus, que ce soit le sens ou l’ambiance que ces textes renforcent. Nauticrawl ne plaira pas forcément à tous, notamment à ceux qui attendent une expérience facile à prendre en main et qui aiment une représentation plus visuelle dans leurs jeux. Ceux qui auront la curiosité de s’y plonger trouveront un jeu plus riche qu’il en a l’air et qui sait être aussi immersif que frustrant.

Genre : Rogue-like minimaliste

Site officiel : https://www.nauticrawlgame.com

Développeur : Andrea Interguglielmi

Éditeur : Armor Games Studio

Plateforme : SteamItch.io

Prix : environ 12,50€

Date de sortie : 16 septembre 2019

Testé sur une version presse fournie par l’éditeur

Ruvon

Chaologue pas encore retraité, traître renommé, survivant accompli. Mon domaine, c'est le jeu vidéo, du FPS hardcore au point&click niais, et depuis toujours amoureux du tour-par-tour.

5 réflexions sur “Nauticrawl – 20,000 Atmospheres

  • JeanBob

    Ça donne quoi niveau durée de vie ?

    • Ruvon

      Pas évident à dire, j’ai déjà plusieurs heures de plongée et de vol à mon actif mais je pense avoir encore pas mal de chemin à faire pour terminer l’aventure.

      Pas certain non plus que la rejouabilité soit énorme, si les environnements changent à chaque partie, le cheminement semble assez proche d’une partie sur l’autre.

  • Les « jeux à cockpit », c’est comme ça que je les appelle, moi c’est ma came (…aussi).
    Tu me fais penser à mes premiers pas sur Dangerous Waters, à cliquer sur des boutons et surveiller des cadrans incompréhensibles pour voir ce qui réagit.
    Sauf que là c’est une ambiance Steampunk, avec mystère inclus. je note le nom de ce jeu. Et chapeau, écrire un article intéressant avec 5 fois le même screen c’est … profond.

    • Ruvon

      Mais ce n’est pas du tout le même screen ! Sur certains je ne suis même pas sur le point de crever, tu vois bien que ça n’a rien à voir !

  • bofang

    J’ai failli le tester attiré par l’ambiance, mais j’ai porté mon choix ailleurs par peur de la difficulté et de l’étouffement (à te lire j’ai bien fait donc merci)

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